Intervention de Mireille Jouve

Réunion du 29 septembre 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Rejet en nouvelle lecture d'une proposition de loi

Photo de Mireille JouveMireille Jouve :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes donc réunis aujourd’hui pour examiner, une fois n’est pas coutume, le texte issu de l’Assemblée nationale et nous positionner sur la motion tendant à opposer la question préalable déposée par Mme la rapporteur.

Disons-le d’emblée, cette proposition de loi, en raison de l’actualité des sujets qu’elle aborde et du temps qu’il a fallu pour qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour, méritait mieux que la probabilité d’un rejet en bloc lors de sa nouvelle lecture. Ne l’oublions pas, des études récentes nous rappellent qu’un quart seulement des Français jugent les journalistes indépendants du pouvoir et de l’argent. N’oublions pas non plus le dernier classement de Reporters sans frontières montrant que la France a dégringolé, en matière de liberté de la presse, de la trente-huitième à la quarante-cinquième place sur une liste de 180 pays.

Alors, oui, à l’aune de ces résultats pour le moins préoccupants, une loi sur la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias paraît plus que jamais nécessaire. Oui, ce texte comporte des avancées notables, sinon essentielles, qui devraient justifier à elles seules que notre assemblée puisse débattre de l’ensemble du texte. Tel ne sera manifestement pas le cas, et nous sommes plusieurs, au sein du groupe du RDSE, à le regretter.

J’en viens à ces mesures importantes rétablies par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture et qui rencontrent sur ces travées une opposition assez inattendue.

L’une des dispositions majeures concerne le droit d’opposition que l’article 1er tend à ouvrir à l’ensemble des journalistes. Était-il cohérent de le réduire, ainsi que l’a décidé notre commission en première lecture, aux seuls actes contraires à la charte déontologique de l’entreprise quand, dans le même temps, le rôle des représentants des journalistes dans l’adoption de cette charte était dénié ? C’est loin d’être certain ; c’est pourquoi la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale me semble préférable. Rappelons d’ailleurs que, dans le texte que nous examinons aujourd’hui, la notion de « conviction professionnelle » est venue remplacer celle, effectivement trop incertaine, « d’intime conviction professionnelle ». Cette « conviction professionnelle », dont peuvent déjà user les journalistes de l’audiovisuel public – alors, pourquoi pas les autres ? – fonde le droit d’opposition du journaliste dans le respect de la charte déontologique de l’entreprise éditrice, charte rédigée conjointement par la direction et les représentants des journalistes.

Une autre avancée essentielle est la protection du secret des sources des journalistes. Elle est renforcée par l’article 1er ter, adopté, je le rappelle, à l’unanimité par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale en première lecture. Cette clarification ne devrait-elle pas rencontrer davantage de consensus, en tant qu’elle est un fondement de la liberté et de l’indépendance de la presse ? Mes chers collègues, la loi du 4 janvier 2010 a en effet officiellement inscrit le principe du secret des sources des journalistes dans la grande loi fondatrice sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, mais elle recèle, de l’avis de tous les professionnels, des restrictions et des ambiguïtés fâcheuses.

Rappelons-nous, à l’été 2010, peu après l’adoption de cette loi, l’histoire des factures électroniques détaillées d’un journaliste du journal Le Monde interceptées par la direction centrale du renseignement intérieur afin d’identifier sa source. Existait-il un « impératif prépondérant d’intérêt public » pour missionner ainsi les services du renseignement intérieur ? Comment, dès lors, s’opposer à un texte qui tend à définir de façon plus claire et plus limitative les conditions permettant de porter atteinte au secret des sources ? L’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, plus protectrice que notre droit positif actuel, indique pourtant : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. » Ce n’est pas un hasard si tous les syndicats de journalistes ont publiquement manifesté leur opposition à la loi dite Dati et si le renforcement de la protection des sources faisait partie des promesses du Président de la République.

Où en est, aujourd’hui, l’indépendance de la presse dans notre pays, et comment concilier les conflits d’intérêts qui peuvent surgir dès lors qu’un groupe de médias appartient à une entreprise dont les intérêts n'ont rien à voir avec la bonne information du public ? Cette loi vient justement apporter des réponses aux éventuelles – mais réelles – pressions que les directions pourraient vouloir exercer sur leurs journalistes dans l’exercice de leur métier.

Il n’est pas de liberté sans liberté de la presse, et je veux reprendre ici les mots bien connus de Victor Hugo, prononcés sur d’autres bancs en 1848 : « Le principe de la liberté de la presse n’est pas moins essentiel, n’est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. […] Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre […] Messieurs, vous avez le plus beau de tous les titres pour être les amis de la liberté de la presse, c’est que vous êtes les élus du suffrage universel. »

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le sujet était trop sérieux pour que l’on sursoie au débat. Avec la majorité de mes collègues du RDSE, je voterai donc contre cette motion, regrettant de ne pouvoir poursuivre la discussion sur une question aussi importante.

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