Intervention de Pierre Moscovici

Commission des affaires européennes — Réunion du 29 septembre 2016 à 8h40
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Pierre Moscovici commissaire européen pour les affaires économiques et financières fiscalité et douanes en commun avec la commission des finances

Pierre Moscovici, commissaire européen :

Je répondrai à certaines de vos questions par écrit. La décision relative à Apple montre que la Commission est déterminée à s'assurer que les entreprises nationales paient leurs impôts là où elles réalisent leurs profits. Ce n'est pas une décision anti-américaine. Nos territoires, vous le savez, ont besoin d'investissements américains pour créer de l'emploi. Ministre des finances, je m'étais soucié du renforcement de FedEx à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle... Nous ne sommes donc pas en guerre économique avec les États-Unis, et cette décision n'est pas discriminatoire. Elle est fondée sur des faits, des chiffres et des règles. D'ailleurs, des entreprises européennes sont aussi concernées. L'important est qu'une entreprise, tout comme nos concitoyens, paie ses impôts. Je sais que Margrethe Vestager n'a pas la main qui tremble, et qu'elle fera appliquer avec rigueur les règles en vigueur. Pour ma part, je souhaite faire avancer la législation. Nos services sont donc en coopération étroite, et continueront à travailler avec détermination.

Un groupe de haut niveau, auquel j'appartiens, réfléchit, sous la présidence de M. Monti, à des ressources propres pour l'Union européenne. Il formulera des propositions. Pour l'heure, notre budget est trop marqué par le passé, pas assez efficace dans le présent et trop peu tourné vers l'avenir. Cette Commission souhaite d'ailleurs que la revue à mi-parcours soit substantielle, et que le prochain budget soit ambitieux. Quant à la TTF, c'est un projet initié par la Commission, refusé par les 28, repris par quatre grands pays - l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne - rejoints ensuite par six autres. Nous avons les paramètres d'un accord, et la Commission travaille ardemment à ce qu'un cadre soit arrêté avant la fin de l'année. C'est un grand projet politique, attendu par nos concitoyens, qui servira à financer des causes comme la lutte contre le réchauffement climatique ou l'aide au développement, et desserrera la contrainte financière évoquée par M. Marc.

ACCIS réduira la complexité et les coûts de conformité, compensera les pertes et profits réalisés dans les États-membres, et réduira les opportunités d'arbitrages fiscaux et de déplacement de base imposable. La Commission tiendra compte des réticences exprimées, et fera une proposition en deux temps, qui renforcera la stabilité fiscale au sein du marché intérieur.

Le semestre européen s'étend jusqu'à la fin du mois d'avril. Le programme de stabilité français sera alors élaboré dans un contexte politique particulier, dont il faudra tenir compte. Nous recevrons les avant-projets budgétaires avant le 15 octobre. Les discussions avec les administrations budgétaires ont déjà commencé, dans un climat positif. En cas de difficulté, nous pouvons demander des corrections, ou rejeter le projet de budget. En novembre, nous validerons, ou rejetterons, les projets, sur la base de nos prévisions économiques. Il s'agit donc d'une séquence très brève !

J'ai été auditionné par le HCFP, et j'ai lu son avis avec attention. Pour ma part, j'utiliserais plutôt l'adjectif « jouable ». Nos méthodes sont ordinairement plus sévères, mais l'honnêteté oblige à reconnaître que, pour la France, les estimations de la Commission ont été régulièrement trop pessimistes : le déficit nominal a décru plus rapidement qu'anticipé. Je n'ai pas de raison de penser que le déficit nominal sera supérieur à 3 % en 2017, et je souhaite même qu'il soit nettement inférieur à 3 %. Certains reports de charge sur 2018 doivent être surveillés. Notre prévision de croissance est de 1,7 % pour la France. Nous dialoguerons avec la France dans la plus grande impartialité.

Le Pacte de stabilité et de croissance n'est ni rigide ni procyclique, pour peu qu'il soit interprété avec flexibilité et intelligence. J'assume entièrement les décisions prises à l'égard du Portugal, de l'Italie, de l'Espagne et de la France. Les sanctions doivent être évitées autant que possible : une Europe qui punit, qui morigène, n'est pas une bonne idée, surtout en période de difficultés. Je préfère mener un dialogue sans concessions pour obtenir des ajustements ex ante. D'ailleurs, nous n'avons pris aucune décision contraire au pacte, et je n'en prendrai aucune qui n'y soit pas conforme. Il est vrai que certaines décisions étaient à la limite du pacte ; mais elles ne lui étaient pas contraires. Si un pays prévoit une déviation massive, il sera sanctionné - quelle que soit sa taille. Bien sûr, je ne suis pas pour détruire la règle, mais pour la simplifier, afin de la rendre plus légitime.

