Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer les membres de la mission d’information, tout particulièrement sa présidente et ses rapporteurs.
J’ai écouté Éliane Assassi expliquer la décision, tout à fait respectable, du groupe CRC de ne pas prendre part aux travaux de la mission. J’ai entendu ensuite notre collègue François Zocchetto dire, après Nathalie Goulet, qu’il n’avait pas été évident, au sein de l’UDI-UC, de choisir un tel sujet de mission. Pour le groupe socialiste et républicain, au nom duquel je m’exprime, il n’a pas non plus été facile d’adhérer à cette mission et d’y participer.
Néanmoins, nous n’avons pas à regretter de l’avoir fait. C’était d’abord une façon d’éviter qu’un tel rapport émane uniquement de la majorité sénatoriale, auquel cas il aurait pu être facilement critiqué. Je remercie d’ailleurs la présidente d’avoir veillé à l’équilibre des propos et les rapporteurs d’avoir conduit les auditions de manière généreuse, en laissant à chacun le temps de s’exprimer longuement. De la sorte, nous avons atteint, comme l’a dit Nathalie Goulet, l’objectif d’une mission d’information : dresser un diagnostic, en faire une analyse et, avec une grande prudence, entre les lignes, présenter, éventuellement – et encore… –, des préconisations.
Monsieur le ministre chargé des cultes, la difficulté est en effet immense parce que l’histoire du politique et du religieux reste une véritable question dans un monde où de nombreux pays, notamment de religion musulmane, ont une religion d’État, comme ce fut le cas de la France jusqu’à la Révolution française.
Étant l’un des sept sénateurs vivant en terre concordataire, je me permets de rappeler que le Concordat a été la première loi française introduisant la laïcité dans notre République. La laïcité a certes été très fortement renforcée en 1905, mais le régime que nous connaissons dans nos trois départements est français – et non allemand ; il faut le rappeler, car certains l’oublient parfois. Personne – ou seulement, peut-être, quelques-uns, à un moment donné – ne pouvait imaginer qu’il pourrait être suggéré à l’issue de la mission d’appliquer le système concordataire. Cela n’a jamais été le cas, d’abord parce que c’est un système français et que la France s’est dotée depuis 1905 d’une autre loi, laquelle n’a pas été introduite dans nos trois départements. Cela reste d’ailleurs un point de débat pour certains, bien qu’en Alsace-Moselle les choses se soient un peu apaisées et que l’on ait pu parfois trouver quelque intérêt à cet apaisement… Mais c’est un autre sujet, et je ne l’aborderai pas ici.
Au terme de cette mission, nous constatons que se pose la question de l’organisation de l’islam en France. Je ne suis pas sûr qu’il faille forcément dire que nous voulons un islam de France qui serait une religion distincte de la religion musulmane. Il existe plusieurs formes d’islam, différentes conceptions de cette religion. Notre revendication ne doit pas être, me semble-t-il, de demander aux musulmans en France d’adopter une autre forme de religion.
La véritable question est de savoir comment ceux-ci peuvent, dans la République, respecter le principe fondamental de laïcité et, dans le même temps, son corollaire, qui est la liberté de culte. Cela n’a pas posé de difficultés à l’Église catholique, qui était structurée hiérarchiquement, avec le pape au sommet. Les protestants, quant à eux, se sont – il n’y a d’ailleurs pas si longtemps – organisés dans leur diversité en une fédération, dont le président – il faut le rappeler – ne s’exprime jamais en tant que théologien. Enfin, la religion israélite est, elle aussi, structurée.
Une des difficultés vient du fait que les musulmans ne sont pas organisés.
Par ailleurs, cette religion est apparue chez nous via l’immigration, mais, aujourd’hui, les musulmans sont, massivement, des personnes nées en France, notamment les jeunes, qui se sentent français, qui font partie de la République et qui demandent simplement que la République accepte leur religion et que celle-ci soit considérée au même titre que les autres.
Se pose alors très concrètement la question de la formation des imams, ceux qui viennent de pays étrangers ou qui sont rémunérés par ces pays. Comme nous l’a indiqué, lors de son audition, notre collègue Bariza Khiari, ils ne sont pas forcément financés aux termes de conventions avec des États étrangers ; ils le sont souvent de manière indirecte, par d’autres États que le Maroc, l’Algérie ou la Turquie, peut-être avec des velléités d’imprimer une forme de religion musulmane qui ne soit pas la forme majoritaire. Ces imams viennent de pays dans lesquels la religion est une religion d’État. Ils ne peuvent donc pas avoir cette culture de la laïcité qu’il a fallu beaucoup de temps pour imprimer aux catholiques, notamment – je précise que je suis catholique.
Autre difficulté, l’organisation de l’islam en France ne peut dépendre que des musulmans. Elle a été suscitée par la création du Conseil français du culte musulman, qui pourrait sans doute faire l’objet d’améliorations, mais celles-ci relèvent de la responsabilité des musulmans. Dans le même temps, l’État ne peut ignorer la nécessité de cette organisation.
J’en viens au financement, sujet auquel vous vous êtes attelé cet été, monsieur le ministre, en relançant – décision que certains ont critiquée, mais qui me paraît indispensable – la Fondation pour les œuvres de l’islam de France et en nommant à sa présidence un ancien ministre de la République qui a été votre prédécesseur et donc ministre des cultes.
Il y a aussi la question du statut des associations.
Je terminerai en abordant un problème qui n’est pas encore réglé : comment pouvons-nous défendre la laïcité dans une France ouverte, une France qui n’est pas un hexagone fermé, dans le cadre de la mondialisation ? Je rappelle que, récemment, le président de la Russie avait l’intention de venir en France pour inaugurer un lieu de culte orthodoxe financé en partie par son pays. Des questions de cette nature se poseront régulièrement, et la France devra continuer à se battre pour la laïcité.
À titre personnel – je vais tenir des propos qui ne sont pas forcément partagés par mon groupe –, le concordataire que je suis se demande si, après la loi concordataire napoléonienne, après la loi de 1905 – une loi du début du XXe siècle qui fut conçue à la fin du XIXe siècle –, il ne serait pas temps de s’interroger sur la nécessité d’un nouveau texte qui marquerait une évolution. Ce texte devrait affirmer que l’État et la religion sont deux choses différentes, mais que l’État doit aussi se protéger et veiller à l’organisation des religions. C’est d’une certaine façon ce que vous avez commencé à faire, mais le cadre actuel ne permet sans doute pas d’aller jusqu’au bout, et peut-être devrons-nous franchir un jour cette troisième étape. À chaque siècle suffit sa tâche !