Je vous présente les vifs regrets du Premier président Didier Migaud de ne pouvoir être devant vous ce matin, étant retenu par ses fonctions de Président du Haut Conseil des finances publiques.
Le rapport de la Cour sur la sécurité sociale est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, qui sera déposé la semaine prochaine sur le bureau des assemblées.
J'ai auprès de moi, pour vous le présenter, Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport et Delphine Rouilleault, auditrice, rapporteure générale adjointe.
Plus de soixante-dix ans après sa création, la sécurité sociale est, plus que jamais, un élément essentiel de la solidarité et de la cohésion nationales. Année après année, la Cour souligne à quel point les déficits récurrents qu'elle connaît mettent à mal le dispositif dans son ensemble et se reportent sur les générations futures au travers de la dette sociale qui singularise notre pays par rapport à ses voisins.
Dans ce rapport, la Cour ne cherche pas seulement à apprécier la trajectoire des finances sociales. Elle veille aussi à proposer des analyses et des pistes de réformes en vue d'un retour rapide à l'équilibre financier, condition nécessaire pour la pérennité et l'efficacité de la sécurité sociale au service de l'ensemble de nos concitoyens.
La Cour porte cette année trois constats principaux. D'abord, la réduction des déficits se poursuit, permettant une première amorce de diminution de la dette sociale. Toutefois, les déficits restent élevés et le retour à l'équilibre doit donc demeurer une priorité. Ensuite, l'assurance maladie doit être réformée en profondeur, à l'image d'autres composantes majeures de la protection sociale. À cet égard, les réformes des retraites des salariés du secteur privé montrent qu'il est possible d'obtenir des résultats importants. Enfin, tous les leviers doivent être mobilisés avec opiniâtreté, en particulier en matière de gestion. Des gains d'efficience accrus peuvent et doivent ainsi être mobilisés sans retard à l'hôpital et dans les organismes de sécurité sociale.
Premier constat, la réduction des déficits se poursuit, permettant une première diminution de la dette sociale. Toutefois, les déficits restent élevés et le retour à l'équilibre doit donc demeurer une priorité.
Si les déficits se réduisent encore cette année, leur persistance pour la quatorzième année consécutive constitue une anomalie par rapport à la situation chez nos voisins. Ce sont les déficits très élevés de l'assurance maladie et du fonds de solidarité vieillesse (le FSV) qui retardent le retour à l'équilibre de la sécurité sociale. C'est le principal message que la Cour souhaite adresser : l'amélioration de la situation financière de la sécurité sociale est fragile et ne doit pas conduire à relâcher les efforts de maîtrise des dépenses, tout particulièrement pour l'assurance maladie qui appelle des réformes en profondeur.
Ce constat résulte de quatre faits principaux.
Le déficit de la sécurité sociale continue à s'inscrire à un niveau très élevé en raison des déficits de l'assurance maladie et du FSV.
En 2015, le déficit agrégé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est établi à 10,2 milliards d'euros contre 12,8 milliards en 2014. En son sein, le déficit du régime général et du FSV a reculé à 10,8 milliards contre 13,2 milliards en 2014.
Trois évolutions positives doivent être soulignées : d'abord, le déficit a continué à se réduire au même rythme modéré qu'en 2014, alors que les prévisions tablaient sur une simple stabilisation. Pour la deuxième année consécutive, la Cour relève un écart important entre prévisions et réalisations. Il en ira de nouveau de même en 2016. Cela témoigne davantage du manque de fiabilité que de la prudence des prévisions. Ensuite, la baisse du déficit a en 2015 davantage reposé sur un ralentissement de la hausse des dépenses, qui ont progressé moins vite que le PIB en valeur. Les mesures d'augmentation des recettes, comme la hausse des cotisations d'assurance vieillesse, ont néanmoins apporté une contribution importante à la diminution du déficit. Enfin, compte tenu des excédents de la caisse d'amortissement de la dette sociale (la Cades), la réduction du déficit a fait refluer la dette sociale, pour la première fois depuis 2001, à hauteur de 2,1 milliards d'euros.
