Intervention de Jean-François Rapin

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 19 octobre 2016 à 9h35
Régulation responsabilisation et simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, rapporteur :

Pourquoi, deux ans après la loi Thévenoud, qui a prouvé qu'elle apaisait les dissensions entre les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (VTC), des tensions sont-elles de nouveau apparues dans les rues ou dans nos esprits ? La loi Thévenoud est une loi d'équilibre, mais elle aurait dû être mieux appliquée. Elle n'a pas anticipé les agissements de certaines plateformes, à la limite de la légalité, voire illégaux. Des procédures contre ces plateformes sont d'ailleurs en cours devant des tribunaux.

J'ai reçu toutes les parties au cours de mes auditions - taxis, VTC, plateformes... Même si l'on craint encore des polémiques, je n'ai rencontré, moi, que des gens tout à fait responsables.

La loi Thévenoud encadre les VTC, mais certains ont voulu avoir recours à un autre dispositif, plus souple : celui des services occasionnels régis par la loi d'orientation des transports intérieurs (Loti) de 1982, et ils se sont engouffrés dans cette loi.

Aujourd'hui, les entreprises de transport collectif Loti ont l'obligation de transporter plus d'une personne. Or la majorité des véhicules ne transportent, en fait, qu'une seule personne, comme les taxis ou les VTC. On peut comprendre la crispation des professions régulées qui, elles, respectent la loi. Certes, le nombre de véhicules de transport particulier a progressé à Paris et dans les grandes agglomérations, mais insuffisamment.

Autre élément nouveau depuis 2014 : il est difficile d'agir contre l'organisation, par certaines plateformes, de services de mise en relation entre passagers et conducteurs présentés comme des services de covoiturage, alors qu'il n'en est rien. Doit-on conserver le covoiturage dans le texte ou l'en écarter ? Notre commission se doit de présenter une position claire en séance publique. UberPop a arrêté son activité, mais la plateforme Heetch demeure. Face à ce type de phénomène, la loi Thévenoud a prévu une lourde sanction de deux ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende, mais la procédure judiciaire est longue - il a fallu plus d'un an et demi pour condamner UberPop.

Les tensions ont ainsi été ravivées dans le secteur du transport public particulier de personnes, ce qui a conduit le Premier ministre à confier au député Laurent Grandguillaume une mission de concertation.

Le paysage a néanmoins changé : le conflit entre taxis et VTC semble s'être éteint. Ils se sont mis d'accord par exemple sur le principe d'un tronc commun d'examen théorique pour les taxis et les VTC. Désormais, le conflit les oppose aux transporteurs Loti.

La proposition de loi de Laurent Grandguillaume a été élaborée au pas de charge : tables rondes en avril, dépôt du texte en juin, examen à l'Assemblée nationale en juillet - le dernier texte avant la suspension estivale...

La proposition de loi supprime le statut Loti dans les grandes villes, où il est souvent détourné, en prévoyant une phase transitoire - les conducteurs pourront se convertir en chauffeur de taxi ou de VTC. Une série de mesures est par ailleurs destinée à responsabiliser davantage les plateformes et centrales de réservation et décourager les pratiques illégales et les abus vis-à-vis des conducteurs. Mes enfants utilisent des VTC, je ne vais pas condamner ce type de transport. Mais ne laissons pas les sociétés de VTC attirer les chauffeurs de taxi en leur faisant croire qu'ils peuvent, en dehors de leurs heures de travail, utiliser leur véhicule comme VTC - ce n'est pas conforme à la réglementation, la préfecture de police me l'a confirmé. Enfin, le texte transfère l'examen d'accès aux professions de chauffeur de taxi et de VTC aux chambres des métiers et de l'artisanat, dans la logique d'harmonisation des conditions d'accès aux deux professions.

