Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 18 octobre 2016 à 14h30
La france et l'europe face à la crise au levant — Débat organisé à la demande d'une mission d'information et de la commission des affaires étrangères

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre, président de la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord de coopération migratoire passé le 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie est qualifié officiellement de « déclaration », mais nous garderons le terme d’accord, auquel tout le monde est désormais habitué.

Le but de cet accord, rappelons-le, était d’endiguer le flux sans précédent de réfugiés et de migrants qui, l’année dernière à la même époque, transitait sans obstacle de la Turquie vers les îles grecques de la mer Égée, avant de s’acheminer, via les Balkans, vers le nord et l’ouest de l’Europe. Plus de 860 000 personnes ont emprunté cette voie en 2015. Outre la nécessité de mettre un terme aux nombreux naufrages, nous nous devions d’agir, car, après des mois de divisions et d’atermoiements sur la politique à mener, la fermeture unilatérale de la route des Balkans menaçait la Grèce d’une crise humanitaire de grande ampleur.

L’entrée en vigueur de l’accord a été suivie, c’est un fait, d’une baisse drastique des flux, qui sont passés de plus de 2 000 personnes par jour en février à une cinquantaine par jour au printemps, une légère remontée, à hauteur d’environ une centaine par jour, étant observée actuellement.

Paradoxalement, ce résultat en termes de flux est obtenu alors que le principal dispositif prévu par l’accord, c’est-à-dire le renvoi en Turquie de tous les migrants arrivés sur les îles grecques après le 20 mars 2016, ne fonctionne pas. Au 7 octobre, seulement 633 migrants avaient été renvoyés.

De fait, plus de 15 000 migrants attendent aujourd’hui dans les hotspots, dans des conditions matérielles et psychologiques difficiles, que leur demande d’asile soit traitée. Cette situation tient non seulement à l’engorgement du service grec de l’asile, confronté à une explosion des demandes, mais aussi à sa réticence à considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr » vers lequel les migrants pourraient être renvoyés.

Par ailleurs, si aucune route alternative majeure n’a été décelée, des flux irréguliers persistent aussi bien entre les îles grecques et le continent qu’aux frontières terrestres turco-grecque, turco-bulgare et gréco-macédonienne. Ces brèches démontrent la vitalité des réseaux de trafiquants et pourraient être mises à profit en cas de signal donné à une réactivation des flux.

À cet égard, il est vrai que la réussite de la mise en œuvre de l’accord reste largement tributaire de la bonne volonté de la Turquie, qui garde la capacité d’inverser les flux. La difficulté tient évidemment à l’existence de « contreparties politiques » dont nous savions pourtant, monsieur le ministre, dès la négociation de l’accord, qu’elles seraient difficiles à concrétiser, compte tenu du contexte politique turc.

Force est de l’admettre, cet accord est dans notre intérêt et nous devons le mettre en œuvre. Toutefois, cela ne saurait nous conduire à brader nos valeurs et à nous montrer moins exigeants sur les conditions initialement posées à la mise en œuvre des processus politiques que sont les négociations d’adhésion et la libéralisation de la délivrance des visas. La mission d’information plaide pour une dissociation de ce volet politique.

Dès lors, il nous faut remplir autrement notre part du contrat en honorant sans tarder nos engagements sur les volets liés à la question des réfugiés : accélérer le versement de l’aide financière pour permettre rapidement des avancées concrètes et une amélioration du sort des réfugiés en Turquie, dont la grande majorité vit hors des camps, et accélérer la mise en œuvre des réinstallations de réfugiés syriens en Europe.

Quant aux autres préconisations de la mission, au vu de ce que je viens de dire, je souhaite mettre l’accent sur deux d’entre elles qui me paraissent prioritaires concernant la Grèce.

La première est de débloquer rapidement le traitement des demandes d’asile dans les hotspots grecs, où la situation est explosive et les tensions à leur comble. Le récent incendie du camp de Moria, à Lesbos, l’a démontré : qui sait ce qui pourrait se passer si la soupape sautait ?

Il est urgent de fournir au Bureau européen d’appui en matière d’asile, l’EASO, qui assiste tant bien que mal la Grèce dans le traitement des demandes d’asile, les experts dont il a besoin. Cette agence fonctionne avec 40 experts sur place, alors qu’on lui en avait promis 400, la France s’étant engagée à en fournir une centaine. Cette situation est d’autant plus regrettable que nous disposons, avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, de compétences reconnues qui pourraient être là-bas d’une grande utilité pour traiter des demandes d’asile désormais essentiellement sur le fond. J’invite donc le Gouvernement à honorer aussi rapidement que possible son engagement de fournir des renforts à l’EASO et à inciter l’OFPRA, dans le respect de son indépendance, à reconsidérer sa position de principe sur ce point.

Notre seconde priorité devrait être, pour conforter l’accord, de renforcer, avec l’aide de FRONTEX, la protection des frontières extérieures de l’Union dans la région, en mer mais aussi sur terre. Comme je l’ai déjà indiqué, on aurait tort de croire que le problème est réglé dans les Balkans, les filières, sous l’action des passeurs, se recomposant avec une agilité surprenante. FRONTEX doit aider la Grèce et les pays des Balkans à contrôler leurs frontières terrestres, dont la fermeture garantit l’efficacité de l’accord.

Pour conclure, je veux souligner que la question migratoire est devant nous pour de nombreuses années. Le mouvement auquel nous assistons est durable et structurel. Il faut que nous nous donnions la capacité de l’anticiper et de le gérer. Notre diplomatie doit intégrer cette préoccupation qui devient, que nous le voulions ou non, une question de politique étrangère à part entière.

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