Des éléments moins favorables viennent toutefois tempérer ces constats : la sécurité sociale n'a pas encore retrouvé en 2015 le niveau de déficit d'avant la crise, qui était lui-même très élevé ; ensuite, environ 40 % du déficit, soit près de 4 milliards, résultent de causes structurelles, indépendantes de la conjoncture. Enfin, le déficit se concentre de plus en plus sur la branche maladie et le fonds de solidarité vieillesse.
Le déficit de la branche maladie se réduit, grâce en particulier à une mesure de recette exceptionnelle d'anticipation des versements des contributions et cotisations sociales des caisses de congés payés du BTP, soit 1,1 milliard d'euros. Il représente près de 85 % de celui du régime général hors FSV. Cela confirme l'urgence de réformes visant à maîtriser plus efficacement les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie.
Le déficit du FSV a, quant à lui, constamment augmenté depuis 2013, pour atteindre 3,9 milliards d'euros en 2015. Certes, la conjoncture joue négativement puisque ce fonds compense l'absence de cotisations des chômeurs à la branche vieillesse. Cependant, sa structure de financement est fragile, plus encore depuis cette année. En effet, ses ressources sont désormais presque entièrement assises sur les revenus du capital, très sensibles à la conjoncture.
Le déficit devrait continuer à se réduire en 2016 et les années suivantes, mais la sécurité sociale ne reviendrait à l'équilibre qu'en 2019. La commission des comptes de la sécurité sociale qui s'est réunie vendredi dernier a prévu que le déficit du régime général et du FSV serait ramené à 7,1 milliard d'euros en 2016, contre 10,8 milliards en 2015.
En raison de recettes plus élevées que prévu, le déficit se réduirait ainsi dans une mesure plus importante que celle anticipée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 ou dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de juin dernier.
Mais, comme celle de juin, la prévision de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre intègre un « produit exceptionnel de CSG », de 700 millions d'euros. Cela apparaît très discutable à la Cour. En effet, il s'agit d'une simple écriture comptable qui ne correspond à aucune recette supplémentaire pour la sécurité sociale et qui fausse l'appréciation de l'évolution du déficit de la branche maladie. Quand on neutralise ce « produit exceptionnel de CSG », le déficit prévisionnel de la branche maladie diminue uniquement de 1 milliard d'euros par rapport à 2015, et non de 1,7 milliard.
Le déficit de la branche maladie resterait en tout état de cause massif en 2016, soit 4,1 milliards d'euros selon la commission des comptes et 4,8 milliards en neutralisant le « produit exceptionnel de CSG ».
Après onze années consécutives de déficit, la branche vieillesse reviendrait à l'équilibre en 2016, dégageant même un excédent de 1,1 milliard d'euros. La Cour souhaite cependant insister sur un point essentiel : pour apprécier correctement la situation financière de la branche vieillesse, il est indispensable de prendre en compte le FSV, dont la quasi-totalité des concours financiers lui sont affectés. Tant que le FSV dégage plus de déficits que la branche vieillesse d'excédents - ce sera encore le cas en 2016 et en 2017 -, le retour à l'équilibre de la branche vieillesse est en faux-semblant.
Malgré la poursuite de la réduction des déficits, la sécurité sociale ne va pas revenir à l'équilibre en 2017, ni même en 2018. En raison du redémarrage des dépenses d'assurance maladie, cet objectif ne serait atteint qu'en 2019.
La maîtrise des dépenses d'assurance maladie demeure encore imparfaitement assurée, ce qui retarderait à 2019 le retour à l'équilibre de la sécurité sociale.
En 2015, l'objectif prévisionnel des dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été respecté pour la sixième année consécutive, non sans tensions. La progression des dépenses s'est ralentie par rapport à 2014 (+2 % contre +2,4 %). Mais il a fallu compléter les mesures, prises en cours d'année, de réduction des dotations aux établissements sanitaires et médico-sociaux par un ajustement inédit et contestable des dépenses provisionnées pour rester dans la prévision.
