Intervention de Anne-Catherine Loisier

Réunion du 20 octobre 2016 à 14h45
Situation de la filière équine — Débat sur les conclusions d'un rapport de la commission des affaires économiques

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteur :

À partir de là, les comptes d’exploitation se sont dégradés jusqu’à devenir déficitaires. Les acteurs, qui se battaient déjà contre les augmentations de charges et la baisse du pouvoir d’achat des Français, se sont découragés.

Les cessations d’activité se multiplient sous l’effet conjugué de cette hausse des coûts et de la baisse d’activité liée également à la réorganisation des temps scolaires pour les centres équestres. En outre, l’élevage s’effondre avec une chute de près de 40 % des naissances dans les dix dernières années.

Il est donc urgent d’agir, monsieur le ministre, pour sauver ces 53 000 entreprises, ces 76 000 emplois directs et 100 000 emplois indirects répartis sur l’ensemble de notre territoire jusque dans les plus petits villages. L’inquiétude exprimée par la totalité des acteurs de terrain nous a conduits à élaborer un rapport sénatorial – je remercie M. le président de la commission des affaires économiques de m’avoir confié cette mission – concis, mais transversal sur la situation de la filière équine.

Nous voulions souligner l’énorme potentiel économique de la filière, encore en devenir, et la capacité de rebond des acteurs de ce secteur. Il suffirait d’un petit coup de pouce financier, somme toute limité, pour inverser les dégradations en cours. En témoignent les performances de nos cavaliers lors des derniers jeux Olympiques, la résilience que j’ai évoquée et dont font preuve les professionnels sur le terrain, le prestige de notre équitation et de nos courses, et les compétences internationalement reconnues de notre filière, que nous nous efforçons de mettre en évidence dans notre rapport.

D’une part, notre modèle de financement de l’élevage par un prélèvement sur les paris hippiques s’avère le plus efficace d’Europe. Ainsi, nos courses, qui figurent parmi les plus prestigieuses au monde, servent également l’intérêt général et irriguent toute une économie.

Il serait absurde de ne pas perpétuer ce mécanisme vertueux de solidarité interne de la filière, au moment même où des pays étrangers comme la Chine s’en inspirent pour « verdir » et ruraliser leur croissance économique.

D’autre part, nos 2 400 centres équestres ont su, plus que partout en Europe, démocratiser l’équitation en fournissant aux élèves à la fois le prêt d’une monture et une méthode d’apprentissage.

À l’heure où on loue les vertus pédagogiques et même thérapeutiques du cheval, ce modèle dit « du cheval partagé », accessible au plus grand nombre, est, contre toute logique, aujourd’hui fiscalement pénalisé. En effet, la réglementation européenne réserve l’application du taux réduit à la pratique anglo-saxonne du cavalier qui possède sa monture et se contente d’utiliser les installations du centre équestre.

C’est donc l’équitation à la française qui est particulièrement menacée, presque exclusivement frappée par des critères européens. C’est le monde à l’envers ! Je n’ose imaginer ce qu’aurait pensé Maurice Lauré, le père de la TVA…

Dans notre rapport, monsieur le ministre, nous tentons de dresser une liste de mesures ponctuelles pour apporter des solutions et répondre au désarroi des acteurs de terrain.

Mes collègues aborderont ces différents sujets de soutien à l’élevage, de l’éligibilité aux aides de la politique agricole commune, la PAC, ou encore de l’avenir et du rôle de l’Institut français du cheval et de l’équitation, l’IFCE, anciennement Haras nationaux.

Pour ma part, j’insisterai sur deux mesures générales.

J’évoquerai tout d’abord le nécessaire réaménagement fiscal, d’autant qu’aujourd’hui la Commission européenne, soucieuse de remédier à la complexité de la TVA, aux fraudes et aux contentieux avec les États membres qui se sont multipliés, propose une remise à plat de la directive TVA.

Monsieur le ministre, saisissons cette occasion pour proposer la solution de bon sens : le retour au taux de TVA réduit pour filière équine. C’est la clef de voûte de l’équilibre économique de cette filière, mais c’est aussi le sauvetage de milliers d’emplois. C’est enfin plus d’efficacité dans la lutte pour une meilleure lisibilité fiscale. En effet, les rapports du Conseil des prélèvements obligatoires montrent à quel point on s’y perd dans la multiplicité des taux applicables à des opérations à peu près analogues selon les pays.

Deuxième axe, nous insistons sur la nécessité, pour l’État, de prendre en considération la solidarité, ou l’interdépendance, entre toutes les composantes de la filière, du plus petit éleveur de l’une de nos 25 races au grand propriétaire de chevaux de courses, en passant par le moniteur d’un centre équestre : tous demandent aujourd’hui une politique de soutien et de valorisation globale de la filière.

Les raisonnements cloisonnés, dictés par les calculs budgétaires de très court terme, précipitent, on le voit aujourd’hui, des pans entiers de notre économie dans des difficultés structurelles encore plus dramatiques à l’avenir pour nos finances publiques, monsieur le ministre, dans la mesure où ces entreprises risquent de ne pas se relever, comme on l’a malheureusement observé dans nombre de pays européens. Essayons de ne pas en arriver là !

Les courses permettent donc d’irriguer toute la filière et l’économie rurale par le biais des fonds de soutien ou des primes distribuées. Elles ont ainsi permis ces dernières années le développement de pôles équestres innovants et attractifs. Elles ont soutenu les éleveurs et maintenu de grands centres d’entraînement français qui ont aussi drainé des chevaux étrangers. Mais elles sont aujourd’hui confrontées à des défis majeurs qui mettent en cause leur pérennité, car l’ouverture à la concurrence des paris hippiques en ligne conjuguée à la baisse du nombre des parieurs érode chaque jour davantage les recettes du Pari mutuel urbain, le PMU.

L’équilibre commercial entre le PMU et ses opérateurs concurrents ne doit pas être menacé par ces diverses évolutions techniques.

Monsieur le ministre, vous devez tenir compte de ces réalités dans le maniement des paramètres fiscaux applicables aux opérateurs de jeux ! Vous devez préserver l’attractivité des paris hippiques, comme vous l’a confié dans sa sagesse le législateur.

Je rappelle ici l’article 3 de la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture des jeux d’argent en ligne, qui assigne à l’État la mission de « veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d’éviter toute déstabilisation économique des filières concernées ». Nous en sommes rendus là aujourd’hui.

Si certains ont pu par le passé s’interroger, voire miser sur l’absence de cohésion de la filière équine, le doute n’est aujourd’hui plus permis. Le 7 octobre dernier, face à la gravité de la situation, les représentants des cinq sociétés dites « mères » de la filière se sont réunis ici même, au Sénat, pour signer une déclaration commune appelant à la mise en place d’une véritable « politique nationale et européenne du cheval ».

Les sénateurs apportent évidemment tout leur soutien à cette démarche et insistent sur l’urgence de cette initiative.

Monsieur le ministre, notre pays, grande nation de cavaliers, d’art équestre et d’élevage doit être celui qui initiera cette politique ambitieuse et volontariste si nécessaire et tant attendue.

Pour conclure, je reprendrai la citation que notre président a employée lors de ses vœux en 2015, maxime des grands écuyers français : « En avant, calme et droit » !

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