Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, je souhaite à mon tour saluer nos soldats, qui, sur les théâtres d’opérations extérieures, incarnent la nation en mouvement, parfois jusqu’au sacrifice suprême. Ils méritent que nous ayons ce débat.
Le temps où les opérations extérieures étaient le bras armé du colonialisme français est révolu, tout comme est révolu le temps où celles-ci constituaient l’épée protectrice de despotismes exotiques. Les OPEX sont aujourd’hui l’étendard de la paix : en Afrique, d’abord, où la France, forte de son expérience du terrain et de sa connaissance intime des populations, a stoppé net l’odyssée barbare du djihadisme en route vers Bamako. Immédiatement, alors que la bande sahélo-saharienne menaçait de s’embraser, la France, au nom des Nations unies, et avec ses partenaires africains, a renforcé et réaménagé le dispositif de défense, pour endiguer les raids meurtriers et aider les États à reconquérir leur souveraineté. Car, si l’intervention militaire vise à détruire l’ennemi prédateur, elle n’est que le prélude nécessaire à la restauration de l’État et de la paix. De ce point de vue, notre mission aura été un vrai succès. Qu’on en juge.
Au Mali, que j’évoquais, alors que la nation se désintégrait, laissant prospérer trafics mafieux et fanatismes cruels, notre armée a sauvé le pays ; elle a préservé le socle institutionnel, ouvrant avec la MINUSMA la voie au rétablissement électif et au redémarrage politique ; elle a permis d’arrêter la terreur, le saccage culturel – oublie-t-on Tombouctou ? – et la descente aux enfers de jeunesses laissées à l’abandon.
Aujourd’hui encore, nos forces spéciales continuent leur mission périlleuse, avec courage et professionnalisme, dans les montagnes des Ifoghas et ailleurs. À compter de juillet 2014, au moment où Barkhane succède à Serval, depuis nos points d’appui et nos bases avancées au Mali, au Niger et au Tchad, nos 3 500 soldats à pied d’œuvre ont mené 800 opérations spéciales, annihilé les sanctuaires terroristes d’AQMI et de Boko Haram, désormais limités à des groupes résiduels, bien que redoutables.
Avec leurs camarades africains des pays du G5 Sahel et de la MINUSMA, nos soldats, malgré la porosité des frontières, ont mis hors d’état de nuire quelque 200 sectateurs de l’intégrisme radical. S’il reste quelques poches infectées, au Borno, au Nigeria, à Kidal, dans le nord du Mali, ou sur les contours du lac Tchad, l’engagement croissant des armées africaines formées et de plus en plus aguerries va dans le sens de l’appropriation graduelle de leur propre sécurité et de leur défense. À cet égard, l’opération Barkhane constitue un levier majeur pour le rétablissement de la nation malienne et l’éradication du terrorisme sur la ligne sahélienne.
En Centrafrique, l’opération Sangaris prouve que la France a su ramener la paix, ce qui n’est pas un mince succès ! Non seulement notre armée a su interrompre le cycle infernal et atroce de la guerre civile, religieuse, voire ethnique, en enrayant les massacres entre Séléka et anti-balaka, mais encore, grâce à un tuilage politique habilement orchestré entre New York et Paris, elle a permis la tenue de l’élection présidentielle sans incident notable et, par voie de conséquence, la relégitimation gouvernementale. En assurant la sécurité des artères principales de la RCA, elle a puissamment contribué à l’affermissement du cadre de l’État. Ce succès autorise même aujourd'hui le retrait de nos troupes, à l’exception naturellement d’un noyau à Bangui, démontrant avec éclat que notre intervention n’était en aucune façon une rémanence néocolonialiste, mais l’assomption déterminée, au nom de la communauté des Nations unies, d’une œuvre de concorde, de paix et de fraternité. Disons-le, au moment où le Vatican vient de nommer cardinal l’archevêque de Bangui, dont l’entente affichée avec l’imam et le patriarche a aidé, au plus fort des tueries, à recoudre les âmes et les cœurs, le bouclier français, sur les rives de l’Oubangui, a protégé, sauvegardé, libéré.
