Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 28 septembre 2016 à 14h30
République numérique — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

… notamment sur la question de l’ouverture des données scientifiques.

Heureusement, la sagesse du Sénat s’est également imposée sur l’exigence d’une vraie réflexion sur la protection du secret des affaires et d’un statut de lanceur d’alerte, deux problématiques que le législateur ne peut dissocier sans que soit portée une atteinte démesurée à la liberté d’informer et d’être informé.

Cela dit, mes chers collègues, ce texte reste selon moi insuffisant, car il a été vidé d’une partie de sa substance par d’autres projets de loi antérieurs ou dont on nous avait promis qu’ils seraient inscrits à l’agenda gouvernemental, comme le texte « nouvelles opportunités économiques » que devait porter un certain Emmanuel Macron, qui a démissionné…

C’est éminemment regrettable : les enjeux – économiques, politiques, juridiques – étant globaux et transversaux, ils ne doivent pas être appréhendés au travers de textes successifs et de décisions déconnectées les unes des autres. Les débats très techniques ne doivent pas masquer les enjeux politiques et stratégiques que représentent la maîtrise effective de nos données, la question de notre juste place dans l’écosystème numérique et la garantie de notre souveraineté. En ce sens, nous avions déposé des amendements pour faire prendre de la hauteur au projet de loi.

À cet égard, je regrette vivement que l’amendement, pourtant adopté de manière transpartisane par le Sénat, qui visait à donner une définition légale des moteurs de recherche, accompagnée d’un renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence en cas d’abus de position dominante, ait disparu de la version issue des travaux de la commission mixte paritaire. L’écosystème numérique étant ainsi fait que quelques opérateurs de plateformes sont désormais considérés comme des « facilités essentielles », il était urgent qu’un minimum de régulation soit apporté, en complément des dispositions et initiatives européennes relatives au droit de la concurrence.

Changeants, parfois sibyllins, les arguments avancés pour contrer l’instauration d’une telle mesure n’ont jamais réellement convaincu les nombreux soutiens, « start-upeurs » et spécialistes du numérique, d’un écosystème mieux régulé. On notera que le lobbying intense de certains grands acteurs du numérique en amont de la CMP a manifestement fonctionné avec une grande efficacité…

Je regrette par ailleurs qu’ait également été supprimée l’obligation pour les plus gros opérateurs de fournir un certain nombre d’informations, notamment quant aux modifications substantielles opérées unilatéralement. À nouveau, ce sont nos entreprises qui vont en pâtir.

De plus, la saisine parlementaire de la CNIL souhaitée par notre Haute Assemblée, n’a pas été retenue. Je le déplore.

Enfin, je regrette que notre amendement tendant à inscrire l’indépendance technologique, l’interopérabilité, l’« auditabilité » du code source et surtout la maîtrise de leurs données par les administrations dans le code des marchés publics n’ait pas été adopté. Les choix par défaut des solutions commerciales les plus répandues sans considération des questions de souveraineté ne peuvent pourtant perdurer, comme le montrent les affaires Cisco et Palantir ou les liens contractuels aveuglément créés par la ministre de l’éducation nationale avec Microsoft, ce qui vaut aujourd’hui à l’État de devoir s’expliquer en justice.

Pour résumer, je regrette, dans l’ensemble, une approche reposant uniquement sur les usages, un manque de réflexion et d’ambition pour un sujet éminemment politique, le numérique conditionnant le devenir de nos sociétés. Force est de constater que cela se reflète dans le déficit de stratégie gouvernementale, dans le déficit de coordination ministérielle des actions technologiques au sein de l’État et dans le déficit de cohérence des outils mis en place par les administrations.

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