Intervention de David Assouline

Réunion du 29 septembre 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Rejet en nouvelle lecture d'une proposition de loi

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’ai beaucoup entendu dire ici et là, depuis que nous débattons de ce texte, y compris lors des auditions que nous avons menées au Sénat, que cette proposition de loi était non seulement inutile, mais aussi néfaste en jetant la suspicion sur le monde médiatique.

Mme Mélot vient de confirmer qu’elle est le relais dans cet hémicycle de cette position. C’est vraiment méconnaître les enjeux et les interrogations auxquels nous sommes confrontés pour tenter d’apporter des réponses lors de la discussion de cette proposition de loi. C’est avec émotion que je redis notre satisfaction qu’elle devienne bientôt la loi de la République.

Le monde politique et la presse traversent actuellement une crise de confiance. Nous avons beaucoup à faire pour la surmonter, restaurer la crédibilité des médias et pour répondre à l’irrationalité qui s’étend dans un nouveau contexte où la rumeur a autant de poids qu’une information vérifiée, où les campagnes de propagande pour promouvoir telle ou telle contrevérité pèsent autant que d’autres informations. Si cette orientation se confirmait, cela constituerait une véritable régression.

Nous devons donc agir pour asseoir de nouveau cette crédibilité et, surtout, garantir à nos concitoyens une information libre, indépendante et pluraliste. Ils doivent pouvoir choisir, car la vérité n’est jamais monolithique et ne provient jamais d’un seul vecteur.

Penser que tout cela est secondaire et que le débat risquerait de faire naître le discrédit, c’est passer à côté de l’état d’esprit des Français, qui éprouvent déjà une suspicion maximale. Il faut au contraire lever toute suspicion.

Si nous avons jugé qu’il fallait légiférer assez vite, c’est parce que, ces derniers temps, ont éclaté des affaires, des controverses, liées à ce qui était considéré par des journalistes, et de façon plus large par une partie de l’opinion publique, comme des ingérences ou des pressions d’actionnaires détenant des médias.

La représentation nationale peut décider de rejeter ces arguments en estimant qu’ils relèvent de la suspicion, ou au contraire réfléchir aux moyens d’action concrets contre ce phénomène. C’est en ce sens que j’ai déposé une proposition de loi sur le bureau du Sénat et que Patrick Bloche a fait de même à l’Assemblée nationale. Nous avons fait inscrire ces deux textes à l’ordre du jour de nos travaux, avant d’entamer la discussion à partir du texte de nos collègues députés pour avancer sur ce sujet.

Si aucun d’entre nous n’a déposé de motion tendant à opposer la question préalable lors de la première lecture, c’est parce que nous avons tous estimé que le débat était nécessaire. Sinon, le dépôt d’une telle motion dès le départ, comme le font certains de nos collègues aujourd’hui, aurait permis de gagner du temps.

Je le dis sans ambages à l’intention du groupe CRC, la concentration des médias, presse comprise – la presse quotidienne régionale est la plus lue en France – a atteint un niveau inégalé. Cette concentration constitue parfois, en termes de compétitivité, un atout par rapport à de grands groupes internationaux, mais elle joue dans notre pays plutôt en faveur d’industriels, de financiers, de sociétés dont les activités et les intérêts principaux sont très différents de ceux du monde de la presse, des médias et de l’information. Ces personnes qui détiennent l’essentiel des mass media peuvent être tentées d’empêcher la diffusion d’informations susceptibles de nuire à leurs intérêts. Or l’information libre, c’est celle qui ne s’arrête jamais, qui ne peut se laisser enfermer par des pressions politiques, économiques ou financières, même si elle dérange des intérêts particuliers.

On ne peut pas prétendre que ce texte est hors contexte, qu’il est inutile ou élaboré en vue de nuire. En réalité, dans la situation actuelle, il était nécessaire. On ne résoudra pas aujourd’hui – sur ce point, nous sommes d’accord – les questions relatives à la concentration, puisque nous n’avons pas déposé de nouveaux textes en la matière, contrairement à ce que j’avais fait en 2009. Ce sujet mérite une longue réflexion nourrie de nombreuses auditions et un débat très pointu qui permette de dégager des consensus, y compris avec le monde de l’économie, tout en conservant un regard sur l’ensemble des enjeux mondiaux et européens.

