Notre commission manifeste traditionnellement une réticence à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance et s'attache à contrôler, lors de la ratification de cette dernière, l'usage que le Gouvernement a pu faire de l'habilitation que lui a consentie le Parlement. Nos collègues Jean-Jacques Hyest et Christophe-André Frassa et, plus récemment, André Reichardt, ont ainsi présenté des rapports sur les projets de loi de ratification de la réforme des procédures collectives et de la réforme des marchés publics. Leurs travaux nous ont été précieux lorsque le Gouvernement a demandé de ratifier ces ordonnances au détour d'amendements introduits dans d'autres véhicules législatifs.
L'histoire se répétant, le Gouvernement a sollicité par amendement de ratifier l'ordonnance du 23 juillet 2015 portant simplification du régime des associations et des fondations, dans le cadre du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté dont le Sénat sera saisi en séance publique la semaine prochaine. Les délais pour la publication de l'ordonnance et le dépôt du projet de loi de ratification ayant été respectés, l'ordonnance est actuellement en vigueur.
De manière générale, le Gouvernement, dans le cadre d'un travail interministériel, a veillé à simplifier les relations entre les associations et les fondations, d'une part, et les administrations, d'autre part. Il a clarifié un « tronc commun d'agrément » lorsque l'État et ses établissements publics sont appelés à se prononcer sur le respect des critères statutaires par une association : la poursuite d'un objet d'intérêt général, un mode de fonctionnement démocratique et le respect des règles de nature à garantir la transparence financière. Alors que, auparavant, plusieurs départements ministériels étaient appelés à se prononcer successivement au risque de se contredire dans leur analyse, l'appréciation portée par un ministère vaut désormais pour la durée de l'agrément, soit cinq ans. Naturellement, l'instruction demeure pour les agréments spécialisés ou ceux qui sont délivrés par les collectivités territoriales.
L'ordonnance a également allégé les modalités de contrôle administratif sur certaines associations, sans pour autant supprimer tout contrôle - j'y ai veillé lors de mon examen. Par exemple, si l'obligation faite aux associations régies par la loi du 1er juillet 1901 de tenir un « registre spécial » retraçant les modifications dans leur administration et leurs statuts est tombée en désuétude, ces informations continuent d'être transmises en préfecture, de sorte qu'elles restent disponibles pour l'administration. Autre exemple : l'ordonnance a supprimé l'obligation pour les associations cultuelles de tenir un état annuel des recettes et des dépenses, car ces associations s'y soumettent déjà au titre des dons qu'elles reçoivent et qui donnent lieu à un avantage fiscal.
Enfin, l'ordonnance a opéré plusieurs harmonisations entre le droit local d'Alsace-Moselle et celui de la loi de 1901. Ces modifications respectent la jurisprudence constitutionnelle puisqu'elles opèrent des rapprochements avec le droit commun. L'Institut du droit local m'a confirmé que ces dispositions ne soulevaient pas d'objection.
Pour l'essentiel, l'ordonnance s'est inspirée avec bonheur de réflexions anciennes, issues notamment du rapport que notre collègue député Yves Blein a remis au Premier ministre, en octobre 2014.
Seul point délicat, les articles 8 à 10 de l'ordonnance ont réformé en profondeur la législation de 1991 relative à l'appel à la générosité publique. À la suite du scandale de l'ARC, l'État a imposé une procédure particulière à tout organisme susceptible de solliciter des dons par une campagne d'appel à la générosité publique, avec l'obligation de déposer une déclaration préalable auprès de l'administration et de se soumettre à des mécanismes de contrôle pour l'usage des fonds collectés. Les derniers rapports de la Cour des comptes et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ont montré que plus de la moitié des organismes soumis à cette législation contreviennent à certaines obligations élémentaires de publicité.
L'ordonnance a remplacé l'expression « appel à la générosité publique » par les termes « appel public à la générosité », sans indiquer s'il s'agissait d'une simple modification terminologique ou d'une modification du champ d'application de la législation, car exiger un « appel public » et non plus un simple appel pourrait faire échapper un certain nombre d'organismes à tout contrôle. L'ordonnance a également supprimé la notion de « campagne » de dons, car les appels aux dons peuvent désormais être permanents, notamment lorsqu'ils apparaissent sur un site internet. Enfin, les obligations de déclaration à l'administration et de publication d'un compte d'emploi des ressources ont été réservées aux organismes dont les ressources excèdent un seuil fixé par voie réglementaire.
