Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, loin de tout angélisme, loin de toute stigmatisation, la question préalable est de savoir si l’islam est compatible avec la laïcité affichée par la République française, bref, s’il accepte la séparation du spirituel et du pouvoir temporel.
Rappelons, au passage, que la séparation entre les deux est déjà annoncée par le célèbre « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », et qu’elle prélude à ce que Marcel Gauchet appelle « le désenchantement du monde ». Or voilà que, loin de le réenchanter, une dérive mortifère de l’islam que j’appellerai l’islamisme radical, phénomène qui recouvre en fait plusieurs réalités, nous propose un projet de chaos, de mort non seulement physique, mais aussi spirituelle.
L’affrontement entre un islam que je qualifierais volontiers d’islam des Lumières et une lecture radicale du Coran existe pour ainsi dire depuis le commencement de l’extension de l’islam : ainsi Averroès, au début du XIIe siècle, se risque dans la philosophie et sera accusé d’hérésie.
À l’opposé, une lecture idéologique conservatrice du Coran prétend retrouver l’islam « pur » des origines : c’est le wahhabisme, du nom de son fondateur, dont l’alliance avec la dynastie saoudienne, au XVIIIe siècle, est à l’origine de ce mouvement théologico-politique.
Nous sommes donc au cœur du sujet. Je partirai d’un postulat : dans notre République laïque, l’islam, comme toute autre religion d’ailleurs, ne saurait se prévaloir d’une fonction politique.
Pour autant, un État fût-il laïc a-t-il vocation à contrôler la pratique d’une quelconque religion ? J’y verrais ce que j’ai appelé une forme de gallicanisme.
Bien sûr, il y a la piste concordataire, que l’on ne saurait remettre en question en Alsace-Moselle, dérogation à la laïcité que l’on ne saurait pas davantage étendre à l’ensemble du territoire français.
Plusieurs points essentiels sont à retenir dans les travaux de la mission, à laquelle j’ai participé avec grand intérêt.
D’abord, il existe une difficulté véritable à engager un dialogue institutionnel unifié avec une religion qui ne possède ni clergé hiérarchisé ni organisation centralisée. La précédente majorité présidentielle avait souhaité la constitution d’un Conseil français du culte musulman, mais il n’est pas reconnu par tous les musulmans comme représentatif.
S’agissant de la formation des imams, le CFCM travaille à l’élaboration d’une charte. Un tel document me conviendrait très bien et pourrait contenir l’engagement d’un respect absolu des lois de la République.
À mon tour d’évoquer la loi de 1905, qui contient un élément essentiel en son article 35, lequel punit d’une peine d’emprisonnement tout discours prononcé, affiché ou distribué publiquement dans un lieu de culte qui contiendrait « une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique ».
Rappelons enfin que, si la loi de 1905 affirme la neutralité de la République, celle-ci ne doit pas être confondue avec la neutralité des citoyens. Il est essentiel sur ce sujet de chercher la meilleure conciliation entre ordre public, liberté de culte et liberté d’association.
De plus, la notion de formation est elle-même ambiguë : vise-t-on la formation théologique ou la formation républicaine ?
Lors des auditions des autorités religieuses, les rapporteurs ont pu avoir la confirmation que rien n’interdisait le prêche en français. En effet, si la langue sacrée de la religion est bien l’arabe, la langue des musulmans français est le français.
Toutefois, la question se pose quand les imams sont détachés, voire fonctionnaires d’États extérieurs. Ils devraient alors, me semble-t-il, s’adapter au contexte socioculturel français, y compris à la langue.
Concernant l’origine du financement du culte, il faut s’efforcer à un maximum de transparence, que les fonds proviennent des fidèles en France ou qu’ils soient d’origine étrangère, ce qui me paraît finalement concevable au vu de ce qui se pratique dans les autres religions. Dans les deux cas, la Fondation pour les œuvres de l’islam de France, créée en 2005 sous l’impulsion de Dominique de Villepin, me paraît la meilleure option.
Quant au halal, plus qu’une pratique religieuse qui se voudrait conforme à la loi coranique, il est devenu, hélas ! un véritable marqueur identitaire, au même titre que le port du voile ou de la burqa.
Même si ce concept est extrêmement débattu, il me paraît intéressant comme source potentielle de financement. Une redevance sur l’abattage serait plus appropriée et présenterait le mérite de la clarté, tout en représentant une recette non négligeable.
Mes chers collègues, je remercie tous ceux qui ont permis cette mission. Je salue particulièrement sa présidente, Corinne Féret, son rapporteur, Nathalie Goulet, et son corapporteur, André Reichardt.
Comme l’écrivait Spinoza, « je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine ; je n’ai voulu que les comprendre ».
Je terminerai sur une touche d’espoir en citant le docteur Khalid bin Mohammed Al Ankary, ambassadeur du Royaume d’Arabie saoudite en France, qui affirmait lors d’une audition : « Le musulman doit respecter le droit et les lois du pays dans lequel il vit. Toute personne qui manque à ce principe ne peut prétendre respecter l’islam, car il s’agit alors d’une interprétation erronée de la religion. On ne peut rendre l’islam responsable de tels actes. La France est l’un des pays qui respecte le mieux les libertés des musulmans et nous ne devons pas faire l’amalgame entre les libertés personnelles et le devoir que chaque musulman de respecter la société dans laquelle il vit. » Encore faut-il mettre en conformité ses paroles et ses actes !