Sur le fond, ces mesures complètent utilement le cadre juridique défini il y a deux ans. Je salue le difficile travail de concertation effectué, plusieurs mois durant, par Laurent Grandguillaume. Mais sur la forme, assurons-nous que la qualité du texte soit préservée, en prévoyant les conditions idéales de passage du statut Loti à celui de VTC. Je regrette vivement que le Gouvernement ait pris autant de temps pour réagir et demande ensuite au Parlement d'examiner un texte dans des délais très courts.

La précipitation s'explique par les tensions actuelles, mais elle ne saurait nous conduire à faire l'impasse sur la qualité des mesures adoptées. En utilisant une proposition de loi comme véhicule législatif, le Gouvernement se prive lui de l'avis du Conseil d'État et nous d'une étude d'impact. Ce n'est pas anodin : plusieurs dispositions de la loi Thévenoud, examinées dans les mêmes conditions, ont été censurées par le Conseil constitutionnel, saisi de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). L'interdiction d'informer de la localisation et de la disponibilité d'un VTC est en outre fragilisée par l'absence de notification à l'Union européenne dans les délais requis. Le Conseil d'État a ainsi annulé la mesure réglementaire prévoyant une sanction en cas d'infraction à cette disposition.

Or les plateformes et les centrales de réservation visées par le présent texte ne se priveront pas d'en attaquer le contenu lorsque l'occasion se présentera : nous devons être très vigilants. De fait, plusieurs dispositions ne présentent pas les garanties juridiques suffisantes. J'ai donc essayé d'y apporter une réponse, ou au moins de signaler les difficultés. Ce travail pourra être complété par la suite, en lien avec le ministère et les députés. Sur quelques dispositions, je ferai appel à votre sagesse. Enfin, comme nous y incite régulièrement notre président Gérard Larcher, j'ai cherché à supprimer les dispositions de nature réglementaire ou dont le caractère normatif est limité, car elles le rendent moins lisible et entretiennent le flou sur les responsabilités respectives du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.

L'article 1er soumet les services de mise en relation entre des conducteurs et des passagers - centrales de réservation par téléphone, applications numériques de réservation ou plateformes de covoiturage - à des règles communes. Mais il ne définit pas en des termes suffisamment précis les contraintes qui leur sont imposées, alors qu'une sanction pénale de 300 000 euros a été ajoutée à l'Assemblée nationale. Ce dispositif n'est donc pas conforme à la Constitution : il appartient au législateur de définir précisément ces obligations. Demandons explicitement aux plateformes de vérifier les permis de conduire, justificatifs d'assurance et cartes professionnelles des conducteurs, comme la loi Thévenoud l'a déjà imposé aux plateformes de réservation de VTC. Supprimons la nouvelle amende de 300 000 euros, disproportionnée : elle met sur le même plan ceux qui n'ont pas procédé aux vérifications requises et ceux qui ont sciemment organisé des activités illégales de taxi et de VTC. La mise en place, par le pouvoir réglementaire, de contraventions exigibles à chaque manquement constaté sera plus facile à mettre en oeuvre, et tout aussi dissuasive.

L'article prévoit ensuite des obligations spécifiques pour les professionnels qui mettent en relation des passagers et des conducteurs professionnels au travers de centrales de réservation. Si cette notion fait d'abord penser aux centrales-taxi, elle inclut également les plateformes numériques de réservation. L'article étend à l'ensemble des centrales de réservation les obligations déclaratives aujourd'hui imposées aux seules plateformes de VTC. Les autres dispositions de l'article figurent déjà dans le code des transports et ont simplement été déplacées.

Le chapitre consacré aux sanctions reprend celles qui existent - hormis la nouvelle sanction de 300 000 euros déjà évoquée. Il alourdit néanmoins d'un an d'emprisonnement, en plus des 15 000 euros d'amende, la peine applicable aux centrales de taxi interdisant à leurs conducteurs de prendre des clients en maraude. Cet alourdissement n'est guère opérant, s'agissant de personnes morales...

L'article 2 vise à remédier à l'absence de données sur le secteur du transport public particulier de personnes. Mais il autorise l'administration à imposer à tous, y compris les conducteurs, la transmission périodique de données dont le champ est défini de façon très large.

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