Intervention de Colette Giudicelli

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Organisation place et financement de l'islam en france — Débat sur les conclusions d'une mission d'information

Photo de Colette GiudicelliColette Giudicelli :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quelques dizaines d’années, notre pays a vu son paysage confessionnel changer en profondeur.

Nous avons notamment assisté à une montée de l’islam, qui a pris une place plus visible dans notre société. Il était donc important de réaliser un état des lieux de l’islam en France.

Notre mission a décidé de s’inscrire dans le strict respect de la loi de 1905 : cette loi de séparation des églises et de l’État a en effet su instaurer un équilibre fragile qu’il convient absolument de préserver.

Mais, pour que le travail réalisé puisse être tout à fait complet, il nous a, à mon sens, manqué quelques éléments : je regrette l’absence de données fiables sur le nombre de musulmans en France, sur le nombre de pratiquants et même sur le nombre d’imams exerçant sur le territoire.

Il y a quelques années, dans l’étude Trajectoires et Origines, le nombre de musulmans en France était estimé à 2, 1 millions, mais ce chiffre ne prenait en compte ni les moins de 18 ans ni les plus de 50 ans. D’ailleurs, l’Institut national d’études démographiques rehausse régulièrement ses précédentes estimations…

Il y aurait donc aujourd’hui 4 millions de musulmans dans notre pays selon les services du ministère de l’intérieur. Toutefois, pour Amar Lasfar, président de l’Union des organisations islamiques de France, les musulmans représenteraient de 5 millions à 6 millions de personnes. Les pratiquants seraient 41 % selon un sondage de l’IFOP.

Cette méconnaissance des chiffres crée plusieurs difficultés.

En premier lieu, et cela me gêne, elle laisse la porte ouverte aux extrémistes qui avancent régulièrement des chiffres fantaisistes allant de 8 millions à 12 millions selon les sources. L’absence de données fiables alimente tous les fantasmes et laisse le champ libre aux thèses dangereuses comme celles du « grand remplacement » ou de l’invasion arabo-musulmane, phénomènes auxquels, selon certains, notre pays serait confronté.

En second lieu, elle réduit la possibilité de conduire de manière efficace les politiques publiques.

Dans leur rapport d’information sur la lutte contre les discriminations, Jean-René Lecerf et Esther Benbassa indiquent que « disposer de données statistiques précises sur la composition de la société française est un préalable indispensable ».

Depuis de nombreuses années, la question de savoir s’il convient ou non d’autoriser les statistiques ethniques et de réformer la loi Informatique et libertés de 1978 est en débat.

Même si la Constitution a posé certaines limites, il me semble qu’il faut aller plus loin qu’une enquête de l’INSEE tous les quatre ans, comme le proposent nos rapporteurs, pour « mieux connaître » la population musulmane. Si l’islam est effectivement la deuxième religion de France, il est souhaitable de relancer la question des études sur l’origine des personnes ou sur leur religion afin de pourvoir aborder en toute sérénité et de manière fiable les évolutions démographiques.

Ma seconde observation porte sur les instances de dialogue entre l’État et l’islam. Il semble indispensable que les pouvoirs publics aient des interlocuteurs représentatifs.

Le financement de la construction de mosquées, la formation et le statut des imams, les questions liées à l’abattage rituel, la lutte contre la radicalisation sont autant de sujets qui imposent un dialogue entre des représentants du culte musulman et les pouvoirs publics.

La création d’une instance représentative a été complexe. Depuis son origine en 2003, le Conseil français du culte musulman est contesté par plusieurs associations, dont l’Union des organisations islamiques de France, l’UOIF.

En 2015, le Gouvernement a décidé de créer une nouvelle instance de dialogue.

Il reste une question de fond : est-il vraiment de la responsabilité de l’État de mettre en place des structures représentatives de l’islam en France ?

Pour nos rapporteurs, la réponse est claire : « Il appartient aux communautés de s’organiser elles-mêmes dans le cadre de nouvelles modalités tenant davantage compte des exigences de représentativité. » Il faut donc continuer dans cette voie, réformer le CFCM en profondeur, en incitant un peu plus la majorité silencieuse des musulmans à s’impliquer dans la construction d’un islam de France.

Quel doit être le rapport de la France au religieux et en particulier au monde musulman ? Il y a urgence à apporter des réponses pragmatiques et tournées vers l’avenir, dans un respect qui doit être réciproque et en se fondant sur les principes immuables de notre République.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion