Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reprends la parole afin de tirer quelques leçons du travail mené avec mon collègue Gaëtan Gorce, au nom de la commission des affaires étrangères, sur le thème de l’Europe face à la crise des migrants.
Une crise migratoire n’est pas une affaire nouvelle en Europe : on a trop vite oublié les grands déplacements de populations consécutifs à la Seconde Guerre mondiale. Dans les années quatre-vingt-dix, l’Europe s’est dotée de nombreux instruments de coordination politique et opérationnelle dans ce domaine. Cependant, le conflit syrien a révélé toute la faiblesse de ces outils et le niveau d’impréparation réelle des Européens.
Qu’il s’agisse de la maîtrise des frontières extérieures ou des règles de Dublin pour la gestion des demandes d’asile, les outils communautaires ont été conçus pour un temps calme, non pour la tempête. Pourtant, l’exil de millions de réfugiés syriens vers les pays voisins à partir de 2011 aurait dû inciter les Européens à se préparer à cette irruption massive. Il n’en a rien été. L’Europe a fait preuve d’un déficit d’anticipation confinant au déni de réalité. Elle s’est alors condamnée à réagir dans l’urgence, et de manière particulièrement désordonnée, à l’arrivée, en 2015, d’un million de personnes entrées irrégulièrement sur son territoire.
Certes, depuis un an et demi, les initiatives se sont multipliées, mais le bilan s’avère plus que mitigé. Dans le meilleur des cas, les États membres ont acquiescé aux mesures prises, sans toutefois montrer de réelle implication dans leur mise en œuvre ni s’acquitter des engagements financiers auxquels ils avaient souscrit. Au pire, ils ont fait étalage de leurs profondes divisions.
Cette gestion chaotique de la crise migratoire a suscité des tensions telles qu’elle menace d’éclatement l’espace Schengen, c’est-à-dire la concrétisation du principe de libre circulation des personnes, la pierre angulaire même de la construction européenne. Divisée et affaiblie, l’Union européenne a été réduite à s’en remettre à son voisin turc, dont elle ne partage pas tous les objectifs au Levant : cela est dangereux !
L’accord trouvé au mois de mars est difficilement applicable. En outre, il comprend des concessions importantes sur la libéralisation du régime des visas, et ce alors même que la Turquie semble s’enfoncer dans l’autoritarisme.
Qu’il s’agisse ou non de la conséquence directe de cet accord, la conclusion de celui-ci a néanmoins coïncidé avec un répit – certes relatif – sur le front migratoire. Cette accalmie ne saurait pourtant faire oublier que les migrations, bien au-delà du drame syrien, demeureront un enjeu majeur des années, voire des décennies, à venir.
À l’échelle mondiale, en particulier sur notre continent, les conséquences du changement climatique et l’installation durable d’un arc de crise dans l’environnement proche de l’Europe continueront à nourrir des flux migratoires importants.
Surtout, c’est l’évolution du continent africain qui doit aujourd’hui nous interpeller. La population de l’Europe est stationnaire, voire déclinante ; l’Afrique subsaharienne verra la sienne passer de 750 millions de personnes à 2 milliards en 2050. Si les flux observés sur la route de la Méditerranée orientale, privilégiée par les réfugiés syriens, ont connu une spectaculaire décrue, les arrivées reprennent par la route de la Méditerranée centrale, empruntée essentiellement par des migrants économiques en provenance d’Afrique subsaharienne. Il s’agit là d’un mouvement constant, appelé à durer. Ne faisons pas preuve, sur ce sujet, de la même cécité qu’à l’égard du conflit syrien.
Si l’adoption récente des projets de création de corps européens de garde-côtes et de garde-frontières représente une avancée considérable, elle ne saurait suffire, tant nous manquons d’une stratégie globale et d’instruments robustes en matière de gestion des migrations.
Monsieur le ministre, la construction d’une réponse efficace et globale à ce défi doit maintenant devenir l’une des priorités de notre diplomatie et de la diplomatie européenne. La France est apparue relativement effacée sur ces dossiers fondamentaux. Nous attendons d’elle qu’elle prenne des initiatives à l’égard de nos partenaires, comme dans la lutte contre les réseaux de passeurs, contre cette économie de la migration qui tire des revenus énormes d’une forme nouvelle d’esclavage.
Il est temps de comprendre qu’une sécheresse dans le Sahel, un conflit politique mal réglé en Afrique centrale, la persistance d’une dictature brutale quelque part dans la corne de l’Afrique se traduit et se traduira par l’arrivée sur les côtes méditerranéennes d’hommes et de femmes qui n’ont plus rien à perdre et pour qui le mirage européen représente le seul espoir.
La question des migrations n’est plus seulement stratégique pour l’Europe, elle est devenue existentielle pour l’Union européenne, donc pour la France. Il est plus que temps d’en prendre conscience !