Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 18 octobre 2016 à 14h30
La france et l'europe face à la crise au levant — Débat organisé à la demande d'une mission d'information et de la commission des affaires étrangères

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international :

La crise au Levant est d’abord née de la réaction à l’aspiration des peuples à l’émancipation qu’ont révélée les printemps arabes. Cette vague de rejet des régimes autoritaires est venue de l’intérieur, reflétant de profonds bouleversements politiques, économiques et sociologiques accentués par la mondialisation. Elle a déferlé sur l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient.

La Syrie de Bachar al-Assad n’y a pas échappé. Après les émeutes de 2011, le régime, dominé par la minorité alaouite, s’est lancé dans une répression sauvage contre sa population. Avec l’appui de la Russie et de l’Iran, le pouvoir a persisté dans cette spirale de violences, qui a abouti, après cinq ans de guerre civile, à la destruction presque totale du pays.

Les effets de la crise syrienne ont été démultipliés par l’affrontement régional entre chiites et sunnites. Cette ligne de fracture ne date pas d’aujourd’hui. L’Iran, qui se perçoit comme chef de file de l’islam chiite, a construit sa politique régionale sur les minorités. Au Liban, en Syrie, au Yémen et ailleurs, il a favorisé l’affaiblissement de l’État central et fait émerger des acteurs puissants, comme le Hezbollah. Leur renforcement a exacerbé les tensions avec la majorité sunnite, soutenue par l’Arabie saoudite.

La Syrie est devenue le réceptacle de toutes ces tensions. Les pays arabes, l’Iran, la Turquie, la Russie se sont progressivement impliqués dans un conflit qui est devenu l’occasion de rebattre les cartes de la puissance à l’échelle de toute la région. La dimension kurde a aggravé les relations déjà difficiles entre les principaux acteurs, les alliances évoluant au gré des modifications de leurs intérêts.

Enfin, la crise syrienne a un impact inédit sur l’Europe, potentiellement dévastateur pour nos sociétés dont elle met à l’épreuve la sécurité et les équilibres.

La menace terroriste est devenue multiforme. C’est avant tout Daech qui, sur fond d’exacerbation du conflit en Syrie, s’est doté d’une assise territoriale, à partir de laquelle ce groupe menace ses voisins et l’Europe. Il est également présent en Libye et il est parvenu à s’étendre par le jeu des franchises et des allégeances : c’est le cas en Afrique, avec Boko Haram.

Se nourrissant du désespoir des populations et de la répression continue en Syrie, Al-Qaeda a également repris des couleurs, à l’image de sa branche syrienne, Jabhat al-Nosra, aujourd’hui rebaptisée Jabhat Fatah al-Cham. Nous condamnons ses activités avec la plus grande fermeté, comme nous appelons, chaque fois que nous le rencontrons, M. Riad Hijab, responsable de l’opposition modérée, à se séparer clairement de ce groupe.

M. Gorce nous dit que 80 % des opposants syriens étaient des djihadistes. Je m’inscris en faux contre cette affirmation. Il importe d’être précis pour ne pas tomber dans les pièges de la propagande. Nos services de renseignement estiment que, à Alep, sur 10 000 combattants, de 200 à 300 appartiennent au groupe Jabhat al-Nosra. Certes, des chiffres un peu plus élevés circulent, mais nous nous accordons avec nos alliés, et même avec les Russes, sur le fait que les djihadistes ne représentent pas plus de 10 % des combattants.

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