Sur le numérique, nous devons étudier les moyens. Sans doute faudra-t-il conjuguer ressources nationales et européennes. En tous cas, la décision est prise. Qui paiera ? Question légitime, d'autant qu'il n'est pas toujours simple d'installer le haut débit.

Sur la situation de Deutsche Bank, le Gouvernement allemand s'est exprimé et je ne me prononcerai pas sur l'amende américaine. La politique monétaire de la BCE est appropriée. Hier, devant le Bundestag, Mario Draghi a clairement expliqué que ses décisions étaient dictées par l'intérêt général et non par celui de tel ou tel épargnant. J'observe d'ailleurs qu'en Allemagne un excédent courant de 9 % témoigne d'un excès d'épargne et d'une insuffisance d'investissement. J'ai assisté à maints échanges entre MM. Draghi et Schäuble : indépendante, la BCE agit pour ramener l'inflation aux alentours de 2 %, ce qui favorise aussi la croissance et l'emploi en Europe. M. Draghi mérite soutien et respect, notamment pour la manière dont il a sauvé l'euro.

Sur le CFA, je demanderai une analyse à mes services. Quel avenir pour la zone euro ? L'euro est très critiqué, entre autres par M. Stiglitz. Pour siéger depuis longtemps à l'Eurogroupe, je sais combien l'euro est le fer de lance de l'intégration européenne. Si nos concitoyens doutent de l'Union européenne, ils sont très attachés à l'euro ; 70 % des Français le sont. Les Français, pas plus que les Grecs, n'y renonceront. C'est un élément de stabilité et de sécurité. Certes, comme le disait Jacques Delors, il ne dynamise pas assez. Faut-il y mettre un terme, comme le préconise M. Stiglitz ? Je crois plutôt qu'il faut le compléter par une politique économique, ce qui implique une capacité budgétaire : il faut un Trésor et une gouvernance de la zone euro. Je souhaite que mon successeur soit son ministre des finances, avec rang de vice-président de la Commission. Certes, il faut faire l'Europe à 27, mais la zone euro doit être le fer de lance de la politique économique.

Un Conseil budgétaire a été constitué, avec cinq membres - dont une Française - et des autorités nationales de productivité - en France, France Stratégie - aideront chaque pays à renforcer sa compétitivité. Pour aller plus loin, un groupe d'experts rendra un livre blanc. Même si aucune percée décisive n'est à attendre avant les prochaines élections françaises et allemandes, nous ne pouvons pas perdre un an. Aussi les contributions intellectuelles et politiques sont-elles bienvenues.

Je souhaite que nous cessions de tenir une liste centralisée des produits bénéficiant d'un taux réduit de TVA. Les États-membres doivent s'impliquer dans ce processus. Ils y sont réticents, évidemment. Mais nous ne sommes pas outillés pour dresser cette liste, d'autant qu'elle doit être adaptée en permanence aux évolutions économiques.

Il est trop tôt pour évaluer les conséquences financières du Brexit. Tout dépendra de l'issue de la négociation, qui n'a pas encore commencé.

J'approuve les propos de M. Gattolin relatifs à une politique de l'offre dans le domaine du numérique. Nos propositions sur le droit d'auteur favorisent la création, et ont été bien accueillies en France.

Paradoxalement, on se plaint du budget européen tout en lui demandant beaucoup, que ce soit pour l'accueil et l'intégration des réfugiés, la sécurité et la défense ou l'investissement. Pour mobiliser des ressources, les diverses réflexions engagées doivent converger. Je me suis déjà exprimé sur l'utilisation du budget européen. Citons également le plan Juncker, lointain héritier des démarches de Jacques Delors au début des années 1990 ; Thierry Breton a proposé un plan européen de sécurité et de défense digne d'intérêt. Le président Juncker envisage la création d'un Fonds européen de la défense destiné à l'innovation. Du côté de la ressource, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est susceptible de dégager des montants importants, en particulier pour la TVA. C'est pourquoi nous allons proposer un régime définitif de taxation des opérations transfrontalières. Seul le rétablissement du paiement fractionné est susceptible de réduire la fraude. Potentiellement, les États membres pourraient récupérer 40 milliards d'euros par an, et la France 4 milliards. Les opérations domestiques et transfrontalières seront traitées de la même manière. La Commission européenne a déjà adopté un plan d'action sur ma proposition, et nous allons avancer dans ce sens.

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