Intervention de André Reichardt

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Organisation place et financement de l'islam en france — Débat sur les conclusions d'une mission d'information

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ma qualité de corapporteur de la mission d’information qui a élaboré le rapport dont nous débattons, je voudrais d’abord, à mon tour, remercier de leur travail les membres de cette mission, au premier rang desquels sa présidente, Mme Corinne Féret, et son rapporteur, Mme Nathalie Goulet.

Nos travaux ont abouti à un rapport adopté à l’unanimité, moins une abstention, ce qui n’est pas banal s’agissant d’un document qui porte sur un domaine qualifié de sensible et dont les préconisations ne sont pas « molles » – c’est le moins que l’on puisse dire !

Qu’il s’agisse de la représentation du culte musulman dans notre pays, de son financement, de la formation des imams ou de la filière halal, notre constat est sans appel : la situation n’est pas satisfaisante et doit connaître des modifications substantielles au plus vite.

Je ne peux donc que me féliciter, monsieur le ministre, que vous ayez dès la fin du mois d’août, soit même pas deux mois après la remise de notre rapport, annoncé des mesures reprenant pour l’essentiel le contenu de celui-ci.

Certes, j’aurais aimé – c’est aussi le cas, je crois, des autres membres de la mission – que vous citiez publiquement le travail du Sénat comme ayant inspiré, au moins en partie, vos décisions. Car, pour le coup, la Haute Assemblée a non seulement fait preuve de sagesse et de hauteur de vue – j’oserai dire que c’est presque « normal » ! –, mais a surtout été pleinement dans l’actualité, personne à part elle n’ayant jusqu’alors brossé un tel portrait de l’islam et proposé des solutions aux problèmes mis à jour.

Mais peu importe ! L’essentiel est que nous nous rejoignions sur le constat et les mesures à prendre. Sur ce plan, la feuille de route est claire : il s’agit de veiller à mettre en place au plus vite un islam de France. Pour cela, les différentes mesures que nous avons proposées constituent un ensemble cohérent – j’y insiste ! –, dont chaque élément est fondamental pour la construction de l’édifice.

À cet égard, concernant plus particulièrement le financement du culte musulman, permettez-moi de vous dire que l’objectif de transparence que nous cherchons à atteindre ne me paraît pas entièrement assuré par le dispositif que vous avez décidé de mettre en place.

Je vous l’avais dit dès le 29 août dernier, dès lors que la Fondation pour les œuvres l’islam de France, dont vous avez décidé la refondation, ne pourra pas recevoir de financements étrangers mais que rien ne peut interdire de tels financements, il est à craindre que ceux-ci ne continuent à parvenir aux associations gérant les différentes mosquées.

Vous le savez, une majorité de mosquées sont gérées par des associations de type 1901 plutôt que par les associations cultuelles prévues par la loi de 1905. Or ces associations loi 1901 ne sont pas, contrairement aux autres, assujetties à des obligations comptables ; l’opacité des financements peut donc encore longtemps constituer la règle.

J’ai bien noté que votre ministère entendait encourager les associations gérant les mosquées à adopter les statuts juridiques de l’association cultuelle, mais je crains que cela ne soit insuffisant. Il faudrait à tout le moins prévoir, comme l’a envisagé la mission sénatoriale, la création d’une obligation de certification des comptes dès le premier euro de don pour les associations loi de 1901 gérant un lieu de culte.

Sur la proposition de Nathalie Goulet, le Sénat a adopté, il y a une dizaine de jours, un amendement au projet de loi Égalité et citoyenneté allant à peu près dans ce sens. Notre collègue vous en parlera certainement dans sa prochaine intervention.

Par ailleurs, même si sa représentation et son mode d’élection doivent être améliorés, le CFCM constitue bien l’interlocuteur principal des pouvoirs publics.

Sous la présidence de M. Anouar Kbibech, le CFCM a pris de nombreuses initiatives, parmi lesquelles la création d’un conseil théologique, qui faisait cruellement défaut dans notre pays. Il s’est engagé aussi dans d’autres chantiers fondamentaux et difficiles, tels que la définition d’une norme halal ou la formation des imams en France.

Or les moyens dont dispose cette instance sont quasi inexistants : un demi-poste, nous a-t-on dit. Son expertise technique est par définition limitée, notamment sur des sujets complexes comme les voies et moyens à mettre en œuvre pour créer une redevance halal, que nous voyons comme une contribution volontaire des acteurs de la filière.

Comment concilier la poursuite urgente de nos objectifs avec de si faibles moyens ? Se pose donc bien la question du calendrier des mesures que nous devons prendre.

Depuis la remise de notre rapport au Sénat, le 6 juillet dernier, se sont produits différents événements liés au terrorisme islamique, dont certains tragiques, comme le carnage du 14 juillet à Nice et l’assassinat du père Jacques Hamel. Ceux-ci ont considérablement développé les tensions au sein de notre société – je le ressens dans mon territoire. Les vives inquiétudes manifestées par nos concitoyens à cet égard ont ensuite été confortées par les résultats de l’étude de l’IFOP, l’Institut français d’opinion publique, sur les musulmans de France, menée pour l’Institut Montaigne, qu’Esther Benbassa a évoquée.

Selon cette étude, 28 % des musulmans considèrent que la charia est au-dessus des lois de la République et près de 29 % d’entre eux contesteraient la laïcité et estimeraient qu’elle ne permet pas d’exprimer librement sa religion. Seuls 46 % des sondés seraient parfaitement intégrés dans la République et à l’aise avec ses valeurs ! Ces chiffres, dès lors qu’ils seraient exacts, traduiraient une situation grave. Ils montrent l’urgence qu’il y a à entreprendre une action majeure d’intégration, voire de déradicalisation.

Cette action, les membres de la mission sénatoriale ont souhaité l’inscrire dans le respect de la laïcité républicaine, en partenariat avec les responsables des communautés musulmanes. Mais il faut agir vite, monsieur le ministre – disant cela, je vise le Gouvernement, d’une part, et les musulmans qui se reconnaissent dans les valeurs de la République, d’autre part. Faute de quoi nous aurons donné raison à ceux qui pensent que, islam et islamisme, c’est la même chose et que l’islam est donc une religion tout simplement incompatible avec la France. Je n’ose envisager les conséquences d’une telle conclusion…

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