Certes, elle a adopté conformes un certain nombre de dispositions, telles que l’obligation de transmission de la charte aux journalistes ou les dispositions relatives aux lanceurs d’alerte et à la numérotation des chaînes. Mais, faute de conciliation possible, elle est revenue à son texte sur la protection des sources, ce qui est compréhensible, mais également sur de nombreux autres points, aussi importants que la définition de la « conviction professionnelle », les modalités de saisine des comités de déontologie, les pouvoirs du CSA et même sur la transparence de l’actionnariat des entreprises de presse.
Dans ces conditions, il paraît inutile de poursuivre plus longtemps ce qui semble devenu un dialogue de sourds, raison pour laquelle nous soutiendrons, madame le rapporteur, la motion tendant à opposer la question préalable que vous avez déposée.
À titre personnel, vous me permettrez cependant d’exposer quelques raisons supplémentaires de voter cette motion.
D’une part, la proposition de loi suscite la double opposition des journalistes et des éditeurs de presse – excusez du peu !
D’autre part, les textes qui nous sont soumis – je pense aussi à la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine – ont désormais comme caractéristique, voire comme manie – je le dis sans vouloir être discourtois –, de proclamer le principe de liberté dans leur titre et dans leur texte, généralement à l’article 1er, et de multiplier aux articles suivants des dispositions toujours plus contraignantes. En d’autres termes, nous ne cessons, dans ce pays, de parler de liberté et d’agir en sens inverse.
Selon moi, la principale critique que mérite le texte proposé est qu’il nie les réalités et oublie l’essentiel. Au-delà de la volonté très claire de cliver idéologiquement, quelle est son utilité ? Nous ne disposons pas d’une étude d’impact, puisqu’il n’y en a pas eu, qui nous démontrerait que la presse française deviendrait plus forte et plus indépendante après l’adoption de ce texte. Pourtant, telle est bien la question, mes chers collègues, et, pour ma part, je suis convaincu du contraire.
Madame la ministre, je veux vous alerter sur les erreurs commises concernant les enjeux de la presse en 2016 à travers trois exemples qui matérialisent ce qu’est, selon moi, la réalité.
Premier exemple : la situation de l’Agence France-Presse, l’AFP. Son déficit s’est élevé à 4, 5 millions d’euros en 2015 et devrait atteindre 8, 3 millions d’euros en 2016. Sa dette consolidée se monte, quant à elle, à 71, 6 millions d’euros. Nous avions attiré l’attention de votre prédécesseur sur cette situation et lui avions proposé des solutions lors de l’examen de la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.
Deuxième exemple : la fiscalité. Ce matin, la commission des finances et la commission des affaires européennes du Sénat recevaient notre commissaire européen, M. Moscovici, qui nous a fait part de sa satisfaction de voir aboutir une mesure dite « de neutralité du support », laquelle permettrait demain à la presse numérique de bénéficier des taux de TVA réduits. Je peux comprendre l’argument, mais j’aimerais connaître l’incidence de cette mesure sur la presse écrite, en particulier sur la presse d’information départementale, dont je vois mal quelle pourrait être demain la destinée, si la presse numérique est favorisée dans les mêmes conditions fiscales.
Troisième exemple : la diffusion de la presse écrite. Comme vous, j’ai consulté, en juillet dernier, soit peu de temps avant la publication de votre décret du 26 août réformant les aides à la presse – voilà un vrai sujet, à mon sens plus important –, le rapport publié par le Conseil supérieur des messageries de presse. Nous savons tous que la diffusion de la presse écrite est en baisse, mais je pensais que les chiffres en la matière étaient en voie d’atteindre un plateau. Ce n’est pas du tout le cas ! Non seulement la diminution se poursuit, mais elle s’accélère, puisque, en 2015, le volume des ventes au numéro a diminué de 6, 5 % par rapport à 2014, ce qui est considérable. Je pourrais également évoquer la baisse des créations de nouveaux médias, qui est supérieure à 15 %. Enfin, nous avons connu un millier de fermetures de diffuseurs en 2015.
Mes chers collègues, nous sommes tous attachés à la liberté de la presse. J’entends qu’il existe un risque de prise de contrôle par des groupes internationaux, susceptible de mettre en cause l’indépendance des médias, pour reprendre la formule que vous avez utilisée au début de votre intervention, madame la ministre. J’entends, chers collègues Patrick Abate et David Assouline, qu’il existe un risque de concentration. Cependant, tous les éléments que vous avez évoqués ne sont pas liés à l’état de notre législation ! Les risques que vous dénoncez sont liés à la faiblesse structurelle de l’économie des médias en France. Tel est le vrai sujet sur lequel le Gouvernement devrait travailler !
Je crains que le texte présenté ce jour n’ait pas l’effet positif attendu, ce qui me conduira, comme je l’indiquais tout à l’heure, à soutenir la proposition de notre rapporteur.