Ces difficultés sont notamment la conséquence de l'évolution très insuffisamment maîtrisée des dépenses de soins de ville. Les honoraires médicaux et paramédicaux, les indemnités journalières et les dépenses relatives aux dispositifs médicaux augmentent rapidement, souvent au-delà de prévisions manquant elles-mêmes de sincérité.
Les taux d'augmentation de l'Ondam de 1,75 %, fixés dans la cadre du Programme de stabilité pour 2016 et 2017, étaient moins élevés en apparence que celui de 2015 (+2 %), mais ne correspondaient pas pour autant à un objectif de maîtrise accrue des dépenses. En neutralisant les effets d'une modification de présentation comptable, ces taux correspondaient en réalité à une progression de l'Ondam de 1,9 % en 2016 et de 2 % en 2017, sans effort supplémentaire donc par rapport à 2015.
Ainsi défini, l'Ondam 2016 devrait être tenu, mais au prix de mesures de réduction des dotations aux établissements de santé et médico-sociaux plus fortes que prévu. En effet, les enveloppes prévisionnelles de soins de ville, mais aussi de soins hospitaliers, ce qui n'avait pas été le cas les années précédentes, seront dépassées.
Pour sa part, l'objectif 2017 a été desserré par les pouvoirs publics à 2,1 % afin notamment de prendre en compte les augmentations de salaires accordées dans la fonction publique hospitalière - 700 millions d'euros en 2017 - et les revalorisations tarifaires portées par la nouvelle convention médicale signée en août, soit 400 millions d'euros 2017 pour un coût en année pleine proche de 1 milliard d'euros. Compte tenu de la modification de présentation comptable que j'évoquais à l'instant, une hausse de l'Ondam de 2,1 % en 2017 signifiera en réalité une hausse de 2,35 %, plus forte que celles de 2015 et 2016 dans le contexte d'une inflation toujours très faible, sans préjudice de la création d'un nouveau fonds d'innovation pharmaceutique, destiné à prendre en charge les médicaments innovants, qui se traduira en 2017 par leur financement en dehors du périmètre de l'Ondam.
Cette accélération de la progression de l'Ondam a deux inconvénients majeurs. D'une part, elle pourrait être comprise comme le signal d'un relâchement plus durable de l'évolution des dépenses d'assurance maladie. D'autre part, en ajoutant 1 milliard d'euros de dépenses supplémentaires par an à compter de 2017, elle conduit à décaler à 2019 - au lieu de 2018 - le retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Si un mouvement de réduction de la dette sociale est désormais engagé, son remboursement intégral reste à réaliser.
En 2015, la dette sociale accumulée depuis les années 1990 a commencé à baisser pour la première fois depuis 2001. Sa réduction devrait, selon la commission des comptes de la sécurité sociale, s'amplifier en 2016 et en 2017. Mais le problème de la dette sociale est encore loin d'appartenir au passé.
D'abord, la dette sociale reste considérable. Fin 2015, elle atteignait encore 156,4 milliards d'euros. Des ressources massives - 16,6 milliards d'euros en 2015 - doivent être consacrées au paiement de ses intérêts et au remboursement de son principal. Éteindre totalement cette dette d'ici à 2024, qui est le terme aujourd'hui prévu pour la mission de la Cades, est donc essentiel.
Ensuite, seul l'amortissement de la dette sociale transférée à la Cades est aujourd'hui organisé. La part de la dette financée par la voie d'emprunts de court terme émis par l'Acoss est soumise au risque d'une remontée des taux d'intérêt. Cette dette à court terme augmentera en fonction des déficits des exercices 2016 et suivants qui resteront eux-mêmes importants. Dans le même temps, la Cades ne peut plus recevoir de nouveaux déficits sans que lui soient affectées des ressources supplémentaires. En fonction du niveau des déficits futurs, la part de la dette dont le remboursement n'est pas organisé pourrait dépasser 20 milliards d'euros à fin 2018.
