Le 7 avril 2016, l'OPECST a organisé une après-midi d'audition publique sur les maladies à transmission vectorielle à la suite d'une demande que j'avais formulée auprès du Bureau de l'Office. Cette audition a réuni près d'une trentaine d'intervenants qui ont versé au débat des contributions d'une grande qualité relatives à la prolifération de tous les vecteurs, des moustiques en particulier, et sur les dangers sanitaires qu'ils représentent.
Je rappelle que la recrudescence de la présence de vecteurs a pris une ampleur inquiétante pour la santé, la vie quotidienne et le tourisme. C'est ainsi que l'épidémie causée par le virus Zika est présente dans tous les esprits et que les zones géographiques où elle apparaît s'étendent.
Si la priorité va évidemment aux questions de santé, il n'est cependant pas envisageable non plus que ces insectes rendent la vie impossible aux habitants de certaines régions françaises, qu'elles soient métropolitaines ou d'outre-mer. C'est le cas également pour les touristes qui trouvent actuellement dans nos régions à moustiques la même situation qu'il y a cinquante ans, c'est-à-dire celle d'avant la démoustication de masse qui a permis de jeter les bases de l'industrie touristique. Mais l'extension des zones de présence des tiques est également préoccupante.
Même si l'OPECST ne pouvait, en une après-midi d'audition publique, trouver des solutions pratiques à un problème d'une telle ampleur, la contribution de l'Office, avait pour ambition d'appréhender le maximum d'aspects de cette question avec l'aide, indispensable, des meilleurs spécialistes. Il a été rappelé que différents types de vecteurs existent : les anophèles, les phlébotomes, les tiques, les moustiques susceptibles de transmettre des maladies aussi graves et invalidantes que le paludisme, la filariose, les leishmanioses de plusieurs types, différents flavovirus, mais également le chikungunya, la dengue, le Zika et des fièvres comme le West Nile, la fièvre jaune ou encore celle de la vallée du Rift.
Comme à son habitude, l'OPECST a mis à profit cette audition publique pour appréhender tous les aspects scientifiques et technologiques des maladies à transmission vectorielle à travers une approche rigoureuse et aussi complète que possible : toutes les maladies, tous les vecteurs, tous les milieux.
L'audition a ainsi permis de faire émerger des pistes de solutions concrètes - qu'elles soient ou non d'ordre législatif.
Ni le 7 avril ni aujourd'hui, il n'est possible de tirer une conclusion définitive de l'audition publique menée par l'Office. Néanmoins, l'adoption du compte-rendu de cette audition aujourd'hui, dans un contexte national et international confirmant les risques et dangers des maladies à vecteurs depuis le jour de l'audition, permettra de diffuser ce point de connaissances multiples résultant de la richesse des propos des intervenants.
Cette audition n'est qu'une phase provisoire qui s'inscrit dans un processus où nombre d'acteurs institutionnels ou privés ont leur rôle à jouer pour que la connaissance des risques et dangers des maladies à transmission vectorielle, encore trop lacunaire à ce jour, permette une lutte plus efficace.
Comment vivre du mieux possible avec les vecteurs ? Où placer les limites entre les précautions et mesures d'intervention efficaces et raisonnables et celles qui constitueraient, en elles-mêmes, une atteinte excessive à la santé ou à la qualité des milieux ?
Cette audition a d'abord permis de mieux cerner le phénomène des arboviroses, de prendre conscience de la difficulté et du rythme des solutions à apporter, et des méthodologies, nouvelles ou éprouvées, auxquelles il faudra recourir pour limiter ou endiguer ce phénomène.
Les conclusions présentées à l'Office s'articulent de la manière suivante : après l'énoncé de quelques informations indispensables, mais pas forcément très connues, sur les vecteurs, seront rappelées les questions qui se posaient à tout un chacun avant l'audition publique avec, en réponse, les principaux éléments d'information tirés de l'audition.
Cette mise en regard montrera que certaines questions étaient mal posées, que des problèmes non perçus sont parfois prépondérants mais, également, qu'une palette de solutions peut être mise en oeuvre.
À ce stade, je crois nécessaire de rappeler quelques faits indispensables pour entrevoir la complexité des vecteurs : il existe près de trois mille cinq cents espèces de moustiques dont soixante en France et quarante sur le littoral méditerranéen et il a été dénombré deux cents espèces de tiques molles et sept cents espèces de tiques dures.
C'est le moustique femelle qui pique.
La prolifération du moustique tigre est grandement aidée par la multiplication des petits gîtes larvaires artificiels créés par l'homme qui se plaint de cette prolifération.
Dans ce contexte, quelles sont les principales questions posées par les maladies à transmission vectorielle ?
Avant l'audition publique, certaines évidences semblaient s'imposer comme :
- la prolifération du moustique tigre dans le Sud de la France provenait du réchauffement lié aux changements climatiques ;
- le déplacement des zones d'habitat était surtout spectaculaire pour le moustique tigre ;
- des démoustications par des biocides moins offensifs que l'ancien DDT étaient possibles ;
- des dérogations favorables aux épandages de biocides étaient envisageables ;
- les liens de causalité entre la piqûre de moustique et des maladies étaient déjà scientifiquement établis ; le virus Zika transmettant la microcéphalie, le syndrome de Guillain-Barré ou encore des complications neurologiques ;
- il n'existait pas de transmission sexuelle des arboviroses.
A ces six principales questions, les intervenants de l'audition publique ont apportées des réponses conduisant à largement nuancer ces six certitudes :
- La prolifération du moustique tigre dans le Sud de la France ne provient pas du réchauffement lié aux changements climatiques mais constitue une retombée de la mondialisation des échanges de personnes et de biens. Par exemple, les importations de pneus usés, le recours massif au transport par containers, les passagers du transport aérien... Tout cela entraîne des cas d'arbovirus importés.
