Intervention de Éric Doligé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 septembre 2016 à 10h00
Convention république française — République de colombie - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur :

Avec 47 millions d'habitants et un PIB de 412 milliards de dollars en 2015, la Colombie est la troisième puissance économique d'Amérique du Sud, après le Brésil et l'Argentine. Le pays possède une économie diversifiée, même si son commerce international demeure largement dépendant des ressources minières (or, fer, nickel) et des énergies fossiles (charbon, pétrole) - ces dernières représentent plus des deux tiers de ses exportations. L'agriculture présente aussi un potentiel de développement important, le pays étant ainsi le deuxième exportateur mondial de fleurs, après les Pays-Bas.

Assez soutenue depuis plusieurs années (4,4 % en 2014, 3,1 % en 2015), la croissance de la Colombie est aussi particulièrement résiliente, en comparaison notamment de ses voisins le Brésil et le Venezuela - tout aussi dépendants des hydrocarbures, mais bien plus touchés par l'effondrement de leurs cours l'année dernière. Le pays se caractérise en effet par une bonne gouvernance, une stabilité sur les plans économique, juridique et financier, et une volonté d'ouverture aux échanges internationaux, dont témoigne l'accord de libre-échange du 26 juin 2012 entre la Colombie, le Pérou et l'Union européenne.

Le dernier obstacle majeur au développement économique du pays est sur le point d'être levé : le 24 août 2016, le Gouvernement et les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) ont conclu un accord de paix à La Havane, mettant fin à soixante-deux ans de guérilla. L'accord sera soumis à référendum le 2 octobre prochain.

Dans ce contexte, les échanges économiques entre la France et la Colombie offrent des perspectives importantes. La Colombie est d'ores et déjà notre deuxième excédent commercial et notre deuxième partenaire en Amérique du Sud, avec des échanges bilatéraux de 1,3 milliard d'euros en 2014. Les investissements directs étrangers (IDE) français en Colombie sont quant à eux estimés à plus de 2,5 milliards de dollars - sans commune mesure avec les 20 millions d'euros d'IDE colombiens en France. On compte 150 filiales françaises en Colombie, parmi lesquelles Carrefour qui, au travers de sa filiale Exito, est le premier employeur du pays (300 000 emplois directs et indirects). Récemment, Vinci a signé un contrat de 1,3 milliard d'euros pour l'exploitation de l'une des principales autoroutes du pays.

Pourtant, un obstacle majeur au développement des échanges entre la France et la Colombie demeurait jusqu'à aujourd'hui avec l'absence de convention fiscale entre les deux pays, situation aussi rare que problématique. Les particuliers courent ainsi le risque d'une double imposition sur leurs salaires, traitements, pensions, etc., car l'impôt sur le revenu colombien est dû sur les revenus de source mondiale. Les entreprises courent en principe le même risque de double imposition, avec notamment une retenue à la source de 33 % sur les dividendes, intérêts et redevances. En pratique, cette difficulté a conduit plusieurs sociétés françaises à réaliser leurs investissement via des filiales espagnoles, afin d'être couvertes par la convention fiscale de 2005 entre l'Espagne et la Colombie. Si cet expédient a permis le développement des investissements français en Colombie, il s'accompagne toutefois de contraintes financières, règlementaires ou administratives, sans compter les éventuels surcoûts fiscaux.

C'est dire toute l'importance de cette convention fiscale entre la France et la Colombie. Celle-ci a été signée le 25 juin 2015 à Bogota, mais les premières négociations remontant à 2009, lorsque la Colombie a décidé de conclure une série d'accords avec ses principaux partenaires. Très attendue des acteurs économiques, cette convention fiscale est complémentaire de l'accord du 10 juillet 2014 sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements entre les deux pays, que le Sénat a adopté cet été.

D'une manière générale, cet accord est largement conforme au dernier modèle de l'OCDE, celui de juillet 2014, et même plus ambitieux sur plusieurs points. Tout d'abord, il met en place un cadre juridique favorable aux investissements, qui se lit dans le traitement des revenus passifs : la retenue à la source opérée sur les dividendes est de 5 % lorsque le bénéficiaire détient une « part significative » du capital de la société versante, et de 10 % dans les autres cas. Ces taux sont ceux du modèle de l'OCDE, mais le seuil de qualification de la « part significative » est moins élevé (20 % du capital au lieu de 25 %), et donc plus avantageux. Il est vrai que ce régime demeure un peu moins favorable que le passage par la convention entre l'Espagne et la Colombie, qui permet une exonération de retenue à la source en cas de « part significative » du capital, mais au prix d'importantes contraintes juridiques et pratiques. Ensuite, la retenue à la source opérée sur les intérêts est de 10 %, comme dans le modèle de l'OCDE, mais s'accompagne d'un ensemble particulièrement large d'exonérations, dont tous les prêts bancaires et tous les prêts inter-entreprises - ces derniers étant très utilisés par les entreprises françaises. Enfin, la retenue à la source opérée sur les redevances est de 10 %, soit mieux que le « passage par l'Espagne », où ces revenus sont d'abord frappés d'une retenue de 10 % à la sortie de la Colombie, puis de 5 % à la sortie de l'Espagne.