La Cour souligne dès lors deux priorités : d'abord, limiter l'augmentation de la dette sociale qui n'a pas encore été transférée à la Cades, en garantissant un retour à l'équilibre de la sécurité sociale en 2018 par des mesures d'économie fortes sur les dépenses d'assurance maladie ; ensuite, organiser le transfert à la Cades de la dette sociale financée par l'Acoss, sans attendre son éventuelle résorption ultérieure à partir d'excédents qui en l'état restent hypothétiques, en affectant à la Cades les ressources nécessaires à l'amortissement de cette dette d'ici à 2024. Les excédents disponibles du Fonds de réserve des retraites devraient être en particulier mobilisés par priorité à cette fin.
L'assurance maladie doit être réformée en profondeur, à l'image d'autres composantes majeures de la protection sociale.
J'en viens au deuxième message de la Cour : l'assurance maladie doit être réformée en profondeur, à l'image d'une autre composante majeure de la protection sociale dont les réformes successives ont produit des résultats importants, les retraites.
L'assurance maladie doit être réformée en profondeur, pour retrouver l'équilibre et mieux remplir sa mission d'accès aux soins, affaiblie sur le long terme pour une partie des assurés.
La situation actuelle présente en effet un paradoxe. D'un côté, la part globale de financement des dépenses de santé par l'assurance maladie est en passe de retrouver son niveau d'il y a quinze ans, en progressant sensiblement au cours de la période récente. De l'autre, la Cour observe une érosion tendancielle des niveaux individuels de prise en charge en fonction des pathologies, des actes et biens de santé, et des professionnels de santé qui en sont à l'origine.
Deux phénomènes expliquent ce paradoxe. D'une part, les dépenses liées aux affections de longue durée, couvertes à 100 %, ticket modérateur compris, tendent à évincer les autres dépenses. Alors que le coût des traitements augmente, le nombre de patients en ALD a pratiquement doublé en 20 ans, sous l'effet de l'allongement de l'espérance de vie et de la diffusion croissante de certaines pathologies. D'autre part, l'accès aux soins des assurés sociaux aux faibles revenus est affecté par les pratiques de dépassements d'honoraires ou des tarifs pris en charge par l'assurance maladie. Cette situation concerne notamment les consultations médicales, l'optique et les soins bucco-dentaires. Ces derniers concentrent la moitié des renoncements aux soins pour des motifs financiers. Certes, les assurances privées complémentaires permettent de réduire le risque de restes à charge élevés et le non-recours aux soins. Elles occupent une place très importante en France, contrairement à la plupart de nos voisins. Elles présentent cependant plusieurs limites : elles ne font pas disparaître les risques de restes à charge élevés; elles présentent un coût important pour les assurés et les employeurs (notamment du fait de frais de gestion élevés dupliquant ceux de l'assurance maladie) et pour la collectivité (à travers les aides fiscales et sociales accordées aux complémentaires d'entreprise) ; elles sont inégalitaires, défavorisant les assurés individuels, notamment les personnes âgées et les chômeurs.
La Cour avance plusieurs pistes pour renforcer la solidarité entre les assurés, améliorer l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire et mieux maîtriser les dépenses, impératif que renforce le constat de disparités inexpliquées dans les coûts de prise en charge des différentes affections de longue durée comme en particulier le diabète.
Mais des réformes opérées à rôles inchangés de l'assurance maladie et des assurances complémentaires pourraient ne pas suffire à assurer l'accès de tous aux soins dans des conditions financièrement soutenables. C'est pourquoi nous avons examiné trois scénarios de réforme portant sur l'articulation même des missions de l'assurance maladie et des assurances complémentaires.
Un premier scénario consisterait à mener à terme la généralisation des couvertures complémentaires santé, mais en resserrant fortement l'éventail des tarifs et des garanties de façon à réduire les inégalités financières dans l'accès aux soins.
