Intervention de David Assouline

Réunion du 29 septembre 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Question préalable

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Madame la rapporteur, à en croire votre conclusion, quand nous pensons que la nouvelle lecture d’un texte devant le Sénat, après échec de la commission mixte paritaire, ne permettra pas d’aboutir à une version susceptible de recueillir l’accord des deux chambres, la question préalable devrait être la règle, notre Haute Assemblée ne devant plus en débattre pour ne pas perdre de temps. À vous écouter, il faudrait presque consigner cette règle dans notre règlement…

En tant que sénateurs, nous sommes soumis à l’impérative nécessité de faire la preuve de la crédibilité de notre institution et d’affirmer, quand bien même nous serions les seuls à le faire, que le Sénat est une chambre très importante et utile et que nous voulons la défendre. Nous ne pouvons donc accepter le type d’explications auxquelles vous avez eu recours.

Madame la rapporteur, il y a toujours lieu de débattre, d’autant que Mme la ministre a prouvé, à l’occasion de l’examen d’une loi récente – la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine –, qu’elle savait écouter et qu’elle pouvait accepter jusqu’au dernier moment de procéder à des rapprochements et d’intégrer l’opinion du Sénat, qu’elle porte dans son cœur.

Il aurait été nécessaire que nous approfondissions certaines questions, quand bien même nous n’aurions pas voté la même version du texte que l’Assemblée nationale. C’est aussi notre rôle d’éclairer le débat public par l’échange d’arguments !

Cela aurait peut-être permis de mettre en évidence que la discussion achoppait sur une question. Alors que les membres de la commission de la culture ont souvent une appréhension commune de ce qu’est la liberté d’information, M. Portelli, au nom de la commission des lois, est venu nous imposer un diktat, évoquant des dispositions « très graves », « anticonstitutionnelles », « remettant en cause la sécurité de l’État » et voulant nous convaincre, à l’aide de ces grands mots, qu’il n’était pas possible d’aller dans le même sens que l’Assemblée nationale, comme s’il s’agissait d’une injonction.

Au reste, je comprends pourquoi refaire ce débat aujourd’hui aurait pu provoquer une certaine gêne : d’abord parce que M. Portelli n’est pas présent dans l’hémicycle – je ne l’ai d’ailleurs pas beaucoup vu dans les débats… –, mais surtout parce que cela aurait révélé que, sur les travées de droite et du centre-droit de cet hémicycle, la version inscrite dans la loi par Rachida Dati ne suscite pas l’unanimité. Je le pense sincèrement et je me souviens même que cette version avait, à droite, occasionné un certain trouble… En somme, c’est pour dissimuler ce trouble que l’on ne débat pas aujourd’hui. Pourtant, sur les autres dispositions, on pouvait encore avancer.

Madame la rapporteur, vos deux arguments principaux en faveur de la question préalable ne tiennent pas.

Selon vous, nous aurions été contraints de discuter trop rapidement. Si, dorénavant, la règle est de voter une question préalable chaque fois que la procédure accélérée est engagée, nous allons sérieusement limiter nos possibilités d’action.

Les deux propositions de loi, celle de Patrick Bloche et la mienne, ont respectivement été déposées le 2 et le 19 février 2016. La première lecture a débuté le 8 mars à l’Assemblée nationale. En forçant le trait, on peut dire que la navette parlementaire a duré six mois. Six mois, ce n’est pas suffisant, madame la rapporteur ? Il faut demander au citoyen ce qu’il en pense ! Six mois, ce n’est pas si mal ! Nous devons apprendre à légiférer plus vite, car nous vivons une accélération dans tous les autres domaines. Travailler pendant six mois, ce n’est pas passer en force.

L’examen de ce texte aurait sans doute mérité davantage de temps, mais cet argument n’est pas suffisant pour étayer cette motion. Vous n’aviez d’ailleurs pas déposé de question préalable en première lecture, alors même que vous vous plaigniez déjà de ce délai d’examen trop court.

Vous évoquez ensuite l’absence de prise en compte par la commission mixte paritaire des apports du Sénat. Ce n’est pas bien d’utiliser un tel argument ! Vous êtes la présidente d’une commission et, à ce titre, vous avez obtenu des résultats. Comment pouvez-vous, pour défendre cette question préalable, dire que le travail et l’abnégation de votre commission n’ont servi à rien ?

Madame la rapporteur, je vais défendre votre bilan. Vous avez obtenu, grâce à votre travail, des avancées tout à fait significatives. Sur 31 articles, 14 restaient en discussion – 11 en réalité, puisque 3 articles, s’ils n’ont pas été repris intégralement par l’Assemblée nationale, sont très proches de la rédaction issue des travaux du Sénat.

Permettez-moi de citer quelques-uns des apports du Sénat : prise en compte, par le CSA, lors du renouvellement d’une autorisation, du respect du principe d’honnêteté, d’indépendance et du pluralisme de l’information et des programmes ; protection des lanceurs d’alerte dans leurs rapports avec les journalistes ; interdiction à une chaîne existante détenue à plus de 20 % par des capitaux étrangers d’obtenir une fréquence sur la télévision numérique terrestre ; obligation d’une durée minimale avant revente d’une détention d’une autorisation délivrée par le CSA pour l’édition d’un service de télévision ; reprise par les distributeurs de la numérotation logique du CSA ; possibilité alternative de numérotation thématique ; élargissement du champ des publications pouvant bénéficier d’une incitation fiscale à investir dans les entreprises de presse ; incitation fiscale en faveur des sociétés d’amis ou de lecteurs qui investissent dans des titres d’information politique et générale pour contribuer à leur indépendance et à leur pérennité…

Vous pouvez juger que ces apports ne sont rien. Selon moi, ils justifient la poursuite de la discussion jusqu’à son terme. Nous n’avons pas été maltraités ni assujettis par l’Assemblée nationale. Je ne souscris donc pas davantage à ce deuxième argument.

Oui, l’Assemblée nationale a rétabli à l’identique certaines des dispositions qu’elle avait adoptées. Il me semble normal qu’il en aille ainsi. Je viens de démontrer que nos apports n’avaient pas été « ratiboisés » pour autant.

Les arguments avancés par Mme la rapporteur pour défendre cette motion me semblent inventés, surfaits, voire de circonstance. La vraie raison, c’est que ce débat dérange. Certaines personnes, dans le débat public, commencent déjà à faire entendre leur voix. Je pense, par exemple, à un ancien Président de la République qui souhaite être le candidat de la droite en 2017.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion