Intervention de Muriel Domenach

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 13 octobre 2016 : 1ère réunion
Audition de Mme Muriel Domenach secrétaire générale du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation

Muriel Domenach, secrétaire générale du CIPDR :

Je vous remercie de votre invitation. J'ai pris la direction du secrétariat général du CIPDR le 22 août dernier. Je suis diplomate, et rien ne me destinait à exercer ces responsabilités interministérielles dépendant du ministère de l'intérieur. J'ai un parcours classique au sein de la diplomatie, dans l'une des filières d'excellence du ministère des affaires étrangères, à savoir les affaires stratégiques et politico-militaires. J'ai servi au ministère de la défense. J'étais partie à Istanbul pour un travail autre que les enjeux de sécurité. L'enjeu, en 2013, était de regagner de l'influence après des années difficiles. À Istanbul, les questions de sécurité m'ont rattrapée. Le refoulement et l'expulsion de compatriotes « djihadistes » et la mise en place d'un protocole de coopération spécifique avec la Turquie, dit « protocole Cazeneuve », a conduit le consulat à gérer les refoulements et les expulsions de Français. J'ai eu une fréquentation intense, intéressante, interpellante, à la direction d'une équipe non formée, de nos jeunes compatriotes radicalisés. J'arrive donc à des responsabilités pour mettre en oeuvre une politique publique dont je connais mieux les publics que les acteurs, et appliquer la feuille de route du Premier ministre et du ministre de l'intérieur.

Le CIPDR associe dix-sept départements ministériels, dirigés par douze ministres. Il s'est réuni pour la dernière fois le 28 juillet. J'y participais exceptionnellement, dès avant ma nomination formelle. Nous assurons le secrétariat de ce comité avec la fonction d'animation, de coordination des départements ministériels et surtout de mobilisation à travers les territoires et dans l'espace public contre la radicalisation.

Nous définissons la radicalisation comme la combinaison de deux éléments : une association entre une idéologie extrême - une pratique religieuse rigoriste - et une évolution, voire un basculement vers la violence. La politique de prévention de la radicalisation a pour objectif de déconnecter cette idéologie extrême de la violence, sans mettre à distance la pratique religieuse. Nous ne voulons pas déconvertir ni réduire la pratique religieuse ; nous réinsérons, réengageons et déconnectons de tout lien avec la violence.

Je dresse un constat paradoxal : la France est beaucoup moins confiante dans les actions conduites et moins consciente des actions de prévention que nos partenaires, alors qu'elle est plus consciente de la radicalisation. Nos partenaires étrangers, à ma grande surprise, sont assez satisfaits de leur action. Ils ont confiance dans ce qu'ils font et le mettent bien en valeur. Certes, la France est beaucoup plus attaquée et est en première ligne avec la multiplication d'attentats ; les opérations antiterroristes couronnées de succès sont aussi perçues comme des alertes. Nous sommes visés pour ce que nous sommes et ce que nous représentons. Je l'ai bien senti lorsque j'étais en poste à l'étranger : c'est la France de la liberté d'expression, de l'égalité - y compris entre hommes et femmes -, de la fraternité et de la laïcité qui est visée.

Fin septembre, 12 114 signalements - selon les forces de l'ordre - ont été réalisés par le Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR) et les états-majors de sécurité placés autour des préfets. Avec les autres « objectifs », 15 000 personnes sont suivies. Grosso modo, 80% sont majeurs - l'augmentation du nombre de mineurs n'est pas une augmentation en proportion ; 70% sont des hommes, 36% des convertis. Quelque 805 personnes, soit 7% du total, sont parties sur le terrain syro-irakien avec un taux de mortalité de 20%, très élevé. Telle est la réalité de la radicalisation en France.

Nous avons une conscience plus aigüe du phénomène que nos partenaires, et peut-être pas assez conscience de ce qui se fait. Nous agissons dans le cadre du Plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme présenté le 9 mai dernier par le Premier ministre, tandis que le précédent plan de lutte contre le terrorisme d'avril 2014 avait été préparé uniquement par la place Beauvau. Certes, le ministère de l'intérieur reste « l'actionnaire majoritaire » de la lutte contre la radicalisation, du fait des implications pour notre sécurité qui sont au coeur du dispositif. Je salue la qualité de l'expertise de tous les services du ministère de l'intérieur. Le caractère interministériel de la lutte contre la radicalisation est significatif et prioritaire au sein de nos politiques publiques.