Dans un deuxième scénario de moyen terme, les financements et les responsabilités de l'assurance maladie et des assurances complémentaires pourraient être « décroisés ». Les assurances complémentaires couvriraient dès le premier euro certaines dépenses que l'assurance maladie prend aujourd'hui en charge avec de faibles niveaux de remboursement. Cela permettrait de renforcer le rôle de régulation propre à chaque financeur vis-à-vis des professionnels de santé concernés et, à l'assurance maladie, de mieux couvrir certains domaines essentiels : ainsi, le ticket modérateur pourrait être supprimé pour les actes hospitaliers et les soins dentaires conservateurs qui préviennent le recours ultérieur à des prothèses. Si des mesures fortes et contraignantes de régulation des actes et des tarifs n'étaient pas adoptées dans la prochaine convention avec les chirurgiens-dentistes, dont la négociation vient de s'engager, un tel scénario pourrait être envisagé afin d'enrayer la dérive du coût des soins prothétiques.
Dans un troisième scénario de long terme, ce sont les modalités mêmes de prise en charge des dépenses de santé par l'assurance maladie qui pourraient être réformées. Un plafonnement des restes à charge pourrait être introduit, comme dans de nombreux pays européens, selon plusieurs critères possibles, par exemple en fonction de la présence ou non d'une pathologie chronique ou en fonction du revenu, comme en Allemagne.
L'assurance maladie appelle ainsi des réformes structurelles, au-delà des mesures ponctuelles qui année après année se succèdent pour permettre de tenir l'Ondam. La priorité a été, de fait, donnée aux réformes successives des retraites, l'assurance maladie constituant en quelque sorte une préoccupation de second rang. Au moment où les réformes des retraites produisent des résultats désormais visibles, le moment peut apparaître propice pour redoubler d'efforts sur ce champ.
Même si de nouveaux ajustements pourraient être nécessaires à l'avenir, les réformes des retraites montrent qu'il est possible de réformer une composante majeure de la protection sociale avec des résultats très significatifs.
Les retraites de base et complémentaires des salariés du secteur privé constituent la principale composante du système de retraites. Elles ont été réformées plusieurs fois depuis la fin des années 1980. Tous les leviers d'action ont été mis à contribution.
Ces réformes ont considérablement amélioré les perspectives financières des retraites par répartition. À chaque réforme, leur pérennité est de mieux en mieux assurée. C'est d'autant plus le cas que leurs effets ne sont pas épuisés, mais s'amplifient au fur et à mesure des nouvelles générations de retraités.
Bien sûr, les réformes ont conduit les actuels et futurs retraités, ainsi que leurs employeurs, à consentir des efforts importants. Toutefois, elles n'ont pas interrompu le progrès social permis par la hausse des rémunérations et l'allongement de la durée de vie. Ainsi, le montant moyen des pensions continue à augmenter, même s'il le fait moins rapidement qu'avant. L'âge de départ est appelé à augmenter de près de trois années entre les retraités actuels, nés en 1950, et futurs, nés en 1980. Mais, compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie, le rapport entre la durée de vie à la retraite et la durée totale de la vie sera, pour les futurs retraités, au moins égal à celui des retraités nés en 1935.
Pour autant, les problèmes financiers des retraites des salariés du secteur privé ne peuvent être considérés comme définitivement réglés.
En retenant, comme le fait le Conseil d'orientation des retraites, une hypothèse centrale de croissance annuelle de 1,5 % des gains de productivité du travail, l'équilibre financier des retraites serait certes durablement assuré. Mais cette projection apparaît optimiste. Avec une hypothèse plus prudente de 1,3 %, les retraites complémentaires seraient encore à l'équilibre, mais plus les retraites de base. Dans un scénario, également plausible, de hausse des gains de productivité limitée à 1 %, les retraites complémentaires comme les retraites de base seraient en déficit. Dans tous les cas, les déficits s'emballeraient rapidement à partir de la seconde moitié des années 2020.
La perspective de nouveaux ajustements ne peut ainsi être écartée a priori. Ils doivent être anticipés en tirant les leçons des trente années de réformes qui viennent de s'écouler.