Cette opération, menée de main de maître, avec 900 hommes, est désormais relayée par les 12 000 soldats de l’ONU. Je suggère à cet égard – c’est un avis tout à fait personnel – que la doctrine onusienne évolue et que les troupes n’en restent pas à une interposition quasi statique. Il faut en effet pouvoir riposter en cas d’attaque. Le matériel neuf et abondant ne suffit pas ! Il est nécessaire que le commandement onusien, par ailleurs d’excellente qualité, dispose d’un mandat plus étoffé, pour agir, se projeter et unifier des contingents hétéroclites réduits à la patrouille, à la vadrouille et à la débrouille. Car à quoi sert un fort contingent s’il ne peut se mouvoir, réagir, dialoguer avec la population, se familiariser avec le terrain, comme nous l’avons fait ? La vie autarcique en garnison ne règle rien. Il faut – pardonnez mon audace et mon barbarisme – « sangariser » les troupes de la MINUSCA. Elles seront alors le garant de la paix retrouvée.
Mais il y a aussi la mer. La mer qui nous sépare et nous relie. La mer, horizon de nos bascules stratégiques, qui nourrit et développe. Elle n’a pas échappé au déchaînement des hommes. Au large de la Corne de l’Afrique, au-delà du détroit de Bab-el-Mandeb, notre marine a participé avec efficacité à l’opération Atalante, qui a réduit à néant la piraterie maritime et rétabli la liberté de naviguer dans l’océan Indien.
De l’autre côté, dans le golfe de Guinée, l’opération Corymbe assure, du Sénégal à l’Angola, un arc de protection contre la pêche illicite, le trafic de drogues et le détournement pétrolier. Mieux, l’Organisation de l’unité africaine s’empare elle-même, M. le ministre l’a dit, de sa sécurité dans ce domaine, s’appuyant sur notre expertise pour protéger ses ressources halieutiques, énergétiques, commerciales et, demain peut-être – c’est en tout cas ce que nous souhaitons –, touristiques. Par le sommet de Lomé, qui s’est tenu du 15 au 19 octobre, elle consacre ce partenariat actif dont notre BPC Dixmude est le symbole, qui patrouille, dissuade et intervient au besoin.
Après l’Afrique, continent ami et continent d’avenir, j’évoquerai l’Orient, envoûtant et magique, où volte-face, revirements et renversements d’alliances obscurcissent la lecture des conflits, de leur cause, de leur déroulement, de leurs objectifs, à telle enseigne que chacun y perd son latin.
Nos alliés américains n’ont-ils pas reculé devant l’obstacle – je pense à l’utilisation par Assad de gaz toxiques, ligne rouge qu’ils avaient eux-mêmes tracée –, laissant la France aux avant-postes ?
La Russie, après avoir habilement déployé un rideau de fumée diplomatique – j’entends encore les propos de son excellence Orlov –, ne s’est-elle pas lancée dans un soutien de fer et de feu à M. Bachar al-Assad ?
La Turquie, pays ami, déstabilisée au-dedans, ne fait-elle pas désormais cause commune avec la Russie, pour mieux lutter contre les Kurdes, à l’intérieur et à l’extérieur, et assurer ses approvisionnements énergétiques ? Certains persifleurs avancent même qu’elle privilégierait le combat sans merci contre les peshmergas et les YPG à la lutte contre l’État islamique. D’autres interrogent son appartenance à l’Alliance atlantique, alors que l’acquisition de système S-300 et S-400 dessinerait une forme d’appareillage avec Moscou.
L’Iran, tout à son leadership chiite, ne soutient-il pas, du Yémen au Liban, d’improbables combats, cependant que l’Irak, derrière l’unité anti-Daech, se débat historiquement dans une inextricable quête de cohérence gouvernementale, de liberté religieuse et d’intégrité territoriale ?
Reste la Syrie, dépecée, ruinée, livrée au chaos. Pour quoi faire ? Pour Bachar ? Pour Tartous ? La Russie, cette grande nation que nous aimons, ne doit pas être celle de Grozny.
Dans cet écheveau fort embrouillé, la France, parce qu’elle définit sa position sur des principes universels – la recherche inlassable de la paix ; la sauvegarde des vies humaines, quelles qu’elles soient ; la guerre au terrorisme –, est droite dans ses bottes. Sans faiblesse et sans haine, dans un monde brutal où le rapport de force est la loi, la France ne ménage pas sa peine.