Un dispositif de détection a été instauré depuis le 29 avril 2014. Le numéro vert 0800 005 696, installé à l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) place Beauvau, reçoit un nombre d'appels conséquent. Les répondants font la part des choses, notamment après les attentats, entre les signalements visant une pratique religieuse extrême et les signalements inquiétants, grâce à des indicateurs de radicalisation - que vous trouverez sur le site du CIPDR. Les signalements sont réalisés à hauteur de 50% par le CIPDR et 50% par les états-majors de sécurité, et rassemblent des éléments identifiés par les services de l'État et ceux des collectivités locales.

Le dispositif de détection est situé dans les territoires auprès des préfets, de même que le dispositif de prévention et d'accompagnement des familles. Ces cellules réunissent tous les services intéressés, les procureurs, des représentants de l'islam ; cela fonctionne très bien. Le degré d'association des collectivités est important. Elles sont la cheville ouvrière du dispositif de prévention et d'accompagnement des familles, car elles les aiguillent vers des référents et des structures de prise en charge.

Aujourd'hui, 2 240 personnes sont suivies dans le cadre de ces cellules pour la prise en charge psychologique et sociale, et 972 familles sont accompagnées. Lorsque le plan d'action de lutte contre la radicalisation et le terrorisme a été présenté en mai 2015, 1 600 personnes étaient suivies et 800 familles accompagnées. L'objectif était de doubler ce nombre dans les deux ans, nous avons déjà bien progressé.

Je souligne la qualité de ces actions alors qu'on doute souvent de ce que nous faisons. Nous ne percevons pas assez quels sont nos atouts. Le maillage territorial de l'administration de l'État comme des collectivités et des associations est un triple atout dans la lutte contre la radicalisation en France.

Nous bénéficions d'un maillage associatif important et de sa mobilisation depuis des dizaines d'années dans des domaines souvent douloureux, comme la lutte contre les addictions. Là où il est difficile d'instaurer des relations, nous bénéficions de ces associations spécialisées et de la relative précocité française de la lutte contre les dérives sectaires. Nous bénéficions aussi de dispositifs d'éducation spécialisée et de soutien des jeunes (maisons des adolescents, points d'accueil et d'écoute jeunes) de grande qualité, avec une prise en charge faisant boule de neige. La prévention de la radicalisation a pris chair dans les dispositifs de droit commun, avec souvent des associations ad hoc formées avec des dispositifs pluridisciplinaires : travailleurs sociaux, éducateurs, psychologues, parfois représentants religieux,...

Associer les collectivités et les élus locaux est une priorité. Sous l'égide du cabinet du Premier ministre seront organisées, le 24 octobre prochain à la Cité de la Villette, des rencontres nationales sur la radicalisation. La journée sera introduite par le ministre de l'intérieur et conclue par le Premier ministre, en présence de représentants de grandes associations d'élus - notamment l'Association des maires de France (AMF), l'Association des départements de France (ADF), l'Association des petites villes de France (APVF) et aussi l'Association des régions de France (ARF), même si les régions sont moins concernées, du fait de leurs compétences.

Donnons un coup d'accélérateur à la prise en charge locale, qui s'étoffe et se diversifie via le maillage associatif. Cette journée sera l'occasion de présenter et de valoriser les bonnes pratiques dans les territoires, pour mobiliser davantage encore. On ne part pas de rien sur l'association des collectivités au dispositif de prévention de la radicalisation. Selon un questionnaire adressé aux préfectures, sur 45 réponses reçues, 42 préfectures ont rédigé un protocole opérationnel d'échange d'informations. Dans 88 départements, le conseil départemental est représenté au sein de la cellule mise en place. Selon les préfectures, la présence des communes et des EPCI est jugée active dans 27 départements sur 34.

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