Nous en avons fait le constat très clairement dans notre rapport de juillet : l'application uniforme dans les outre-mer de la réglementation phytosanitaire européenne conçue pour des latitudes tempérées conduit à une impasse. La survie de filières agricoles entières est directement menacée par cette aberration.
L'agriculture des RUP souffre des très nombreux usages phytosanitaires orphelins, mais aussi de la fragilité de la couverture phytopharmaceutique menacée par des retraits soudains d'homologation de substances actives. C'est le cas aussi bien des filières de diversification comme l'ananas ou l'igname que des grandes cultures exportatrices comme la banane et la canne. Le maintien de la culture de la canne et donc la survie des filières du sucre et du rhum dépend de la prolongation du seul herbicide autorisé. L'Agence européenne de sécurité alimentaire est en train de procéder au réexamen de son autorisation. Notre proposition de résolution intervient aussi au bon moment de ce point de vue.
Il faut ici déplorer l'absence de réponse contre des ravageurs dévastateurs comme la fourmi manioc, parce qu'ils ne sont pas intégrés dans la nomenclature des usages pesticides. Même lorsque des produits phytosanitaires sont autorisés, l'encadrement de leurs conditions d'utilisation n'est pas adapté au climat tropical : les instances européennes ne tiennent pas compte des différences de température, de pluviosité, de vent ou de typologie des sols. Pourtant tous ces facteurs jouent sur la dispersion et la rémanence des produits. Dans notre rapport, vous retrouverez une description précise de ces aberrations.
C'est pourquoi nous préconisons de procéder à la révision du règlement sur les pesticides de 2009 pour dispenser d'homologation les phéromones et les extraits végétaux, et en général tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche implantés dans les RUP. C'était un point fort de nos recommandations pour valoriser notre recherche. C'est notre recommandation n°3. Elle permettrait enfin de doter les agriculteurs de moyens de protection à la fois efficaces et sûrs du point de vue sanitaire et environnemental. L'Inra et le Cirad ont développé et testé des solutions. Mais les procédures d'homologation au niveau européen sont trop rigides et onéreuses, ce qui bloque leur utilisation. Aujourd'hui, ce sont les pays tiers avec lesquels la France mène des actions de coopération qui profitent des résultats de la recherche financés sur fonds publics et pas les outre-mer !
Nous savons aussi que certains produits phytosanitaires ne sont pas autorisés pour les outre-mer seulement parce qu'ils ne constituent pas un marché assez important pour que les laboratoires déposent un dossier d'homologation. En revanche, ces mêmes produits sont homologués et utilisés dans des pays tiers. Nous proposons de réduire les usages orphelins et de rétablir en même temps la balance entre les outre-mer et les pays tiers en demandant à la Commission européenne d'établir une liste positive de pays dont les procédures d'homologation sont équivalentes à celles de l'Union européenne. Et il en existe un certain nombre ! À partir de cette liste, les autorités françaises pourront autoriser directement l'usage en outre-mer d'un produit homologué dans un des pays de la liste. C'est notre proposition n° 4.
Nous recommandons également d'autoriser pour les RUP, à titre dérogatoire, la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux mais non-inscrites au catalogue européen des variétés. Pour l'instant, cette absence d'inscription empêche de recourir à des plants naturellement résistants que l'on trouve dans les pays tiers. C'est notre proposition n° 5.
Plus largement, il nous paraît essentiel pour acclimater les normes aux conditions de production agricole de revoir les référentiels que l'Agence européenne de sécurité alimentaire utilise pour l'évaluation des risques. C'est notre proposition n° 6. Pour mémoire, je rappelle que les sols ultramarins sont aujourd'hui assimilés dans ces référentiels aux sites de Châteaudun en France et de Plaisance en Italie !
Par ailleurs, l'Union européenne doit agir pour faire cesser les importations de pays tiers où les conditions de production sont laxistes. En l'état du droit européen, les denrées des pays tiers, dès lors qu'elles respectent les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides, sont acceptées sur les marchés européens, même si elles ont été traitées par des substances interdites pour les producteurs de l'Union européenne. L'importation de denrées traitées par des substances actives interdites dans l'Union européenne est expressément permise par un système de tolérances à l'importation, dont les instances communautaires peuvent faire bénéficier les pays tiers. C'est à la fois un risque en matière de sécurité alimentaire pour le consommateur européen, un danger pour la santé des producteurs non-européens, d'autant qu'ils n'ont pas les mêmes règles de protection et de transparence, et un cas éclatant de concurrence déloyale pour les productions des RUP. Nous demandons donc la suppression du système des tolérances à l'importation avec la recommandation n° 10.
Dans la même ligne et en complément, nous recommandons à la Commission européenne d'établir une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur production avec des substances polluantes rémanentes dans le sol et l'eau. Il s'agit en quelque sorte d'une application aux pays tiers de mesures qui ont été rendues nécessaires aux Antilles par la crise du chlordécone. Je vous renvoie sur ce dernier point à notre recommandation n° 11, avant de passer la parole à Jacques Gillot. S'agissant du chlordécone, ce produit a été beaucoup plus utilisé en Allemagne de l'Est et en Pologne que dans nos Antilles...