Intervention de Catherine Troendle

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 12 octobre 2016 à 9h00
Évolution de l'activité des services départementaux d'incendie et de secours sdis en matière de secours à personne — Examen du rapport d'information

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle, co-rapporteur :

Lorsque nous avons débuté cette mission, Pierre-Yves Collombat et moi-même avons conclu un pacte : prendre beaucoup de recul et ne rien laisser au hasard ; approfondir toute question qu'il nous semblerait utile de clarifier, sans préjugé ni complexe. C'est ainsi que nous avons, au gré de nos auditions et de nos déplacements et par la synthèse des questionnaires que nous avons adressés à tous les SDIS de France, mis en évidence un véritable décalage entre ce qui devrait être et ce en quoi consiste réellement le secours à personne. Aller au bout de cette démarche a été très valorisant pour moi, qui présente chaque année un rapport pour avis sur le budget de la sécurité civile et qui n'avais à ce jour pas trouvé le temps nécessaire pour mettre en lumière ces difficultés.

Premier axe de réflexion : les carences ambulancières. Les SDIS sont amenés à intervenir, à la demande des SAMU, en cas d'indisponibilité d'une ambulance privée. Ces carences ambulancières sont réparties de façon très variable sur le territoire : si elles constituent en moyenne 7 % des interventions des SDIS, le taux est de 0,5 % dans l'Indre, 25 % dans l'Oise et 53,33 % à Mayotte. Cette part s'explique tout d'abord par le sous-dimensionnement des permanences de soins ambulatoires, le désengagement des médecins libéraux ou la disparition totale de la permanence dans tel département ; ensuite, par l'indisponibilité des transporteurs privés en raison de l'organisation de la profession, de la taille des entreprises ou de la répartition géographique des ambulances, moins nombreuses, voire absentes, dans certains territoires ruraux.

Le remboursement aux SDIS de leurs frais d'intervention pour carence du transport sanitaire s'effectue sur la base d'un forfait fixé à 118 euros en 2015. Plusieurs SDIS, dont le nombre de carences a presque triplé en quatre ans, entre 2010 et 2014, estiment que le montant de l'indemnisation pour carence ne couvre pas les charges réellement supportées. Certains évoquent même le « scandale de l'insuffisance du remboursement au titre des carences ambulancières », et avancent que le coût d'une intervention s'élève parfois jusqu'à 500 euros. Le remboursement pour frais d'intervention en cas de carence ambulancière représente la seule contribution des organes de santé au fonctionnement des SDIS, alors même que l'aide médicale d'urgence est une mission du ministère de la santé.

Deuxième axe de réflexion : la part croissante du secours à personne dans l'activité des SDIS. Les SDIS sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies, qui constitue leur coeur de métier, et dont ils ont l'exclusivité. À titre supplétif seulement, en collaboration avec les autres services et professionnels concernés, ils concourent aux secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi qu'à leur évacuation. Pourtant, cette dernière mission représente aujourd'hui 69 % de leurs interventions, la lutte contre les incendies seulement 8,5 %. Entre 2004 et 2014, alors que le nombre des interventions des SDIS a crû de 20 %, leurs interventions au titre du secours à personne ont augmenté de plus de 55 %. Cette tendance de fond cache des disparités selon les départements : cette part représente 55,5 % dans la Sarthe, 87,2 % dans le Lot.

Outre la popularité des pompiers auprès de nos concitoyens, cette part croissante s'explique par l'évolution de la carte médicale et par la diminution des permanences médicales de proximité, en particulier dans les territoires ruraux. Pour certains SDIS, la multiplication des interventions ne présentant pas d'urgence est liée à la désertification médicale. Pour nos concitoyens, elle est compensée par le maillage territorial des casernes de sapeurs-pompiers. Aussi les SDIS sont-ils sollicités pour des interventions de « bobologie » qui ne relèvent pas de leurs compétences...

Troisième axe de réflexion : les compétences respectives du SAMU, du SMUR et du SDIS dans l'aide médicale urgente. Le service public de l'aide médicale urgente n'est pas clairement organisé, et les moyens qui y sont consacrés ne sont pas rationnellement utilisés. Les missions du SAMU reposent sur une logique de régulation : le médecin régulateur du SAMU détermine et déclenche la réponse médicale qu'il estime la plus adaptée à l'état du patient, en l'orientant au besoin vers l'unité d'hospitalisation la plus appropriée. Les SMUR sont chargés, par le SAMU, des patients dont l'état requiert une prise en charge médicale et de réanimation urgente ainsi que des transferts inter-hospitaliers. Les transporteurs sanitaires privés apportent un concours à l'aide médicale urgente : l'agrément dont ils bénéficient leur ouvre droit à titre principal à la participation à ce service public et, à titre subsidiaire, aux missions de transport sanitaire sur prescription.

Aux côtés des SAMU, des SMUR et des transporteurs privés, les SDIS sont très actifs en matière d'aide médicale urgente. Leur intervention repose sur le principe du « départ réflexe » qui leur permet d'engager des moyens avant régulation médicale par le SAMU lorsque le délai de la réponse à l'appel est de nature à induire une perte de chance de survie pour la personne en détresse. Ainsi, les missions exercées au titre du secours à personne pour les SDIS en font un acteur incontournable de l'aide médicale urgente, ce qui renforce la nécessité d'une meilleure coordination entre les intervenants. Mais le risque du départ réflexe est, comme le souligne la Cour des comptes, de « générer des doublons injustifiés dans les interventions », car rien n'empêche les SDIS d'intervenir dans les cas où leur présence n'est pas utile, ce qui peut aussi expliquer la part croissante du secours à personne dans leur activité. Une solution réside dans une régulation commune SAMU-SDIS : c'est le quatrième axe de nos réflexions.

Pour répondre aux appels d'urgence, toute personne peut composer le « 15 » pour le SAMU, le « 18 » pour le SDIS, et le « 112 » qui est le numéro d'appel européen unique. Si le « 15 » est dédié au traitement des appels d'urgence médicale, un grand nombre d'entre eux transitent par le « 18 » qui doit en conséquence les transférer au centre de régulation des appels du « 15 », celui-ci faisant de même à l'attention du « 18 ». La mutualisation de deux plateformes - « 15 » et « 18 » - en relation quotidienne permettrait de réaliser des gains d'efficacité importants. Si 19 SDIS ont mis en place un centre commun avec le SAMU, le « chacun chez soi » prédomine encore largement. D'abord en raison de l'éloignement physique du SAMU de l'hôpital : la dissociation de la communauté hospitalière entraînerait une perte de lien pour le personnel médical et conduit à un déficit de renforts par les médecins du SMUR. Cet inconvénient peut être réglé par l'implantation de la plateforme commune dans l'enceinte du centre hospitalier universitaire (CHU).

Autre raison invoquée : les différents régimes de rémunération des opérateurs du « 15 » et du « 18 », qui relèvent respectivement de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale. L'obstacle majeur au regroupement résiderait surtout, selon certains, dans la spécificité des deux métiers et le fait qu'en matière de secours à personne, c'est l'expertise du médecin qui s'impose. Argument étonnant dans la mesure où la création de plateformes communes et l'élaboration de référentiels communs vise à séparer la masse des appels qui ne nécessitent pas d'expertise médicale de ceux qui la requièrent tout en permettant le traitement rapide des cas douteux puisque les régulateurs médicaux sont là.

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