Intervention de Bernard Vera

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Opérations extérieures de la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants, mes chers collègues, il est important que nous puissions avoir ce débat sur les opérations extérieures dans lesquelles l’armée française est aujourd’hui engagée.

Le groupe communiste républicain et citoyen a toujours considéré qu’un contrôle du Parlement sur les actions militaires de la France ainsi qu’un pouvoir d’initiative et de décision en la matière étaient nécessaires, tant les OPEX impactent l’ensemble de la nation. À ce titre, on ne peut que se féliciter de l’application de l’article 4 de la loi de programmation militaire, qui instaure un débat annuel à leur sujet, même si le court délai entre l’inscription à l’ordre du jour et l’organisation devant les chambres du présent débat a rendu difficile l’analyse du bilan prévu au même article.

Ce débat est d’autant plus important que nous nous trouvons dans une période particulière, le nombre d’opérations extérieures ainsi que leur degré d’engagement ayant connu un développement inédit depuis 2011, avec une brusque croissance à partir de 2013. Comme l’ont noté les députés Marie Récalde et Alain Marty dans un rapport d’information présenté en décembre dernier, le niveau d’engagement actuel, très élevé, va jusqu’à dépasser le modèle décrit dans le Livre blanc, qui prévoit que la France peut techniquement s’engager dans la durée sur deux ou trois théâtres distincts, dont un en tant que contributeur majeur.

À l’heure actuelle, les soldats français sont déployés dans six opérations extérieures – on n’en comptera plus que cinq une fois le retrait du Mali terminé –, dont trois où ils sont contributeurs majeurs : en Afrique, au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Cette situation inédite doit en outre être reliée au déploiement sur notre territoire du dispositif Sentinelle, qui mobilise à lui seul plus de 7 000 soldats depuis presque deux ans.

Ce surdéploiement a des conséquences importantes, notamment sur l’état du matériel, aujourd’hui en souffrance, et sur les finances publiques. Le surcoût de 620 millions d’euros enregistré en 2016 pour le maintien d’opérations extérieures, parfois enlisées sur le terrain opérationnel, pose forcément question. D’autant que les déclarations de ces derniers mois du Président de la République et du Premier ministre font craindre un nouveau prolongement des opérations, lequel entraînerait l’épuisement des troupes, l’obsolescence du matériel et un engagement financier important de l’État…

Face à ce constat, la question est, au final, assez simple : quels débouchés politiques et diplomatiques peuvent avoir ces opérations extérieures ? C’est en effet tout l’enjeu : les opérations extérieures doivent permettre l’émergence de solutions diplomatiques et politiques, lesquelles doivent permettre de mettre fin aux OPEX. L’opportunité de celles-ci doit donc être évaluée à l’aune des perspectives de règlement pacifique, dans le respect de la légalité internationale.

À ce titre, au-delà des difficultés et des polémiques, nous pouvons nous réjouir de voir l’opération Sangaris prendre fin après l’élection à la présidence de la République centrafricaine de Faustin-Archange Touadéra, malgré le report initial du second tour de l’élection présidentielle et des élections législatives, à la suite des nombreuses irrégularités constatées par la Cour constitutionnelle. Toutefois, le regain de violences dans le nord et l’est du pays doit nous rendre vigilants.

Si l’issue politique de Sangaris est à saluer avec le retour aux urnes des Centrafricains, les trop nombreuses controverses tant sur le comportement d’une minorité de soldats français que sur des incohérences dans le commandement de l’opération ayant mis en danger des civils et des militaires ne peuvent que nous interroger. Ainsi, quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux accusations de viols et de violence contre des civils non engagés dans ce conflit ?

Enfin, quelles sont les perspectives pour nos militaires et quelle est la réflexion stratégique pour le centre de commandement dans la tenue des OPEX, au regard des conditions matérielles et sanitaires dans lesquelles les soldats ont été envoyés à Bangui ? En effet, c’est ici la première conséquence négative de cette inflation des opérations extérieures : la France a adopté un modèle d’intervention agressif, ce qui est regrettable, de surcroît sans adapter son matériel en quantité et en qualité. Les témoignages de Bangui sont éloquents à ce sujet.

Notre deuxième source d’interrogation – et elle est essentielle – concerne la coordination entre les actions militaires et diplomatiques. Chacune de nos opérations extérieures devrait avoir pour finalité l’émergence de solutions politiques stables.

Si le démantèlement de Daech est une nécessité, il ne sera viable qu’à la condition de permettre l’avènement de gouvernements démocratiques et stables, dans des conditions permettant le retour des populations et leur épanouissement.

Nous le voyons bien, avec la reprise de certaines places fortes en Irak et en Syrie, nous sommes passés d’une bataille rangée à une forme inédite d’actions urbaines intérieures et extérieures.

Sur le théâtre syrien, que pouvez-vous nous dire de l’avancée du mécanisme de surveillance que vous avez proposé au Conseil de sécurité des Nations unies ? La question est centrale tant le terrain diplomatique est ici miné.

Au regard des annonces de l’ambassadeur syrien Bachar al-Jaafari aux Nations unies, pensez-vous qu’une relance d’un dialogue soit possible ? Quelle initiative de paix comptez-vous prendre ? Comment la France peut-elle aider à clarifier les rapports entre opposition et groupes islamistes radicaux ?

Le refroidissement des relations avec la Russie est un autre sujet d’inquiétude sur le terrain syrien qu’il nous faut, selon nous, résoudre au plus vite.

Le soutien russe à Bachar al-Assad interroge. Mais seul le dialogue, et non un bras de fer diplomatique inefficace, permettra la suspension du veto de Moscou aux Nations unies et la pleine efficacité de l’intervention humanitaire de l’ONU.

Je crains que nous n’assistions à une fuite en avant qui ne servira, au final, qu’à geler un front entre Damas et ses alliés, d’un côté, et les forces de l’OTAN et une partie de l’opposition syrienne, de l’autre côté, dont le Front Fatah al-Cham… Il y a urgence à sauver des milliers de vies dans les jours qui viennent. La rencontre de Lausanne doit être l’occasion d’une réelle reprise du dialogue pérenne.

Autre élément de la question syrienne qui rejoint le débat que nous avons eu hier sur la crise au Levant, l’attitude de la France vis-à-vis de la Turquie et son silence sur l’opération Bouclier de l’Euphrate, menée par les Turcs au nord de la Syrie. Il semble pourtant de plus en plus clair que le principal objectif d’Ankara n’est pas tant le démantèlement de Daech à Jarablus que d’empêcher la jonction des forces kurdes entre Afrin et Kobané…

Ce point sur la Syrie, que l’on pourrait par ailleurs transposer en Libye ou encore en Irak au regard des difficultés rencontrées pour établir une transition politique sereine et majoritaire, doit nous interroger sur le sens des opérations extérieures que mène actuellement la France. Sont-elles envisagées comme un soutien à des forces locales en présence en vue d’une transition ou visent-elles à imposer la présence de notre pays sur ces territoires ?

C’est ici la seconde critique que notre groupe émettra à l’égard de la politique de multiplication des opérations extérieures depuis 2011.

De fait, la politique d’opérations extérieures de la France, marquée par un surdéploiement des forces, génère aujourd’hui une prise de risque supplémentaire des militaires. Elle est un obstacle à ce qui devrait guider, selon nous, une nouvelle politique extérieure de notre pays, tournée vers le règlement pacifique des conflits, et constitue une impasse en vue d’établir une paix durable.

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