Intervention de Cyril Pellevat

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 5 octobre 2016 à 9h35
Renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat, rapporteur :

La proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils a été déposée le 25 mars 2016 par nos collègues Xavier Pintat, Jacques Gautier et Alain Fouché. Ce texte tire les conséquences d'un rapport réalisé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) à la demande du Parlement et publié le 20 octobre 2015 sur les risques et menaces liés à l'essor des drones aériens civils en France.

Ce texte avait été examiné en première lecture par le Sénat le 11 mai par notre commission et le 17 mai en séance publique. Il avait fait l'objet d'un travail de réécriture qui en conservait l'esprit, tout en veillant à entraver le moins possible le développement de cette filière prometteuse. L'Assemblée nationale a examiné cette proposition de loi le 20 septembre en commission et le 27 septembre en séance publique. Les députés ont apporté quelques compléments sans remettre en cause la philosophie générale du dispositif, qui s'appuie sur quatre piliers : l'information, la formation, l'enregistrement/l'immatriculation, et le signalement.

Les modifications introduites par les députés sont de quatre ordres. En premier lieu, une grande partie des débats à l'Assemblée est issue de la volonté de la rapporteure Marie Le Vern, de préciser directement dans la loi le niveau à partir duquel les différents dispositifs auront vocation à s'appliquer. À l'article 1er, les députés ont ainsi prévu un seuil à 25 kilogrammes, qui déclenche l'obligation d'immatriculation des drones. Ce seuil, qui correspond à la limite historique du monde de l'aéromodélisme classique et a servi de base à l'harmonisation des règles en Europe, ne pose pas de difficulté particulière.

Les discussions ont davantage porté sur le plafonnement à 800 grammes du seuil défini par le pouvoir réglementaire pour les obligations d'enregistrement (article 1er), de formation (article 2) et de signalement/limitation de capacités (article 4). Autrement dit, le pouvoir réglementaire conserve la possibilité de fixer des seuils inférieurs différenciés, mais à défaut chaque obligation s'applique au-delà de 800 grammes. Ce choix est clairement assumé par la rapporteure pour anticiper d'éventuelles carences du pouvoir réglementaire.

Ensuite, les députés ont renforcé les garanties techniques de sûreté et de sécurité, avec les dispositifs de signalement et de limitation prévus à l'article 4. Ils ont souhaité que le dispositif de signalement puisse être non seulement électronique mais également numérique, dans la mesure où il n'existe pas encore de consensus sur le choix des technologies à mettre en oeuvre : ils laissent ainsi toutes les options ouvertes. Le signalement numérique présente l'avantage de passer par le réseau, par exemple par le smartphone de l'utilisateur, et non par une balise supplémentaire. Il est donc plus simple à mettre en oeuvre en attendant le développement de transpondeurs.

Les députés ont également privilégié la référence à un dispositif de limitation de capacités plutôt que de performances pour inclure plus explicitement les systèmes de geofencing (ou « barriérage électronique ») visant à empêcher le survol de certaines zones. Ils ont aussi imposé la mise en place d'un dispositif de signalement sonore permettant d'alerter les personnes se trouvant sur la trajectoire d'un drone en cas de perte de contrôle du télépilote.

En troisième lieu, les députés ont accordé une attention particulière aux contraintes de l'aéromodélisme, une pratique ancienne qui diffère du dronisme grand public. En règle générale, l'aéromodéliste est un passionné d'aéronautique qui aime faire voler les appareils qu'il construit, alors que le droniste est davantage attiré par le pilotage ludique ou l'usage d'instruments embarqués comme les caméras. En grande majorité, l'aéromodélisme se pratique en club sur des sites déclarés auprès de la DGAC. Les appareils sont pilotés uniquement en vue directe, alors que la vue immersive (FPS) se développe de plus en plus pour les drones de loisir. Pour autant, la définition juridique de l' « aéronef circulant sans personne à bord » ne permet pas de distinguer le drone de l'aéromodèle en droit français, d'où la nécessité d'opérer des distinctions en fonction de l'usage. Ainsi, l'article 2 a été modifié pour garantir que les aéromodélistes ne soient pas soumis à une double obligation de formation, dans la mesure où ceux-ci sont déjà formés dans le cadre de leurs clubs : un mécanisme de reconnaissance par équivalence de leur formation est donc prévu.

À l'article 4, les aéromodélistes ont été exonérés explicitement de l'obligation de s'équiper des dispositifs de signalement et de limitation de capacités quand ils pratiquent leur activité dans un cadre agréé et dans des zones identifiées à cet effet : il ne s'agit plus d'une simple faculté mais d'une dérogation garantie.

Enfin, les députés ont précisé que les aéronefs « sont équipés » du dispositif de limitation de capacités, qui ne doit plus nécessairement être « emporté » : cette modification sémantique satisfait les contraintes des aéromodélistes, qui pourront ainsi intégrer le dispositif dans la télécommande plutôt que dans l'appareil, dans la mesure où celui-ci est rarement équipé d'un calculateur embarqué - le pilotage s'effectue par action directe sur les gouvernes -, contrairement aux drones.