De telles modifications posent la question du respect de l'habilitation consentie par le Parlement, dont l'objet était uniquement d'autoriser la simplification des formalités applicables aux associations et aux fondations. Or, en 1991, le législateur avait volontairement retenu la notion d'« organisme », pour intégrer les associations et fondations, mais aussi les mutuelles et désormais les fonds de dotation, sans exclure les éventuels groupements de fait. Les modifications opérées par ordonnance excèdent donc le champ de l'habilitation, qui est d'interprétation stricte comme toute délégation de compétence. Par conséquent, j'ai déposé des amendements pour rétablir le droit antérieur aux articles 8 à 10 de l'ordonnance. La commission pourrait ainsi sanctionner l'empiètement du Gouvernement hors de sa délégation.
Cependant, le Parlement reste libre, au moment de la ratification, de reprendre à son compte les dispositions qui excédent l'habilitation, en y apportant les modifications qu'il souhaite. D'où ma proposition d'un amendement alternatif grâce auquel les modifications de l'ordonnance seraient conservées pour l'essentiel et les améliorations réglementaires à venir - comme la création de sanctions pénales en cas de non-déclaration ou de non-transmission des documents sollicités par les corps de contrôle - ne seraient pas remises en cause.
Quant au changement terminologique entre « appel public à la générosité » et « appel à la générosité publique », le ministre pourrait, en séance publique, nous confirmer qu'il n'a pas eu pour effet de modifier le champ d'application de cette législation. Si un organisme envoie massivement des courriers personnalisés, est-ce toujours un appel public ? À mon sens, oui, car il s'agit d'un appel au public, c'est-à-dire au-delà d'un cercle restreint.
Enfin, l'amendement alternatif que je vous propose supprime tout recours à un seuil financier pour distinguer les obligations des organismes faisant appel public à la générosité. Mieux vaut un principe simple : lorsqu'un organisme se lance dans une telle procédure, il le déclare à l'administration et prépare un compte d'emploi des ressources. On retrouvera ainsi l'esprit du dispositif antérieur à l'ordonnance. Je ne m'attarderai pas sur les difficultés de mise en oeuvre de ces seuils, car le Gouvernement envisage des seuils différents selon le type d'obligation, ce qui signifie qu'un organisme pourrait ne pas être tenu de déclarer sa collecte, mais être obligé de déposer un compte d'emploi des ressources collectées. À la question de savoir comment l'administration pourrait contrôler le respect de l'obligation de publication du compte si elle n'était pas destinataire d'une déclaration préalable, il m'a été répondu que les corps de contrôle peuvent toujours contrôler en surveillant sur internet...
Il serait irréaliste de croire que l'administration a les moyens de contrôler tous les organismes. L'essentiel est de ne pas la dépouiller de ceux dont elle dispose et qui sont nécessaires. En soumettant les organismes à une déclaration préalable, on les incite à la vertu tout en donnant confiance aux donateurs. Quant au compte d'emploi de ressources, le Gouvernement envisage un seuil financier si faible - aux environs de 10 000 euros - qu'on en perçoit mal l'intérêt. C'est une précaution élémentaire que d'instituer une obligation de rendre compte aux donateurs de l'affectation des fonds collectés.
Par conséquent, nous pouvons soit considérer que les relations entre un donateur et un organisme collecteur sont d'ordre privé, ce qui rend la puissance publique peu légitime à intervenir, sauf en cas d'avantage fiscal au don, soit maintenir la position du législateur en 1991, selon laquelle l'appel public à la générosité repose sur la confiance des donateurs que l'État peut favoriser par ses contrôles et les règles qu'il institue. À la commission de se prononcer pour rétablir l'état antérieur du droit lorsque les modifications ont excédé le champ de l'habilitation, ou pour confirmer l'essentiel de ces modifications sous réserve du rétablissement des possibilités de contrôle par l'administration des organismes faisant appel public à la générosité.