Intervention de Robert del Picchia

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Opérations extérieures de la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, tout en prenant acte de la tenue de ce débat sur les opérations extérieures de la France, permettez au groupe Les Républicains de regretter qu’il ne soit pas organisé en application de l’article 4 de la loi de programmation militaire, qui n’a jamais été mis en œuvre. Nous nous interrogeons également sur l’urgence ayant présidé à l’inscription d’un tel débat à l’ordre du jour de notre assemblée. C’est peut-être un moyen de relégitimer auprès du Parlement l’action internationale du Gouvernement, les OPEX faisant traditionnellement l’objet d’un large soutien, que ce soit dans les deux assemblées ou auprès de nos concitoyens.

En effet, dans les nombreuses zones de conflit qui se matérialisent tout au long de l’arc de crise enserrant désormais le continent européen, les opérations extérieures consacrent l’engagement de la France à assumer ses responsabilités internationales et ses valeurs. L’excellence de notre outil militaire, démontrée lors de chacune de ces interventions, apporte également la preuve que notre pays demeure en mesure de préserver aussi bien la sécurité internationale que ses intérêts et contribue de manière décisive à maintenir son rang dans le concert des nations, en affirmant son appartenance au club très fermé des puissances agissantes. La participation de nos forces aériennes, dans le cadre de l’opération Chammal, à la bataille de Mossoul qui vient de s’engager pour chasser les terroristes de Daech de la deuxième ville d’Irak, en est la démonstration la plus récente.

Qu’elles aient été menées de façon autonome ou en coopération avec nos partenaires, les récentes OPEX conduites par la France ont globalement été couronnées de succès d’un point de vue militaire et ont été déployées dans un cadre assurant leur légitimité et dans le respect des populations locales, ce qui permet d’en dresser un bilan largement positif. Gardons toutefois à l’esprit que cette capacité d’engagement n’est pas illimitée. Elle repose avant tout sur des hommes et des femmes déterminés à servir leur pays au péril de leur vie. C’est pourquoi je veux moi aussi rendre hommage au courage et au don de soi exceptionnels dont ils font preuve quotidiennement sur les théâtres d’opérations extérieures. Leur valeur, leur professionnalisme et leur expérience constituent l’une des principales clés du succès de nos OPEX.

Ce dévouement nous engage au plus haut point. Il impose bien sûr que l’intervention de nos troupes ne soit décidée qu’en cas d’extrême nécessité, après avoir épuisé tous les autres moyens possibles d’action, notamment au niveau diplomatique. Mais il impose également de chercher à réduire l’exposition de nos forces. Cela passe en premier lieu par la constitution de coalitions, point sur lequel nos interventions récentes en Afrique n’ont pas enregistré les résultats escomptés. Cela passe également par la définition préalable d’une approche globale de résolution des conflits à même de gagner la paix.

Plus que tout, le dévouement de nos soldats impose d’apporter à nos armées les moyens opérationnels nécessaires, afin de garantir autant que possible leur sécurité lors de ces opérations. Or la situation dans laquelle se trouve le budget de notre défense est particulièrement délicate, pour ne pas dire difficile. Songeons que, au cours de l’année écoulée, la France a été à la fois en « état d’urgence » sur son territoire et en « état de guerre » de fait au-dehors de ses frontières. Depuis plusieurs années, nos armées connaissent un niveau d’engagement extérieur inédit, 10 000 à 15 000 soldats étant régulièrement déployés simultanément. Lors du pic de mobilisation de ses troupes en 2016, le Gouvernement a ainsi envoyé près de 11 000 soldats sur des théâtres d’opérations à la fois nombreux, éloignés, étendus, dispersés et exigeants, qui éprouvent durement les hommes, mais aussi les matériels.