Au demeurant, si nous ne pouvons pas changer rapidement une situation dominée par les concentrations, nous devrons nous y atteler, car nous avons légiféré et encadré ces pratiques bien avant le gigantesque bouleversement médiatique et la révolution numérique qui, depuis, ont créé une autre situation. Nous avons pris des mesures s’agissant, entre autres, des seuils de capital, de couverture, mais personne ne conteste aujourd’hui l’utilité de nouvelles normes dans un paysage totalement transformé.

Il faudra légiférer de nouveau sur les seuils, mais cela ne pourra pas se faire n’importe comment, parce qu’il s’agira d’encadrer sans affaiblir la puissance de groupes engagés par ailleurs dans la compétition internationale. Je ne préciserai donc pas ces seuils aujourd’hui par amendement, au doigt mouillé !

Puisque l’on ne peut pas agir ainsi et qu’il existe déjà des ingérences, des suspicions de pressions s’exerçant sur la liberté des journalistes, nous devions alors, dans le cadre existant, protéger la liberté des journalistes, la liberté de l’information. Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui était nécessaire. C’est pourquoi il serait très regrettable de nous empêcher de poursuivre la discussion de ce texte en nouvelle lecture afin de continuer à l’améliorer et de trouver des précisions et des convergences.

En réalité, seulement 11 articles font encore l’objet de vraies divergences, et beaucoup d’apports du Sénat ont été intégrés dans le texte par l’Assemblée nationale, ce dont je me réjouis. Je citerai la numérotation logique des chaînes de télévision, ce que nous avons fait pour les chaînes parlementaires, les lanceurs d’alerte, le dispositif Charb, etc. Nous avons apporté des améliorations et nous avons trouvé des accords sur des points très importants.

Cependant, vous le savez, nous avons très vite achoppé sur une divergence de taille, sur laquelle les points de vue ne pouvaient pas se rapprocher. Le désaccord provenait en effet, non pas de la commission de la culture, mais de la commission des lois et de son rapporteur pour avis, désireux que l’on en revienne à la loi Dati, qui avait pourtant choqué et fait la une de l’actualité à l’époque, car elle remettait en cause le secret des sources des journalistes et avait même permis des condamnations judiciaires pour ingérence. Vous pensez bien que la liberté des journalistes, sans protection de leurs sources, ne peut pas exister.

Nous allons plus loin dans cette proposition de loi en étendant aux collaborateurs des journalistes la protection pour qu’elle soit réelle et totale. C’est une avancée, qui était attendue par tous ceux que nous avons auditionnés, dans le monde du journalisme, de l’investigation. En principe, vous êtes toujours satisfaits d’une bonne émission d’enquête – il y en aura une ce soir – qui, au lieu de nous dire ce que l’on sait déjà, « gratte » un peu plus ; les autres, vous les regardez à peine ! Pour que ces émissions continuent d’exister, il faut absolument protéger le secret des sources.

Ce texte est d’actualité, car nous voyons apparaître dans le débat public, à la faveur de l’élection présidentielle, les propositions que les candidats susceptibles d’être élus et de diriger notre pays demain mettent sur la table.

J’ai entendu Nicolas Sarkozy dire qu’il fallait supprimer « la dérision et l’investigation racoleuse » dans les médias – qui veut le racolage, qui veut la dérision ? –, faisant concrètement écho au passage à l’acte du patron d’un grand groupe d’information et de médias cherchant à supprimer tout ce qui pouvait être un peu impertinent, qu’il s’agisse d’un magazine d’investigation ou de la tonalité critique à l’égard du monde des puissants, de la finance ou même de la politique. Est-ce à cela que l’on veut nous préparer ? Je ne parle même pas des propositions visant à supprimer le CSA, à affaiblir le service public, ce pôle d’indépendance et de liberté garanti par la loi que nous avons votée.

Nous avons raison de légiférer pour apporter des solutions face à une situation qui peut s’aggraver demain, si un certain nombre de propositions émanant notamment de la droite venaient à s’imposer.

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