Ces dérogations ne s'appliqueront automatiquement qu'aux aéromodélistes pratiquant leur activité sur les sites déclarés à la DGAC. Pour les autres, à l'instar des planeurs de vol de pente, un décret en Conseil d'État viendra préciser les exemptions applicables.

En dernier lieu, les députés ont adopté une série de mesures concernant l'application des nouvelles obligations nées de la proposition de loi au parc de drones déjà existant, conscients qu'un retour en usine généralisé serait parfaitement irréalisable. À l'article 3, ils ont adopté un amendement présenté par la rapporteure qui étend l'obligation d'information au vendeur d'un drone d'occasion. La notice étant téléchargeable en ligne, cette contrainte est assez aisée à satisfaire pour un particulier et permet de s'assurer d'une diffusion des principes et règles en vigueur à l'occasion de chaque transaction.

À l'article 4, ils ont décalé l'entrée en vigueur des nouveaux dispositifs de signalement et de limitation de capacités au 1er juillet 2018 pour les drones neufs et au 1er janvier 2019 pour les drones en circulation enregistrés, afin de permettre aux fabricants d'adapter leurs chaînes de production matérielles et logicielles et de laisser aux particuliers un délai supplémentaire pour s'équiper des modules qui auront été spécifiquement conçus.

En ce qui concerne plus particulièrement le dispositif de signalement sonore, un amendement de la rapporteure a été adopté pour éviter que cette obligation ne s'applique aux drones enregistrés avant le 1er juillet 2018 : leurs propriétaires seront ainsi exonérés de cette mesure.

J'émets deux principales réserves sur ces mesures.

La première porte sur le niveau arbitrairement retenu pour le plafonnement des seuils réglementaires à 800 grammes. Lors de la première lecture, j'avais délibérément souhaité que ces seuils d'application ne soient pas définis dans la loi, car il s'agit d'une compétence manifestement réglementaire. De plus, le niveau de ces seuils est lui-même sujet à débat : le seuil de 250 grammes, à partir duquel un drone est capable de voler en extérieur, a été retenu par les États-Unis et le Danemark ; le seuil de 1 kg correspond à la capacité d'emport d'un drone équipé d'une grenade légère, et est par exemple retenu par l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) pour distinguer les drones jouets des autres engins. Enfin, la miniaturisation croissante des appareils conduit naturellement à vouloir conserver une certaine souplesse dans la réglementation.

Dans l'hypothèse, plus que probable, où le pouvoir réglementaire tarderait à prendre les mesures réglementaires d'application, le plafonnement à 800 grammes retenu par les députés, présente l'intérêt de fixer une référence pour les constructeurs, et contribue à la sécurité juridique. En effet, d'après les informations communiquées par l'administration, si l'arrêté relatif à la formation et aux compétences des télépilotes de drones professionnels pourrait paraître prochainement, il n'en va pas de même pour les autres textes réglementaires d'application, pour lesquels aucune perspective n'a été fournie à ce stade. On peut le déplorer mais c'est une réalité dont il faut tenir compte.

Pour autant, l'inscription d'un tel plafonnement dans la loi pourrait éventuellement nécessiter sa révision prochaine. Certes, la réglementation européenne ne devrait probablement pas voir le jour avant 2018 : le Parlement européen examinera en première lecture un projet de règlement vers la fin de l'année. Il sera ensuite complété par des règles de l'Agence européenne de sécurité aérienne, qui fixeront certainement des seuils en fonction de plusieurs paramètres (poids, altitude, utilisation, vitesse). Si ces règles contredisent les nôtres, elles pourraient entraîner un réexamen de notre législation, qu'un renvoi au décret aurait permis d'éviter.

Au-delà de ces considérations juridiques, les débats à l'Assemblée ont montré toute la difficulté de retenir un niveau arbitraire sans réel fondement scientifique. De fait, la rapporteure présente ce plafonnement comme celui permettant de cibler a minima les 10% d'appareils les plus dangereux : d'après elle, un plafonnement à 1 kilo ne permettrait de cibler que 6% des appareils, et priverait la loi de toute portée utile. Elle suggère également que ce plafonnement correspond à une rupture de gamme, et donc de prix, entre les drones très grand public et les autres. Je n'approuve pas ce raisonnement, dans la mesure où, par exemple, le Parrot Disco (750 grammes - 1299 €) est sensiblement au même prix que le DJI Phantom 4 (1380 grammes - 1399 €).

Surtout, bien que je soutienne l'industrie française, en particulier lorsqu'elle est en pointe dans des secteurs innovants, je m'inquiète du fait que ce plafonnement arbitraire à 800 grammes puisse être trop facilement qualifié de protectionniste. En effet, les modèles phares de Parrot, notre champion national, sont systématiquement en-dessous du seuil : le quadricoptère Bebop 2 pèse 500 grammes et la nouvelle aile Disco pèse 750 grammes. A contrario, les produits grand public du chinois DJI sont systématiquement au-dessus : le Phantom 3 pèse 1280 grammes et le Phantom 4 pèse 1380 grammes. Certes, DJI vient de sortir un nouveau modèle Mavic qui pèse 743 grammes, mais il n'est pas certain que cela suffise à convaincre de la neutralité du choix de 800 grammes.