De plus, les moustiques vivent très bien en pays tempéré voire en pays tempéré froid ; en réalité, plus que les changements climatiques, c'est la destruction des forêts qui peut avoir un impact sur l'extension de la présence de moustiques ; de même, plutôt que les changements climatiques, les retours de vacances lointaines voire l'organisation de Jeux olympiques, ici ou là, constituent des accélérateurs de la prolifération des vecteurs de maladies.
- La modification des zones d'habitat ne concerne pas seulement le moustique tigre mais tous les moustiques et aussi les tiques - de plus en plus présentes dans l'Est de la France.
- L'extension de la résistance des moustiques aux insecticides et les effets de ces biocides sur la santé humaine et l'environnement doivent être pris en compte de manière prioritaire avant de pouvoir envisager des campagnes massives de démoustication. Une forte résistance des moustiques aux insecticides existe en particulier dans les départements français d'Amérique.
- Parallèlement, la gamme des insecticides utilisables se restreint grandement et il s'agit moins de dérogation juridique à obtenir que de problèmes pratiques de santé publique à surmonter.
- Les liens de causalité entre un vecteur et une affection particulière ne sont pas établis de manière aussi certaine que le relatent les médias.
- Contrairement à ce qui a été longtemps admis, certaines arboviroses semblent se transmettre par voie sexuelle. La transmission sexuelle du virus Zika est maintenant fortement suspectée.
En complément de ces éclaircissements, certaines questions moins médiatisées n'avaient pas été entrevues avant l'organisation de l'audition publique et, de plus, d'autres problématiques émergent.
À noter tout d'abord à nouveau, l'expansion mondiale actuelle des arbovirus et celle des tiques.
Arrivé en 2004 dans les Alpes-Maritimes, le moustique tigre est maintenant présent dans trente départements dont ceux de l'Alsace et du Val-de-Marne. De petites épidémies d'arboviroses ont eu lieu dans le Sud de la France.
L'augmentation des cervidés conjuguée à la baisse des populations de lynx et de loups a entraîné l'augmentation des tiques qui se sont déplacées vers l'Est de la France.
Si la forêt tropicale a toujours regorgé de nombreux virus, désormais, en raison de la déforestation, l'émergence de nouveaux virus peut être redoutée.
La recherche en matière de produits biocides n'est pas aussi dynamique que souhaitable car, pour ces produits, le marché est restreint et donc peu rentable. D'autant que les entreprises qui s'y intéressent ne sont pas susceptibles de recevoir l'aide octroyée aux investissements d'avenir.
Au fil des ans, une seule substance biocide a fini par être considérée comme utilisable, à savoir la deltaméthrine, ce qui restreint l'efficacité de la lutte contre les vecteurs qui développent une accoutumance.
Par ailleurs, la lourdeur et la lenteur du système de financement de la recherche ne sont pas adaptées aux délais très courts de réaction nécessaire en matière de crise sanitaire.
Très peu de médicaments existent contre les arboviroses et aucun vaccin sauf celui contre la fièvre jaune.
Un des moyens de lutte contre la prolifération des anophèles a été la production d'enzymes de détoxication mais cela a favorisé l'adaptation de ces vecteurs au milieu urbain.
Les moustiques adaptent leurs comportements pour déjouer les protections offertes aux personnes par les moustiquaires imprégnées d'insecticides.
Face à ces divers problèmes, quelques solutions réalistes sont recherchées.
Au cours de cette audition publique de bonnes nouvelles ont aussi été enregistrées comme celle de la possibilité de l'élimination du paludisme qui serait envisageable à l'horizon de vingt à trente ans.
De même, il existe de nombreuses méthodes, à utiliser seules ou de manière combinées, tendant à la réduction des populations de vecteurs : la lutte mécanique (barrière de pièges), la lutte insecticide (par la démoustication, l'usage de moustiquaires imprégnées d'insecticides, l'étalement de répulsifs sur la peau), la lutte biologique (incluant la diminution de la durée de vie des vecteurs, leur modification génétique, le recours à des antibiotiques, à des larvicides, à des adulticides).
En outre, d'autres pistes résulteraient de :
- l'existence dans la durée et dans l'ensemble du monde de compétences d'entomologistes ;
- l'accentuation des efforts de veille face aux virus émergents ;
- l'inscription des crises sanitaires parmi les autres crises : selon la voie tracée par la plate-forme REACting (alliance Aviesan) ;
- l'indispensable augmentation du nombre de lits de soins intensifs puisque, par exemple, un mois d'hospitalisation est nécessaire en cas de syndrome de Guillain-Barré ;
- l'intensification des recherches en sciences humaines et sociales ;
- la cartographie des zones à risques ;
- l'information du grand public sur le risque acariologique ;
- la modification des comportements humains grâce à la mobilisation du plus grand nombre ; les petits gestes du quotidiens ;
- l'auto-dissémination par les vecteurs eux-mêmes ;
- la limitation de la résistance des vecteurs à la deltaméthrine ;
- la découverte d'une alternative au Bti ;
- le suivi des femmes enceintes ;
- la surveillance épidémiologique renforcée des cas suspects ;
- la vaccination ;
- la multiplication des contacts entre les élus et des spécialistes des maladies à transmission vectorielle.
Compte tenu des observations précédentes, j'ai l'honneur de proposer à l'Office l'adoption du compte rendu et des conclusions de l'audition publique de l'Office relative aux maladies à transmission vectorielle et l'autorisation de sa publication.