Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étions déjà peu enclins à voter cet article 25, mais le dépôt de l'amendement n° 168 de la commission des finances nous renforce dans notre décision.
Les enseignants ne manqueront sans doute pas d'apprécier un tel amendement, qui vise à les évaluer en fonction des résultats scolaires des élèves dont ils ont la charge !
Cette proposition n'est, en fait, qu'une simple transposition mécanique de la culture d'entreprise au monde de l'éducation, qui tend à mesurer les performances aux résultats et aux objectifs atteints.
Dans l'esprit des concepteurs de cet amendement, les indices de performance sont explicitement et exclusivement les résultats atteints par les élèves, autrement dit leurs résultats aux examens. Aucune référence n'est faite aux progrès des élèves, à leurs efforts, à l'évolution de leurs motivations, à leur intégration dans la vie scolaire, à leur participation à la vie sociale de leur classe ou de leur établissement, bref à tout ce qui mobilise au quotidien les enseignants pour favoriser la réussite de tous.
Un tel amendement appelle plusieurs commentaires.
Premièrement, cette perception du travail des enseignants est extrêmement réductrice au regard de la complexité des actions éducatives et pédagogiques qu'ils déploient pour permettre à chaque élève de progresser et de réussir. Elle est, en ce sens, révélatrice d'une méconnaissance profonde de la réalité du travail des enseignants.
Deuxièmement, en proposant de moduler la notation des enseignants en fonction des résultats scolaires des élèves, les auteurs de cet amendement font des enseignants les principaux responsables de la réussite ou de l'échec scolaires. Cette culpabilisation des enseignants n'est pas acceptable alors que, nous le savons tous, les inégalités sociales et culturelles pèsent principalement sur les parcours scolaires et que l'insuffisance des moyens accordés par l'Etat à l'éducation nationale pour combattre ces inégalités est tout aussi déterminante.
Troisièmement, je vous invite à réfléchir, mes chers collègues, au caractère aléatoire, et donc injuste, d'une telle mesure. Est-il vraiment pertinent de fonder la notation des enseignants sur les résultats des élèves, indépendamment de l'environnement social, culturel, économique des établissements ?
Les auteurs de ce texte imaginent-ils un seul instant qu'il soit plus méritoire d'obtenir 90 % de réussite au brevet des collèges dans un établissement recevant des élèves de milieux relativement favorisés que de parvenir à motiver et faire progresser jour après jour, au prix d'efforts opiniâtres et patients, des élèves en grande difficulté dans un établissement accueillant principalement des élèves de milieux défavorisés ?
Enfin, je considère que cette proposition est particulièrement choquante en ce qu'elle laisse penser que les enseignants ne font pas suffisamment pour conduire leurs élèves sur le chemin de la réussite. Plus grave, elle suggère que l'introduction de la notion de résultats scolaires des élèves dans la notation des enseignants serait indispensable pour les motiver dans leur mission. Elle induit que leur conscience professionnelle est perfectible, que leur engagement dans leur enseignement n'est pas total, que l'attention qu'ils portent à la réussite de leurs élèves est insuffisante et mérite d'être améliorée, au point d'instituer une notation à la performance.
Je veux le dire avec force, je ressens cette proposition comme une véritable déclaration de guerre aux enseignants.
Certes, vous vous en défendez, mais il faut tout de même avoir une certaine dose de mépris à l'égard des enseignants pour imaginer que leur engagement auprès des élèves pour les conduire sur le difficile chemin du savoir, de l'acquisition de connaissances et de compétences, c'est-à-dire sur le chemin aussi incertain de la réussite, puisse dépendre une seule seconde d'une éventuelle perspective d'amélioration de leur propre notation.
Franchement, mes chers collègues, nos enseignants, dont le dévouement, les compétences et l'attachement à leur mission constituent l'un des principaux atouts de notre système d'éducation, méritent mieux que cette stigmatisation.