Enfin, un plafonnement uniforme à 800 grammes laisse entendre que le seuil réglementaire pourrait être le même pour les différentes obligations d'enregistrement, de formation et de signalement/limitation de capacités. Ceci est contraire à l'esprit initial de la proposition de loi, qui vise à mettre en place une série d'obligations croissantes en fonction de la dangerosité potentielle du drone utilisé, en général corrélée à son poids. Il ne serait pas aberrant que l'obligation d'enregistrement s'impose à tous les drones capables de voler en extérieur (soit au-dessus de 250 grammes) et que le signalement électronique ne concerne que les plus lourds (au-dessus de 800 grammes par exemple).

Ma seconde réserve porte sur l'utilité réelle du dispositif de signalement sonore en cas de perte de contrôle, qui risque au contraire d'accroître les risques par d'éventuels déclenchements intempestifs susceptibles de perturber le télépilote. Comment distinguer une perte de contrôle d'une figure de voltige ? De plus, les drones réellement silencieux sont rares, on entend en général le bourdonnement des rotors ou le sifflement du déplacement dans l'air, ce qui dans les faits suffit généralement à attirer l'attention des personnes à proximité. Surtout, il faudrait prévoir un type de système sonore qui serait encore capable de fonctionner si tous les systèmes électriques étaient en panne sur le drone en train de tomber.

Néanmoins, la mise en oeuvre de cette mesure ne constitue pas une contrainte insurmontable pour les industriels du secteur, d'autant plus qu'il n'y aura pas d'obligation rétroactive d'équipement pour les drones déjà enregistrés au 1er juillet 2018.

Au final, l'intérêt d'une entrée en vigueur rapide du texte l'emporte sur ces quelques réserves et justifie des concessions. Nous sommes au terme d'une année d'échanges depuis la publication du rapport du SGDSN, et cette proposition de loi me semble suffisamment aboutie pour être adoptée sans délai supplémentaire. Le marché du drone civil connaît une expansion fulgurante et chaque mois écoulé rend sa régulation d'autant plus difficile que nécessaire. Le législateur se doit d'être réactif : il est à l'honneur du Sénat d'être en mesure de proposer, d'examiner et de faire aboutir, en un temps record et sans procédure accélérée, un texte sur un domaine innovant, dans lequel la France excelle.

L'engouement de nos concitoyens ne tarit pas : le succès du Paris Drone Festival, qui s'est déroulé le 4 septembre sur les Champs Élysées en témoigne. Je me plais à imaginer que cet événement pourra devenir un rendez-vous majeur de la communauté droniste mondiale : il contribuera au rayonnement de Paris, en tant que capitale du drone, et de la France, un pays qui invente l'avenir. Toujours est-il que le besoin d'une réglementation et d'une information claires est exprimé par le grand public, qui peine à s'y retrouver dans les textes actuels.

En même temps, la concurrence entre les fabricants ne cesse de s'intensifier. Parrot a publié, le 23 septembre dernier, un avertissement sur ses revenus 2016. Le marché est en pleine mutation : certains acteurs comme DJI avec le Mavic Pro ou GoPro avec le Karma, s'implantent sur le même segment que Parrot, à savoir les drones de moyenne gamme (comme le BeBop 2). Ces industriels ont besoin de connaître rapidement les nouvelles normes qui vont s'imposer, afin d'anticiper d'ores et déjà les évolutions de leurs prochains modèles.

Enfin, la menace sécuritaire ne diminue pas, dans un contexte où le risque terroriste reste malheureusement élevé. La probabilité d'un accident grave (chute d'un drone sur un passant, collision avec un avion ou un hélicoptère) s'accroît également à mesure que l'usage des drones civils se répand. Or le moindre incident, outre ses conséquences potentiellement dramatiques, risque de porter un coup d'arrêt au développement de la filière.

Par conséquent, cette proposition de loi apporte une réponse attendue aux préoccupations exprimées par l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des fabricants, des utilisateurs, des tiers, ou de l'administration. Elle propose une réglementation équilibrée, permettant de conjuguer les exigences de sécurité et l'essor du marché. Pour cette raison, je suis favorable à son adoption conforme par le Sénat, en dépit des quelques réserves soulevées. L'absence d'amendements déposés témoigne d'ailleurs du caractère consensuel de cette position. Il ne reste qu'à espérer que notre travail puisse inspirer les réflexions en cours au niveau européen.

J'ai participé à un séminaire sur les drones le 12 septembre au Sénat, organisé par le Conseil pour les drones civils, et j'ai exprimé le souhait que des parlementaires y soient nommés. Le Conseil a approuvé ma demande.

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