Intervention de Antoine Durrleman

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 septembre 2016 à 10h15
Rapport annuel de la cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de M. Antoine duRrleman président de la sixième chambre de la cour des comptes

Antoine Durrleman, président de la Sixième chambre de la Cour des comptes :

Comme nous, M. Roche se félicite de la consolidation du tableau d'équilibre qui permet d'avoir une vision de la réalité des déficits : lorsque le Sénat relaie les observations de la Cour des comptes, celles-ci sont plus rapidement mises en oeuvre.

Nous ne sommes pas opposés au transfert entre 2017 et 2020 du minimum contributif sur les régimes de base d'assurance vieillesse, soit 3,6 milliards d'euros. À une époque, le Gouvernement avait voulu soulager le régime vieillesse d'un certain nombre de charges pour réduire son déficit. Aujourd'hui que le retour à l'équilibre se confirme, on observe un mouvement inverse. C'est un jeu d'écriture. Certes, le minimum contributif est réservé aux personnes qui ont cotisé à des régimes de retraite, mais il s'agit aussi d'un complément non cotisé pour monter la pension au montant qui a été défini par décret. C'est donc également un élément de solidarité nationale.

En revanche, l'affectation des réserves de la section III, soit 800 millions d'euros, au fonds de financement de l'innovation pharmaceutique pourrait surprendre. En transférant des fonds consacrés à la retraite à l'assurance maladie, on franchit la barrière des espèces. Ces fonds pourraient en effet utilement contribuer à la résorption du déficit du FSV. Le dispositif est ingénieux mais pose question.

Le développement de l'ambulatoire suppose un accompagnement au domicile par des structures appropriées, qu'il s'agisse des professions libérales de santé, de soins infirmiers ou de l'hospitalisation à domicile qui, jusqu'à présent, ne se sont pas beaucoup développés dans notre pays. Nous appelons donc l'hôpital à faire des efforts d'efficience, afin de basculer les économies qu'il pourrait dégager sur l'amélioration du service rendu aux assurés sociaux et aux patients.

Mme Cohen s'interroge sur la façon dont nous envisageons le recyclage de l'effort public sur les contrats exposés aux risques les plus élevés. Aujourd'hui, le système de souscription de contrats complémentaires aide les « bons risques », c'est-à-dire la population plutôt jeune et active, celle que les assureurs estiment peu coûteuse en matière de remboursements. En revanche, la population de « mauvais risques », en particulier les personnes âgées, se retrouve dans une logique de démutualisation. Les coûts d'accès sont en effet très élevés. Il y a cinq ans, nous avions déjà évoqué cette question dans notre rapport sur la sécurité sociale.

En 2010, nous avons analysé le secteur des soins bucco-dentaires : notre constat avait été très sévère. En 2016, la situation s'est aggravée, avec un désengagement accru de la sécurité sociale et une augmentation des dépassements d'honoraire. Pour la première fois, nous avons exploité le système d'information de l'assurance maladie et nous avons constaté qu'en région parisienne, même sur les soins conservateurs comme le détartrage et les caries, les dépassements sont systématiques alors qu'ils sont interdits par la convention. C'est pourquoi nous estimons que la future convention actuellement en négociation doit être un succès. Si tel n'était pas le cas, il conviendrait de prendre autrement en charge les dépenses, sans réduire la solidarité mais en renforçant la prévention.

La convention de 2011 avait mis en place le programme de prévention chez les jeunes : « Aime tes dents ». Ce fut un succès. En revanche, dès la sortie du système scolaire, les jeunes adultes ne vont plus chez le dentiste. Ils ne reviennent que lorsque leurs dents sont très abimées et qu'ils doivent avoir recours à une prothèse. Un vrai parcours de soins permettrait aux jeunes adultes d'être régulièrement suivis. Un décroisement permettrait sans doute d'aller en ce sens.

Une prise en charge à 100 % ? Nous ne sommes pas sortis du cadre fixé par les pères fondateurs de la sécurité sociale de 1945, qui souhaitaient une participation même minime des assurés à leurs dépenses de soins. Nous nous devons néanmoins d'intégrer à nos réflexions le progrès médical qui, aujourd'hui, est assez extraordinaire, mais aussi coûteux. La pertinence des actes est donc une question centrale. Il y a deux ou trois ans, vous nous aviez demandé d'étudier la biologie médicale : nous avions alors noté combien le dosage de la vitamine D chez les personnes âgées, qui coûtait 100 millions d'euros par an, n'était pas justifié. L'assurance maladie a agi pour réduire cette dépense. Il existe encore des marges d'économies pour financer les progrès médicaux comme l'imagerie, la biologie, les médicaments innovants.

En ce qui concerne les personnels, une modernisation est possible. Il ne s'agit pas d'abandonner le contact entre les organismes de sécurité sociale et les assurés, mais il n'est pas nécessairement celui du point de traitement des dossiers qui peuvent être examinés à distance.

Le dispositif du fonds de financement de l'innovation est complexe car il se régulera sur cinq ans : un déficit sera possible dans la limite de 25 % du fonds de réserve, mais il pourra aussi accumuler des excédents. En 2017, ce fonds sera financé par un transfert venant du FSV, ce qui réduit d'autant le caractère contraignant de l'Ondam. Nous verrons si les 220 millions prévus correspondent aux besoins.

Dans le domaine des médicaments, 1,4 milliard d'euros d'économies sont attendues. En revanche, nous ne disposons pas de toise pour les mesurer précisément. Mais nous savons qu'il reste des marges d'économies. Certes, les génériques se sont généralisés, mais moins que chez nos voisins et ils restent plus chers en France qu'à l'étranger. Nous y reviendrons l'an prochain.

Vous m'avez demandé si la Cour des comptes intégrait dans sa réflexion sur les retraites les questions des régimes spéciaux et de la fonction publique. Un rapport sur les régimes de retraites des trois fonctions publiques va prochainement être publié. En 2012, nous avons analysé les effets des réformes sur le régime de la RATP et de la SNCF. Le COR a beaucoup travaillé sur cette question.

Le cadre de concertation ne vide pas de sa substance le COR et le Comité de suivi. Le COR s'est montré très pédagogique même s'il nous semble parfois un peu optimiste. Le Comité de suivi est, quant à lui, un outil précieux.

En 2013, les régimes complémentaires Agirc-Arrco ont mené une réforme a minima, supposant que la loi annoncée pour 2014 réformerait le régime de base. Ce ne fut pas le cas si bien que cette réforme n'a pas permis le retour à l'équilibre des régimes complémentaires. En octobre 2015, ceux-ci ont donné rendez-vous au régime général en 2019, considérant que si rien n'était fait à cette date, ils décaleraient de leur propre chef l'âge d'ouverture des droits. Les régimes Agirc-Arrco prennent donc en otage le régime de base dans l'optique d'une réforme dont personne ne sait si elle interviendra. On aurait pu agir de façon plus cohérente.

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