Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Opérations extérieures de la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, alors que nous débattions, le 15 mars dernier, des opérations intérieures menées par nos forces armées dans la période particulièrement difficile et inédite que nous traversons, nous sommes aujourd’hui tournés – par une certaine continuité – vers l’international.

Avant toute chose, je tiens à saluer, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, la détermination et le courage de nos soldats, dans le cadre de leur engagement sur le territoire national comme sur les différents théâtres d’opérations à l’étranger – je pense notamment à nos hommes engagés en Syrie et à Mossoul. Ce sont en effet les hommes et les femmes qui s’engagent au quotidien pour notre sécurité qui sont au cœur du dispositif dont nous débattons aujourd’hui. Nous ne le répéterons jamais assez : ils sont la première richesse de nos armées et la meilleure réponse aux menaces auxquelles nous sommes confrontés. Des menaces aujourd’hui de toutes formes, menaces aveugles, barbares, menaces qui font fi des frontières.

Force est de constater que nos soldats sont particulièrement sollicités depuis quelques années, sur de multiples théâtres d’opérations : bande sahélo-saharienne, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Proche et Moyen-Orient, océan Indien… Sans oublier les différentes missions menées dans le cadre de l’ONU, de l’Union africaine, de l’Union européenne et de l’OTAN. En juillet 2016, un peu de plus de 6 000 hommes étaient déployés dans le cadre des opérations extérieures menées par la France.

Si, depuis 2008, nous notons les efforts réalisés en matière de désengagement partiel ou total de certains théâtres d’opérations, à l’image de l’annonce du retrait de la force Sangaris d’ici à la fin de l’année par le ministre de la défense, nous faisons toutefois face à l’émergence de nouvelles crises, à la dispersion des théâtres d’intervention, à la simultanéité des opérations engagées et à l’évolution des modes d’action ennemis. Autant de données qui complexifient les missions de nos soldats sur le terrain et qui doivent, plus globalement, nous interpeller sur la politique d’intervention de la France à l’international.

Ainsi, deux questions s’imposent à nous : celle de la pertinence d’une multiplication des OPEX et celle de nos moyens.

Concernant la pertinence, pourquoi sommes-nous autant engagés à l’étranger, de surcroît en première ligne ?

Il ne s’agit pas pour moi de remettre en cause le rôle de notre défense. Je tiens d’ailleurs à souligner l’action de Jean-Yves Le Drian dans le contexte particulièrement difficile que nous traversons, à la fois sur le plan international, mais aussi sur le plan national. Je tiens également à souligner la réactivité et la justesse d’analyse de l’état-major dans cette crise internationale. Mais comment ne pas nous interroger face au niveau d’engagement inédit de ces dernières années ?

Le groupe écologiste a soutenu l’opération Serval au Mali, en janvier 2013, ainsi que l’opération Sangaris en République centrafricaine, en décembre 2013. Nous avons considéré que ces engagements étaient conformes aux choix politiques légitimes de notre pays : s’opposer à l’avancée du terrorisme au Mali ; éviter l’affrontement entre communautés en République centrafricaine ; apporter la paix dans des zones de tension. À chaque fois, nos forces armées ont mené ces opérations sous mandat de l’ONU, dans le strict respect de la légalité internationale.

La mise en œuvre de l’opération Chammal a suscité davantage d’interrogations, notamment en raison de l’absence de vision politique régionale, globale et de long terme. Entendons-nous bien sur ce point : il faut combattre l’obscurantisme de Daech partout où il se trouve et le neutraliser militairement. C’est un impératif que nous ne pouvons contester. Toutefois, ces derniers mois, nous n’avons pu que constater et déplorer l’hésitation, la passivité et l’impuissance de la communauté internationale sur le dossier syrien.

Contrairement aux objectifs affichés du Quai d’Orsay, nous nous retrouvons aujourd’hui face à un régime syrien en position de supériorité politique et militaire sur le terrain. Notre stratégie a-t-elle réduit à néant toute opportunité d’une résolution politique du conflit ?

Arc-boutée sur une vision restrictive de la crise au Levant et à la faveur d’une « diplomatie de l’émotionnel » asymétrique suivant les interlocuteurs, la France est devenue inaudible sur la scène internationale. Nous n’avons pas été en mesure d’adopter une approche politique globale prenant en compte l’ensemble des acteurs du voisinage. En effet, quelles que soient les divergences, celles-ci méritent d’être analysées et débattues.