La prise de décision doit être mieux éclairée, à partir d'un nombre plus réduit de scénarios à moyen terme et d'une analyse plus précise de l'effet des mesures envisagées. Alors que les retraites de base et complémentaires ont été réformées de manière cloisonnée, une instance de coordination entre l'État, les partenaires sociaux et les gestionnaires des régimes est indispensable pour appréhender globalement leur situation. Enfin et surtout, un processus d'ajustement progressif et continu des retraites est de loin préférable à des réformes par à-coup, présentées tous les cinq ou dix ans comme les dernières. Cela permettrait d'éviter des réactions tardives, un report excessif des efforts sur les générations les plus jeunes ou une remontée de la dette sociale. Sans priver les pouvoirs publics et les partenaires sociaux de leurs prérogatives, l'instance de coordination que je viens d'évoquer pourrait avoir pour mission de définir, par anticipation et en fonction de scénarios crédibles, les mesures à appliquer en vue d'assurer l'équilibre financier des retraites de base et complémentaires. La Cour identifie les leviers possibles à cet effet.
Le troisième et dernier constat de la Cour porte sur les gains d'efficience accrus, possibles et nécessaires, à l'hôpital et dans les organismes de sécurité sociale. La démarche de maîtrise des coûts et de retour à l'équilibre des comptes n'est là que pour servir l'objectif essentiel de tout service public : sa qualité, à toujours accroître.
La Cour souligne l'existence de marges d'efficience accrue à l'hôpital, s'agissant des prescriptions d'actes, de prestations et de biens de santé par des médecins hospitaliers.
Les dépenses réalisées à l'hôpital et en ville au titre des prescriptions hospitalières (24,7 milliards d'euros en 2014) sont particulièrement dynamiques (+32 % en euros constants entre 2007 et 2014) et prennent une place croissante dans l'Ondam. Pour autant, elles sont très imparfaitement mesurées, analysées et régulées.
Un nouveau contrat d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins entre les établissements, les agences régionales de santé et l'assurance maladie doit remplacer cinq dispositifs contractuels qui s'étaient empilés sans avoir d'effet notable sur le volume des prescriptions. Cependant, pour maîtriser plus efficacement ces dernières, il convient de responsabiliser plus directement le corps médical lui-même, collectivement et plus encore individuellement, qu'il s'agisse des prescriptions réalisées à l'hôpital ou de celles exécutées en ville.
L'informatisation des processus de soins et de gestion a beaucoup progressé. Le caractère stratégique des outils numériques a été bien assimilé par les communautés médicales. Le programme « Hôpital numérique » a mis fin à l'attribution au coup par coup de financements, en affirmant des objectifs de mise à niveau de la sécurité et des services rendus par les systèmes d'information de l'ensemble des hôpitaux.
Néanmoins, des progrès importants sont encore à réaliser, qu'il s'agisse du pilotage national des systèmes d'information hospitaliers ou de la capacité des applications à communiquer entre elles. Une mutualisation des fonctions informatiques de différents établissements est aussi attendue des nouveaux groupements hospitaliers de territoire. Au-delà, les systèmes d'information hospitaliers doivent s'ouvrir en direction des autres acteurs du système de soins, notamment les médecins de ville et les professions paramédicales.
La recherche de gains d'efficience accrus concerne aussi les organismes de sécurité sociale.
La certification obligatoire des comptes de la sécurité sociale par la Cour pour le régime général depuis dix ans et, pour les autres régimes, par des commissaires aux comptes depuis huit ans, a contribué à deux progrès majeurs : une transparence et une sincérité accrues des comptes ; la modernisation de l'organisation, des processus et des outils de gestion des organismes de sécurité sociale.
Les comptes sont aujourd'hui tous certifiés, mais souvent avec des réserves. En particulier, des erreurs trop nombreuses continuent à affecter le versement des prestations sociales au regard des règles de droit applicables, au détriment des organismes, mais aussi souvent des assurés. Ce constat invite à sécuriser encore les processus de gestion.
Par ailleurs, l'intégration croissante des régimes de sécurité sociale devrait conduire à instaurer un compte combiné par risque (maladie, vieillesse...), puis un compte combiné global de tous les régimes de sécurité sociale. Ces nouveaux comptes, eux aussi soumis à certification, permettraient de fournir une représentation financière plus complète de la sécurité sociale.
Cour appelle également à une réflexion approfondie sur la gestion des ressources humaines de la sécurité sociale.
Des efforts importants ont été accomplis. Ainsi, les effectifs du régime général ont été réduits de 17 700 emplois, soit 10,8 %, entre 2005 et 2015. Cette réduction a permis de stabiliser la masse salariale depuis 2009 en compensant l'incidence d'augmentations salariales parfois insuffisamment rigoureuses.
Cependant, la productivité des organismes de sécurité sociale est affectée par une durée annuelle du travail inférieure à la durée légale (1 540 heures en moyenne en 2014 contre 1 607 heures) et un absentéisme élevé (8,9 % en moyenne), qui représentent au total l'équivalent de 10 000 emplois.
Les importantes disparités territoriales constatées en matière d'absentéisme soulèvent la question de leur prévention et de leur contrôle.
Les caisses de sécurité sociale vont connaître des départs massifs à la retraite (de l'ordre de 55 000 pour le seul régime général dans les dix ans). Toutefois, les gestionnaires apparaissent très largement impréparés à ce défi, qui constitue une opportunité pour dégager des gains de productivité, adapter les compétences aux besoins et continuer à rationaliser les réseaux des caisses, comme la Cour l'a préconisé dans son rapport de l'année dernière.
Définir une stratégie de modernisation des ressources humaines de la sécurité sociale est urgent.
Illustration de ces nécessités de rationalisation et d'évolution, la fonction informatique de la sécurité sociale, malgré son caractère stratégique, est fragmentée sur un triple plan institutionnel, géographique et fonctionnel. Cela affecte l'emploi efficient des ressources importantes qui lui sont consacrées et ralentit la modernisation de systèmes d'information souvent anciens.
Faire gagner en efficience la fonction informatique suppose de rassembler sous une même autorité les agents qui y concourent, de regrouper les activités sur un nombre plus réduit de sites, de consolider les compétences internes afin de réduire le recours à des prestataires externes et de renforcer les mutualisations.
En dernier lieu, moderniser la sécurité sociale nécessite de mener à terme des réformes aujourd'hui au milieu du gué.
Depuis les années 1960, le régime minier de sécurité sociale connaît un déclin démographique irréversible. Comme la Cour l'avait recommandé, il a été fermé à de nouvelles affiliations et la gestion des prestations est depuis l'année dernière confiée en totalité à d'autres opérateurs. Reste aujourd'hui une caisse dont la raison d'être a disparu et qui se contente de piloter un réseau de plus de 260 structures de soins, dont l'important déficit est pour partie sous-évalué.
Sans remettre en cause les droits des assurés du régime, garantis par la loi, la Cour préconise de fermer la caisse à un terme rapproché. À la suite de réorganisations plus profondes que celles aujourd'hui engagées, les structures de soins, ainsi rendues viables, seraient alors confiées à des opérateurs publics ou privés à but non lucratif. C'est la condition de leur pérennité.
Je conclurai en revenant sur le déficit de la sécurité sociale. Il n'est ni légitime - il crée des dettes dont la charge se reporte sur les générations futures -, ni fatal. Il peut être résorbé à un terme rapproché sans nouvelles hausses de recettes, en mettant en oeuvre des réformes structurelles qui conjuguent efficience accrue des dépenses, gestion plus efficace et amélioration du service rendu.
Les déficits et la dette sociale vont continuer à reculer en 2016 et en 2017. De telles embellies ont déjà été constatées dans le passé sans être durables car l'effort s'est trop vite relâché. Même s'il est encore inachevé, le redressement financier des retraites des salariés du secteur privé montre que des réformes structurelles, conduites dans la durée, valent la peine pour préserver notre protection sociale.
Faire des choix clairs, s'attaquer méthodiquement et avec ténacité aux sources d'inefficacité et d'inefficience, en exploitant l'ensemble des apports du numérique, poursuivre ces actions avec détermination dans la durée et éteindre totalement la dette sociale d'ici à 2024, sont autant de leviers pour préserver la sécurité sociale, au service d'abord des plus fragiles qu'elle a pour mission de protéger en priorité.
C'est dans cette perspective que s'inscrivent les analyses et recommandations de la Cour.