Madame la présidente, madame la présidente et rapporteur de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons donc pour débattre en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.
Les sujets qui viennent rechercher la protection de la loi sont des sujets de fond : le renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, l’élargissement à tous les journalistes du droit d’opposition, les chartes d’éthique professionnelle dans les médias, l’indépendance de l’information et, enfin, le renforcement du rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, dans le respect des procédures. Pourtant, votre commission estime que c’est un texte de circonstance !
Garantir la qualité de l’information et l’indépendance des journalistes face aux intérêts économiques est pourtant un objectif majeur dans le monde d’aujourd’hui, où la profusion des modes de diffusion rend l’information omniprésente, mais sans que toutes les garanties d’éthique et d’indépendance nécessaires soient systématisées.
Dès lors, les mesures prévues dans le texte sont, me semble-t-il, de nature à renforcer la confiance du public envers les médias et, à ce titre, à contribuer au meilleur fonctionnement de notre démocratie.
À cet égard, j’ai appris que l’examen par le Sénat du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté a donné lieu à des amendements de la commission des lois qui remettraient en cause les principes fondateurs de la loi de 1881. Il est en particulier proposé de rendre possible la poursuite des infractions au droit de la presse devant les seules juridictions civiles, en dommages et intérêts. Je tiens à alerter votre assemblée sur le risque de voir, grâce à cela, de grands groupes économiques faire pression sur les médias.
La présente proposition de loi revient devant vous en nouvelle lecture après l’échec de la commission mixte paritaire, le 14 juin dernier.
L’Assemblée nationale a repris ses travaux dès le mois de juillet dernier et, sur les 31 articles que comporte le texte, 21 restent en discussion pour cette nouvelle lecture. Parmi ces derniers, 9 n’ont fait l’objet d’aucune modification lors de l’examen en nouvelle lecture de la proposition de loi par l’Assemblée nationale, ce qui souligne la prise en compte des apports du Sénat que j’ai moi-même, pour la plupart, salués.
C’est ainsi qu’ont été conservés les apports sénatoriaux relatifs, par exemple, à l’obligation de la transmission de la charte aux journalistes ou à la définition du champ d’application du droit d’opposition, lequel intègre, conformément à une proposition de la présidente de votre commission, la notion de « programmes qui concourent à l’information ».
D’autres apports du Sénat ont permis des clarifications utiles : l’unification du régime de protection des lanceurs d’alertes, la sécurisation juridique des décisions de la commission du réseau du Conseil supérieur des messageries de presse ou encore des compétences de la Commission des droits d’auteur des journalistes.
Enfin, des dispositions nouvelles introduites par le Sénat ont été votées par l’Assemblée nationale. Je pense notamment à l’encadrement de l’application par les distributeurs de la numérotation logique des chaînes de télévision.
De la même manière, l’Assemblée nationale a conservé l’esprit de l’article 7 bis adopté par le Sénat, qui étend aux chaînes parlementaires le dispositif des comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, n’y apportant qu’une modification rédactionnelle.
Dans ces conditions, compte tenu de ce travail fécond, je ne crois pas que l’on puisse faire le constat d’un impossible dialogue.
En revanche, des divergences d’appréciations sont restées fortes. Sur la question de la protection du secret des sources des journalistes, que votre commission a souhaité déléguer au fond à la commission des lois, le désaccord est profond.
Il est vrai que les positions exprimées sur cette question ici même, lors de l’examen de ce texte en avril dernier, tranchaient singulièrement avec l’unanimité obtenue à l’Assemblée nationale sur la base de l’amendement que j’avais proposé au nom du Gouvernement.
J’ai eu l’occasion de le dire lors des précédents débats : la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes est insuffisamment protectrice. C’est le point de vue de nombreuses organisations de journalistes, mais aussi d’éditeurs de presse qui demandaient qu’elle soit améliorée.
C’est pourquoi, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a travaillé à une amélioration de ces dispositions. La chancellerie, le ministère de l’intérieur et mon administration, notamment, ont recherché un juste point d’équilibre au terme de nombreux échanges avec les parlementaires et avec la profession. Ces échanges ont abouti, d’ailleurs, au dépôt d’un projet de loi en juin 2013.
La rédaction que j’ai proposée est conforme aux recommandations formulées par le Conseil d’État lors de sa consultation sur ce projet de loi, et parfaitement compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Les divergences profondes qui ont vu le jour à l’occasion de l’examen de cet article par votre assemblée portent sur des points essentiels.
Pour le nombre limité de cas dans lesquels le secret des sources peut être levé à l’occasion d’une enquête judiciaire, le texte veille à définir précisément une liste d’infractions parmi les plus graves de notre code pénal. Dans cette logique, le Gouvernement a proposé à l’Assemblée nationale de retenir comme mesure de la gravité une peine homogène de sept ans de prison. Votre proposition visait au contraire à réintroduire la notion, aux contours pourtant imprécis, « d’impératifs prépondérants d’intérêt public ».
Sur la question essentielle du champ de la protection du secret des sources, vous avez souhaité réduire strictement ce champ aux seuls journalistes, là où le texte adopté par l’Assemblée nationale élargissait au contraire la protection des sources aux collaborateurs de la rédaction et au directeur de la publication, afin d’englober la chaîne de production de l’information. Dans la pratique, cette garantie est essentielle.
Votre proposition a également supprimé la protection des journalistes contre les poursuites judiciaires pour recel de violation du secret de l’instruction ou des atteintes à la protection de la vie privée, alors que cette protection supplémentaire est, elle aussi, essentielle dans le texte soutenu par le Gouvernement.
Enfin, sur le quatrième point majeur du texte, à savoir l’intervention préalable d’un magistrat pour autoriser une mesure d’enquête portant sur les sources d’un journaliste, vous avez placé l’intervention du juge des libertés sur le même plan que celle du juge d’instruction. Nous estimons au contraire que l’intervention préalable d’un magistrat indépendant de l’instruction en cours est un gage essentiel d’indépendance dans la procédure.
Madame la présidente de la commission, vous avez souhaité soumettre à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication une motion de procédure tendant à opposer la question préalable, qui a été adoptée lors de vos travaux du 21 septembre dernier. Votre assemblée souhaitera probablement adopter de cette motion de procédure. Pour ma part, je regretterai cette décision, car elle nous prive de la possibilité de rechercher encore des convergences.
S’agissant de l’urgence, vous savez que les travaux sur ces sujets ont été entamés depuis plusieurs années et qu’un projet de loi du Gouvernement a même été déposé en juin 2013 sur le sujet de la protection du secret des sources des journalistes, qui est précisément celui qui nous oppose.
S’agissant de la procédure accélérée, l’examen en lecture définitive devant l’Assemblée nationale n’interviendra que le jeudi 6 octobre prochain, soit huit mois après le dépôt de cette proposition de loi.
Je regrette que nous ne puissions avoir à nouveau des échanges constructifs et sincères, tels que ceux que nous avons eus sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, car la liberté d’informer me semble mériter tout autant l’attention du Sénat.