C’est l’absence de préparation en amont qui nous a menés dans l’impasse. Ce manque de vision a eu pour conséquence la dévastation d’une région – je veux parler de la Libye et de la Syrie – et des centaines de milliers de victimes. J’ai en cet instant une pensée horrifiée s’agissant du drame qui se joue sous nos yeux impuissants dans la ville martyre d’Alep. Je ne peux non plus passer sous silence les millions de personnes jetées sur les routes et l’importance, jamais atteinte dans l’histoire de l’humanité, du terrorisme mondial.

Les opérations extérieures de la France ne peuvent pas continuer de rattraper les défaillances de notre diplomatie à l’international. Plus encore, sur le terrain, une intervention militaire est une première étape, un levier, que nous soutenons lorsqu’il paraît nécessaire, mais qui ne constitue en rien une solution. Il s’agit non pas uniquement d’éliminer ou de réduire les conséquences d’une crise, mais bien de s’attaquer aux causes profondes de celle-ci. Pour reprendre les mots du général de Villiers à l’université d’été de la défense, « une réponse limitée au seul engagement militaire ne permettra jamais de traiter une crise en profondeur et définitivement. Autrement dit, gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix ».

Le contexte particulièrement difficile que nous connaissons aujourd’hui et la tentation de recourir à des réponses hâtives pour y faire face ne doivent pas nous exonérer d’une politique à l’international à long terme, pragmatique et efficace. C’est justement cet impératif de vision à long terme qui me conduit à ma deuxième question, celle des moyens. Avons-nous les moyens d’être les gendarmes du monde ? Avons-nous toujours les moyens d’intervenir à la fois en Afrique et au Moyen-Orient ?

Si nous reconnaissons bien évidemment que la menace terroriste a pris une dimension sans précédent dans ces régions, nous posons la question de la soutenabilité de notre engagement international. La multiplication des OPEX a abouti aujourd'hui à une incapacité de la France à s’engager davantage, à quelque niveau que ce soit, y compris dans les domaines de l’humanitaire et de la prévention.

Permettez-moi de reprendre le constat du rapport d’information de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur les interventions extérieures de la France : « Le niveau d’engagement des forces armées en OPEX se situe au-delà des limites du contrat opérationnel décrit par le Livre blanc et la loi de programmation militaire pour les opérations de gestion de crise […]. En 2014 et 2015, les forces armées étaient engagées sur des théâtres majeurs, deux en tant que contributeurs majeurs, le troisième au sein d’une coalition au Levant. » Il est à noter également que les opérations militaires extérieures représentent un coût pour l’État de l’ordre de 1 milliard d’euros par an en moyenne depuis 2011.

Face à ce constat, nous ne pouvons plus continuer à éluder la question européenne. Les opérations extérieures de ces dernières années ont été marquées par l’absence criante d’une défense européenne et même d’une coopération entre pays européens. Or la période de crise multidimensionnelle que nous traversons est une occasion pour relancer ce projet. Malheureusement, à l’image de l’appel, en novembre dernier, à la solidarité européenne au titre de l’article 42.7 du traité de Lisbonne, dont les effets ont été limités, nous n’avons pu que constater que le résultat n’était pas à la hauteur de nos ambitions. Pourtant, mes chers collègues, l’absence de défense européenne est clairement une chance supplémentaire pour le terrorisme.

La défense européenne doit être non plus une figure de style dans nos discours, mais bien un objectif concret pour notre défense. Nous le savons tous, sa relance passe par une volonté politique renforcée. Il s’agit donc maintenant de savoir comment la France peut influer sur les autres pays pour favoriser une convergence. Les voies d’approfondissement doivent s’appuyer sur le développement d’une vision commune en matière de sécurité et de défense, l’élaboration d’un paradigme européen de défense et, enfin, la relève du défi capacitaire, dernier point qui pourrait à court terme avoir un impact concret sur nos armées.

Plus encore que la défense européenne, il importe de redonner à l’Europe toute sa place, toute sa crédibilité et toute sa stature face aux menaces auxquelles elle est confrontée dans le monde tourmenté d’aujourd’hui. Je veux parler d’une Europe humaniste, visionnaire, ouverte sur le monde, d’une Europe pragmatique et de cœur, d’une Europe des valeurs, porteuse d’espoir, qui sera entendue dans le concert, souvent bruyant, des nations.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion