Intervention de Annie David

Réunion du 11 juillet 2007 à 22h00
Libertés des universités — Question préalable

Photo de Annie DavidAnnie David :

Nous nous sentons d'autant plus autorisés à nous référer à ce texte que le Président de la République vient, avec raison, de réveiller dans notre conscience collective la mémoire des Résistants, qui ont donné leur vie pour que vive la France. En effet, chacun le sait, le préambule de 1946 reprend l'essentiel du programme du Conseil national de la Résistance. Je n'en citerai qu'un extrait : « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction... »

Or, et c'est bien cela que la communauté universitaire pointe aujourd'hui du doigt de manière unanime, les conditions de vie et d'étude des étudiantes et des étudiants se sont gravement dégradées ces dernières années. La perte de leur pouvoir d'achat, les problèmes de santé et de logement, les difficultés d'insertion qu'ils rencontrent sont devenus d'une acuité extrême.

Voilà la priorité nationale et l'urgence à traiter ! Oui, il faut réformer notre enseignement supérieur, mais il faut dans le même temps affirmer un statut social étudiant à partir d'une autonomie reconnue. À ce sujet, madame la ministre, je vous rappelle la pertinence du rapport de mission parlementaire sur les aides sociales étudiantes confié à votre collègue, aujourd'hui porte-parole du Gouvernement, qui appelait notamment au renforcement du système des bourses.

Nous ne pouvons laisser plus longtemps sévir une sélection sociale accrue au sein de nos universités. C'est une question de justice sociale. Or ? dois-je le rappeler ? ? une loi se doit d'être juste. Aristote l'énonçait en ces termes : « Le juste est ce qui est conforme à la loi et ce qui respecte l'égalité, et l'injuste ce qui est contraire à la loi et ce qui manque à l'égalité ».

Le mouvement étudiant contre le contrat première embauche, que nous avons soutenu contre votre majorité, a d'ailleurs témoigné de l'angoisse d'une jeunesse face à son présent et à son avenir. Il a aussi permis de faire éclater devant l'opinion publique l'indigence des moyens que notre nation consacre à ses universités.

Déjà, lors de la discussion budgétaire pour 2007, voilà moins d'un an, mon ami Ivan Renar demandait à cette tribune ? vous me permettrez de rappeler ses propos pertinents ? « un effort sans précédent pour renverser la tendance actuelle, qui voit les universités françaises se distinguer par l'indigence de leurs moyens ». Votre prédécesseur, le ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, M. François Goulard, ne répondit rien à cette interpellation.

Vous-même, madame la ministre, vous nous présentez aujourd'hui un texte bien éloigné des besoins réels de nos universités. Plutôt que de discuter d'un tel projet de loi, nous aurions préféré débattre dans un premier temps d'un collectif budgétaire. Là est l'urgence, pour celles et ceux qui souhaitent prendre vraiment à bras-le-corps les problèmes de nos universités.

Certes, nous avons entendu que, durant les cinq prochaines années, le budget des universités augmentera de 1 milliard d'euros par an, mais de nombreuses questions restent en suspens quant à la répartition de cette somme. Néanmoins, l'effort est notable, nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais le retard est tel que cet effort risque de se révéler finalement très insuffisant.

Dans cinq ans, il y aura donc 3 800 euros de plus par an et par étudiant inscrit à l'université. Ainsi, en 2012, ces dépenses seront portées à 10 500 euros au lieu des 6 700 euros actuels. La différence est nette, mais le délai est trop long.

Nous considérons qu'un effort supplémentaire est nécessaire, d'autant qu'il est possible : si l'on compare le milliard d'euros prévu pour les universités aux 11 milliards d'euros de défiscalisation ? voire plus après l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale ? que vous vous apprêtez à mettre en oeuvre, il est facile de démontrer que, si vous le décidiez, vous pourriez doubler le budget des universités.

Tout est affaire de choix politiques, et nous contestons les vôtres. Finalement, votre ambition n'est à la hauteur ni des besoins ni des enjeux. Ce n'est pas de sa « gouvernance » ? pour reprendre votre mot ? que souffre le plus notre université, même si nous sommes prêts à examiner des réformes nécessaires relatives à sa gestion.

Nous devons réaffirmer les attentes de la nation, les objectifs, les missions et l'organisation de l'ensemble de notre système d'enseignement supérieur, redéfinir la place respective des formations technologiques, des classes préparatoires, des grandes écoles, des instituts, des universités. Dans ce cadre, nous devons « revisiter » l'ancrage de l'enseignement supérieur avec la recherche, les méthodes pédagogiques, les contenus, les rythmes et les diplômes, pour aller vers une civilisation de la connaissance partagée, ouverte à tous les partenaires et au monde. C'est à partir de ces choix que nous devons réfléchir aux moyens qui doivent être dégagés pour permettre la réussite du plus grand nombre de nos jeunes, par une véritable démocratisation d'accès et non par une simple massification des effectifs. Nous attendons des mesures immédiates, dès la prochaine rentrée, dans ce domaine. Madame la ministre, vous venez de nous en annoncer une voilà un instant.

Comme vous pouvez le constater, nous sommes favorables à une transformation radicale de notre système de formation supérieure, mais dans le cadre d'une véritable réforme d'ensemble, validée par une loi de programmation, en dehors de toute urgence.

Pour autant, la précipitation, dont vous faites preuve, n'a jamais été bonne conseillère ; comment peut-on proposer une nouvelle organisation de l'université sans débattre, au préalable, de ses finalités, sans avoir de garantie pluriannuelle sérieuse de ses moyens, sans rien connaître des propositions de la nouvelle majorité sur le sens donné à sa démocratisation ni des mesures indispensables pour permettre la réussite de toutes les étudiantes et de tous les étudiants ?

De plus, l'université est en l'espèce complètement isolée du reste du système éducatif ; il est également oublié que la qualité et les performances de l'université commencent dès l'école maternelle ! Comment peut-on être rassuré sur votre conception de l'université de demain alors que l'on apprend que 17 000 postes d'enseignants vont être supprimés dans l'éducation nationale à la rentrée prochaine ?

N'est-il pas indispensable de tenter d'anticiper l'avenir ? N'est-ce pas cela l'art de gouverner ? Faire le travail à l'envers, comme vous nous le proposez aujourd'hui, est l'assurance de dysfonctionnements futurs. De surcroît, ce projet de loi est loin de répondre aux exigences de transparence, de transversalité, de complémentarité, de partenariat, de concertation et de démocratisation qu'appelle notre époque.

Au nom d'une certaine vision de l'autonomie, vous nous présentez, en réalité, un projet de loi qui ne fait qu'assurer le désengagement financier des pouvoirs publics et l'ouverture des financements de l'université au monde économique. Tel est finalement l'objectif essentiel de ce texte, et nous le rejetons, comme vous l'a expliqué mon collègue Ivan Renar, au nom de notre groupe.

Certes, le statu quo actuel n'est pas satisfaisant. Les processus décisionnels sont sans doute trop longs et les décideurs trop éloignés des réalités. D'autre part, la recherche, qui est au coeur de notre université, et qui doit y demeurer, nécessite toujours plus d'indépendance pour se développer. C'est pourquoi nous sommes favorables au renforcement de l'autonomie des universités, mais, comme je vous l'indiquais à l'instant, une autonomie qui s'inscrive dans une réforme d'ensemble de notre système d'enseignement supérieur. Or cela n'est possible que dans le cadre d'une réelle concertation.

Sur la question de l'autonomie, comme vous l'avez entendu, nous avons une tout autre vision de ce que vous appelez « la gouvernance ». Mais nous ne proposons pas en la matière une contre-réforme. Nous ne pouvons, en effet, contester le manque de concertation de votre part et, de notre côté, présenter un « prêt-à-porter » de propositions toutes ficelées.

Cependant, si nous partons de vos propositions de resserrer les pouvoirs, nous pourrions être tentés de dire « pourquoi pas ? » Mais alors, comme en toute démocratie, qui dit « pouvoir renforcé », dit « contre-pouvoir », « pluralisme », « représentation démocratique élargie » et « structure de concertation ».

En effet, faire face aux défis de demain appelle la mobilisation de toutes les forces vives du monde universitaire, surtout dans un contexte où les productions immatérielles sont de plus en plus reléguées au rang de vulgaires marchandises, évaluées en termes de rentabilité et de parts de marché. Pour étayer mon propos, je citerai également, à l'instar du président de la commission des affaires culturelles, une phrase du rapport de MM. Jean-Pierre Jouyet et Maurice Lévy, président du groupe Publicis, intitulé « L'économie de l'immatériel » : « Il convient donc de traiter économiquement le capital humain » car « l'immatériel devient la principale source de création de valeur ».

Ce travestissement, pour ne pas dire ce dévoiement des valeurs, va à l'encontre d'une société de la connaissance pour toutes et tous et remet en cause le principe même de service public. Cette approche technico-financière ne laisse guère de place à la production et à la diffusion des connaissances et des savoirs, riches d'une diversité scientifique, qui est le socle même de notre civilisation.

En fait, il est urgent de ne pas légiférer vite. Au contraire, il faut prendre le temps de légiférer bien. L'avenir de notre système d'enseignement supérieur et de recherche ne saurait pâtir d'une précipitation résultant de calculs politiciens.

De plus, s'agissant d'une question de société de cette importance, qui est suivie attentivement par de très nombreux concitoyens, il est indispensable de mieux respecter la démocratie. Sinon, c'est l'absolutisme qui s'installe. Or nous n'en sommes pas loin, avec le droit de veto que vous remettez entre les mains du président, son pouvoir de nomination au sein du conseil d'administration et les libéralités financières dont il dispose de façon discrétionnaire pour récompenser les collaborateurs de son choix.

En fait, votre proposition apparaît comme un règlement de compte avec l'ouverture de nos facultés au plus grand nombre, la gestion démocratique des universités, le respect des franchises universitaires et des statuts, issus du formidable mouvement social, universitaire et étudiant de Mai 68, dont, nous le savons, le Président de la République souhaite faire disparaître toute trace.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le temps qui m'est imparti, je crois vous avoir fait part de nombreux motifs qui justifient le dépôt de cette motion de procédure. Mais il en est encore un dernier sur lequel je souhaite attirer tout particulièrement votre attention.

Ce point a été souligné par plusieurs orateurs, dont le rapporteur, Jean-Léonce Dupont : le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, madame la ministre, avez dit combien cette réforme était pour vous essentielle. Elle serait même la plus importante que vous aurez à mener durant cinq ans. Et pourtant, c'est dans la précipitation que vous nous la présentez.

Dès votre nomination, vous avez mis en place divers ateliers de concertation avec le monde universitaire. Bon départ, si je puis me permettre cette remarque ! Les sujets qui ont été alors abordés ont été multiples. Mais aucun ne traitait de la gouvernance, alors que vous vous apprêtiez à faire paraître un projet de loi sur ce sujet. Pour le coup, cela prend un mauvais virage.

Par ailleurs, le premier projet n'a été rendu public que deux jours avant la réunion du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER. Qui plus est, vous avez annoncé qu'il serait présenté huit jours après en conseil des ministres, sans qu'il soit prévu d'autres réunions formelles de concertation. Là, c'est un virage à 180 degrés !