Si le présent accord met en place un cadre plutôt ouvert, les États ont néanmoins veillé à préserver leur souveraineté fiscale sur un certain nombre d'activités importantes. Les particularités les plus notables concernent la notion d'« établissement stable », c'est-à-dire la présence d'une « installation fixe d'affaires » (usine, bureau, personnels, etc.) permettant d'imposer les bénéfices d'une société dans l'État où elle exerce ses activités, et non dans l'État où elle a son siège. Par rapport au modèle de l'OCDE, le présent accord tend à faciliter la qualification d'établissement stable, ce qui devrait d'abord bénéficier à la Colombie. Premièrement, les chantiers sont qualifiés d'établissements stables dès lors qu'ils dépassent une durée de 6 mois, contre 12 mois dans le modèle de l'OCDE. Deuxièmement, l'accord introduit la notion d'établissement stable de services, non prévue par l'OCDE, mais très utile pour sécuriser les acteurs et déterminer dans quel pays une prestation de services doit être imposée. Son seuil de déclenchement est là aussi de 6 mois, en cumulé sur une période quelconque de 12 mois. Troisièmement, et surtout, le présent accord contient une « présomption d'établissement stable » pour les activités extractives de plus de 2 mois. Cette disposition dérogatoire a été introduite à la demande expresse de la Colombie, dont les ressources minières et les réserves d'hydrocarbures constituent un atout économique - et une source de recettes budgétaires - d'une grande importance.

La France, de son côté, a obtenu l'introduction d'une série de dispositions permettant d'assurer la bonne application de certaines particularités de son droit interne, qui se retrouvent dans la plupart des conventions récentes. L'une d'elles permet de traiter correctement le cas des sociétés dites « translucides », ces structures dotées d'une personnalité juridique distincte et exerçant une activité propre, mais imposées au niveau de ses membres.

Les autres concernent l'immobilier. Ainsi, les plus-values et revenus des sociétés immobilières transparentes ou des sociétés à prépondérance immobilière seront imposés au niveau de leurs associés. En outre, les dividendes versés à des non-résidents par certains véhicules d'investissement immobilier (les SIIC et les OPCI) seront frappés d'une retenue à la source de 30 %, afin de respecter la logique sur laquelle repose ce régime.

Enfin, la convention franco-colombienne se distingue par une exigence particulièrement élevée en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Ce n'est pas un vain mot : la France comme la Colombie figurent parmi les États les plus engagés dans ce combat, ce qui a permis de faire de ce texte un modèle en la matière.

L'accord contient deux clauses anti-abus générales, de portée très large. Des clauses similaires figurent dans nos autres conventions fiscales récentes, et ont été reprises par l'OCDE dans le cadre de son projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), qui vise à lutter contre la délocalisation abusive des bénéfices. La première permet d'écarter une opération si « (son) principal objectif ou l'un (de ses) principaux objectifs » est de profiter indûment des avantages de la convention. La seconde permet de refuser ces avantages au destinataire d'un revenu qui n'en serait pas le « bénéficiaire effectif ». Et parce que l'on n'est jamais trop prudent, ces deux clauses anti-abus générales sont ensuite « répliquées » sous forme de clauses sectorielles, pour chaque catégorie de revenu : intérêts, dividendes, redevances et autres revenus.

L'accord contient plusieurs autres dispositifs anti-abus, certains d'ailleurs à la demande expresse de la Colombie. Autre signe de bonne volonté, la possibilité d'un recours à l'arbitrage, sous conditions, en cas d'échec d'une procédure amiable entre les deux États sur un sujet précis. La France propose toujours cette clause à ses partenaires, mais en pratique peu l'acceptent.

Enfin, l'article relatif à la coopération en matière fiscale est conforme au standard de l'OCDE dans sa rédaction la plus récente et donc la plus exigeante. Il constitue la base juridique de l'échange d'informations à la demande, mais aussi de l'échange automatique, que la Colombie s'est engagée à mettre en oeuvre d'ici septembre 2017, comme la France, lors du sommet de Berlin du 29 octobre 2014. D'ailleurs, la Colombie est jugée pleinement « conforme » par le Forum mondial de l'OCDE, une instance qui évalue la transparence fiscale des États, tant sur l'existence des mesures que sur leur mise en oeuvre effective. Sur les dix critères évalués, la seule et unique réserve porte sur la rapidité des réponses, seulement « largement conforme » - ce dont la direction générale des finances publiques (DGFiP) ne peut pas juger, puisqu'à ce jour aucun accord ne permet une coopération fiscale avec la Colombie.

Je vous propose donc d'adopter ce projet de loi sans modification : non seulement cet accord est nécessaire pour donner un cadre fiscal à nos échanges avec la Colombie, mais en plus, il me semble tout à fait équilibré et particulièrement ambitieux s'agissant de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

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