Intervention de Jean Pisani-Ferry

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 19 octobre 2016 à 9h35
Audition de M. Jean Pisani-ferry commissaire général de france stratégie

Jean Pisani-Ferry, Commissaire général de France Stratégie :

Je vous remercie de vos questions. Si nos planches ont choqué ou semblent avoir occulté le facteur humain, je tiens à vous dire que tel n'était pas notre objectif. Certaines de nos expressions peuvent certes paraître un peu abruptes, mais elles ne fournissent que des interprétations des données chiffrées. Il est important de susciter la discussion également.

Il n'y a pas de fatalité en matière de développement territorial, comme l'histoire ou la géographique économique nous l'enseignent. Le rôle du quasi-hasard est considérable et remet en cause les projections conduites à partir de certaines structures ou faits objectivés. Les effets cumulatifs peuvent jouer et le facteur humain demeure très présent dans l'histoire. Il faut toujours avoir ce point en mémoire. Le fait de savoir pourquoi, dans chaque pays, les activités se situent à certains endroits n'appelle globalement pas de réponse totalement objective, mais résulte souvent de l'histoire et du facteur humain.

La mobilité sociale est aussi l'affaire des individus. Effectivement, derrière les observations que nous faisons, se trouvent ancrés des comportements et des traditions hérités de l'histoire sociale. On ne peut accepter un tel phénomène. Il faut concevoir que la mission de service public de l'éducation nationale aille au-delà de l'égalité de l'offre, pour encourager et accompagner les trajectoires individuelles. Il faut informer les familles tant l'inégalité d'accès à l'information est manifeste, tant les filières sont complexes et une mauvaise orientation est facteur d'échec. Il ne serait pas déraisonnable de fixer des objectifs indicatifs par département en matière de mobilité sociale à l'horizon d'une décennie. Une telle démarche pourrait débuter dès le collège ou le lycée. Les collectivités locales pourraient également y aider, tant le développement de leur territoire est concerné.

S'agissant des aspects analytiques de la redistribution, les écarts en France par rapport à d'autres pays résultent notamment de l'effet socio-fiscal. Certains territoires accueillent ainsi plus de retraités ou de personnes ayant accès aux prestations sociales sous condition de ressources. C'est un effet mécanique et puissant. Mais nous avons également une situation où les inégalités de revenus primaires sont sensiblement plus faibles que dans un certain nombre d'autres pays. Ce n'est pas minimiser les divergences entre Nord-Est et Sud-Ouest que d'établir un tel constat. Il s'agit au contraire de prendre la mesure du problème auquel nous faisons face et qui, au regard des problèmes rencontrés par nos voisins, s'avère de moindre ampleur. Il vaut mieux, me semble-t-il, percevoir cette situation comme une source d'encouragement ou d'optimisme quant à nos capacités en la matière.

Les collectivités ultramarines ne figurent pas dans cette analyse. Je suis conscient qu'il faut l'améliorer sur ce point. Nous avons certes inclus ces collectivités de manière implicite dans notre comparaison des écarts de revenus avec la métropole. Mais de nombreux problèmes méthodologiques se posent, comme celui de la comparabilité des données et de leur accès.

Sur l'inclusion du grand Nord-Ouest dans le grand Nord-Est, il s'agit d'un découpage entre deux macro-régions. On peut naturellement en réduire l'échelle pour interpréter les données.

Sur les questions du retour vers le rural et de la prise en compte de ses particularismes, il ne faut pas raisonner exclusivement de manière générale. On ne peut aborder les dynamiques de développement à une trop grande échelle car, comme chacun sait, ces dernières peuvent s'avérer différentes, avec parfois des créations de prospérité considérables qui contrastent avec des situations de grande difficulté.

L'inversion possible de la dynamique métropolitaine représente un phénomène limité. Il faut certes miser dessus, car certaines populations qualifiées peuvent souhaiter ne pas vivre en ville. Mais les villes moyennes ont beaucoup de mal à retenir les populations qualifiées car celles-ci, pour des raisons d'emploi et de mode de vie, ont tendance à se rapprocher des aires métropolitaines. Cette dynamique relève d'autres facteurs que de considérations strictement économiques.

Faisons-nous de la stratégie ? Je ne prétends pas arriver devant vous avec un catalogue complet de mesures à prendre. Nous avons abordé l'ensemble de ces questions à partir d'une interrogation portant sur le développement économique général et nous ne sommes pas le Commissariat général à l'égalité des territoires dont la mission est centrée sur le développement territorial. Je suis conscient que notre démarche n'est pas exhaustive.

Si je devais résumer mon message en matière de stratégie, je dirais qu'il faut, d'une part, accepter et, d'une certaine manière, encourager le développement métropolitain comme vecteur de développement économique pour l'ensemble du territoire ; la création de ces métropoles induisant l'évolution des structures territoriales. D'autre part, se servir de ce dynamisme pour diffuser la croissance et la prospérité dans des territoires plus étendus. On peut se servir, pour ce faire, d'instruments techniques des politiques en matière d'infrastructures, d'éducation ou encore fiscales. Au niveau administratif, la dualité région-métropole me paraît favorable. Il faut éviter que les métropoles, devenues des isolats de prospérité, ne se concentrent plus que sur elles-mêmes, ce que prévient, du reste, le renforcement des régions qui sont en charge d'un territoire plus vaste et ont pour mission d'y développer l'emploi. Le fait que les régions puissent s'appuyer sur les métropoles permet de diffuser leur dynamisme sur un territoire plus large. Un tel constat ne permet certes pas de préciser les compétences dévolues à la métropole et à la région, mais il me semble que cette organisation bipolaire est pertinente. Le dernier point concerne la diffusion des politiques publiques de droit commun sur l'ensemble du territoire et la question de l'égalité des chances. Il faut que ces politiques aillent au-delà de l'objectif de l'égalité de l'offre pour honorer une exigence de résultats afin d'améliorer les situations constatées.

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