Ensuite, ce projet a été repoussé d'une semaine pour permettre au Président de la République de mener des consultations. Au terme de ces dernières, des modifications non négligeables ont été apportées au texte, sous la pression des organisations syndicales. C'est, en quelque sorte, un nouveau départ, et un autre projet est alors porté à la connaissance de toutes et tous et présenté comme définitif. Or le texte soumis au conseil des ministres du 4 juillet est encore transformé et ce n'est que le 5 juillet que nous sommes saisis du texte définitif pour l'étudier. De surcroît, vous déclarez l'urgence.

Ainsi, alors que vous estimez le projet de loi fondamental, le Sénat n'aura eu que sept jours pour l'examiner, pour organiser des concertations et des auditions et pour préparer des amendements ! Un délai si bref, vous en conviendrez, ne permet ni une véritable concertation, ni un échange de vue des parlementaires avec les différentes composantes de la communauté universitaire, ni même le recul nécessaire pour aborder avec sérénité et clairvoyance ce projet de loi, dont vous déclarez pourtant, je le rappelle, qu'il est l'un des plus importants de la nouvelle législature.

Nous ne pouvons accepter une telle remise en cause du travail parlementaire, malgré les propos rassurants que vous venez de tenir. Il s'agirait d'enregistrer, ni plus ni moins, une décision du Président de la République que vous ne vous y prendriez pas autrement. Mais pourquoi le Gouvernement cherche-t-il à imposer ce texte à la va-vite, dans une précipitation qui ne permet pas un réel débat constructif ? Pourquoi tant de hâte ? Le Gouvernement a-t-il donc tant de raisons de redouter le débat d'idées, la discussion, la contradiction ?

Outre cette course contre la montre, la méthode est, elle aussi, désastreuse. Trois versions ont été présentées. Cela pourrait être assimilé à de la concertation, mais proposer trois textes différents en une seule semaine témoigne davantage d'une fébrilité certaine, qui n'aura échappé à personne.

Il est d'ailleurs intéressant de constater qu'à chaque nouvelle version le projet de loi a changé d'intitulé. On est ainsi passé d'un projet de loi « portant organisation de la nouvelle université », à un projet de loi « relatif à la gouvernance et aux nouvelles compétences des universités », pour enfin parvenir au titre définitif, sans doute plus consensuel et surtout plus « porteur », de projet de loi « relatif aux libertés des universités ». Mais de quelles libertés est-il question ? De celle du marché de dicter sa loi aux universités ou de celle de la communauté universitaire de mieux prendre son destin en main pour répondre aux défis de la mondialisation des savoirs ? Je crois avoir fait la démonstration que les réformes urgentes n'étaient pourtant pas là.

En cela, nous sommes solidaires de l'ensemble du monde universitaire, qui porte d'autres exigences nécessitant un allongement de la concertation. Je vous rappelle l'une de ses initiatives, le lancement des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, dont le premier temps fort se déroulait le 2 juillet et auxquelles ont participé de nombreuses personnalités du monde universitaire. Pourquoi, madame la ministre, ne pas vous être appuyée sur cet événement, organisé conjointement par diverses organisations représentatives de nos universités ? Pourtant, l'irrésistible besoin de moderniser notre université, cette « impérieuse nécessité », avez-vous dit, aurait dû être une formidable occasion d'approfondir et de donner un souffle nouveau aux fondements même des conquêtes éducatives, culturelles, sociales, scientifiques de notre société et de veiller au partage du meilleur de ce que sont capables de mettre au monde la « matière grise » et l'imagination humaine.

C'est pourquoi nous dénonçons non seulement la méthode employée, mais également le projet en lui-même, car nous ne pouvons accepter de repousser les réformes nécessaires pour répondre aux défis de notre université. C'est pourtant ce que vous faites, et je reprendrai à mon compte, s'il me le permet, l'expression « vice de forme » employée par notre collègue Jean-Luc Mélenchon, pour exprimer mon sentiment.

Vous prenez ainsi le risque de sacrifier une génération d'étudiants. C'est une bien grande responsabilité ! Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous demandons d'adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

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