Sur le territoire national, l’opération Sentinelle aggrave cette situation de surtension, en « accaparant », si je puis dire, quelque 10 000 militaires depuis janvier 2015. Elle exerce de ce fait une pression supplémentaire sur la capacité de rotation des troupes engagées à l’étranger, sur leur temps d’entraînement, mais aussi sur le budget affecté aux armées. Disons-le, ce dispositif doit évoluer, en particulier pour ce qui concerne sa doctrine d’emploi des forces armées, clairement inadaptée à leurs spécificités, et surtout amorcer une décrue rapide de la mobilisation de nos soldats, au profit des forces de sécurité intérieure, et ce afin de permettre à nos armées d’être plus utiles ailleurs, là où elles sont en mesure d’exploiter pleinement leurs savoir-faire.

Pour ce qui concerne les équipements, la vétusté des matériels atteint un niveau parfois inquiétant, et leurs conditions d’utilisation et de maintenance entravent de plus en plus souvent leur disponibilité en OPEX. Faute de moyens, leur renouvellement et leur maintien en conditions opérationnelles ne sont pas à la hauteur de l’exigence des missions confiées à nos militaires. Il y a certes des tentatives pour améliorer la situation, mais ce n’est pas encore idéal.

L’intensité de l’effort demandé à nos troupes doit avoir pour contrepartie l’assurance que les ressources nécessaires seront disponibles. C’est d’autant plus indispensable qu’avec le nouveau désordre international qui marque ce début de XXIe siècle, lequel a été très bien décrit par notre collègue Jeanny Lorgeoux – longuement, certes §–, nous sommes amenés à faire face à des menaces d’une intensité, d’une simultanéité et d’une diversité sans précédent depuis la fin de la guerre froide.

La sursollicitation dont nos armées font actuellement l’objet à l’extérieur de nos frontières est donc largement susceptible de s’accroître encore, ce qui ne pourra évidemment pas se faire à moyens constants. Cette situation exige, nous en sommes bien conscients, que l’effort financier consenti pour le budget de la défense soit revu à la hausse. Le montant de 32 milliards d’euros n’est plus adapté à l’éventail des défis que nous devons relever. Le Sénat aura d’ailleurs très bientôt l’occasion de vous faire part, messieurs les secrétaires d’État, d’observations détaillées, au travers du rapport que notre collègue Dominique de Legge présentera sur le financement des opérations extérieures.

Si l’actualisation de la loi de programmation militaire a amorcé une certaine prise de conscience en la matière, nous sommes encore loin du compte, notamment de l’engagement que nous avons pris, conjointement avec nos alliés au sein de l’OTAN, de porter à 2 % du PIB notre effort de défense. Ce seuil constitue en effet un minimum à partir duquel nous serons en mesure de conserver toute l’étendue du spectre de nos capacités et donc d’agir librement, efficacement et souverainement.

Parallèlement au renforcement de notre autonomie stratégique, indispensable à la bonne conduite de nos OPEX, nous ne pouvons faire l’économie d’un travail plus intense de persuasion de nos partenaires européens. La France ne peut plus assumer seule le prix du sang et le fardeau financier des interventions militaires, qui pourtant profitent à la sécurité de tous les Européens.

L’activation par la France de l’article 42.7 du traité de Lisbonne à la suite des attentats de novembre 2015 a certes entraîné une vague de solidarité débouchant sur des contributions bienvenues pour soulager notre effort dans la lutte contre le terrorisme islamiste en Afrique ou au Moyen-Orient. Toutefois, celles-ci sont restées dans l’ensemble bien modestes. Or il est essentiel que tous les États membres s’engagent davantage dans les opérations extérieures, idéalement en fournissant des hommes et des matériels, ou plus prosaïquement en participant davantage à l’effort financier supporté, par exemple, via une dynamisation et une réforme du mécanisme Athena.

Messieurs les secrétaires d’État, le bilan que tire le groupe Les Républicains des OPEX menées par notre armée est positif, car celles-ci ont, d’une manière générale, atteint leurs objectifs, en rétablissant ou en maintenant un niveau suffisant de sécurité, qui permet à l’action civile de prendre le relais dans la résolution des conflits. Néanmoins, à nos yeux, vous l’aurez compris, c’est avant tout l’avenir qu’il convient dès maintenant de préparer, en donnant à nos armées les moyens de continuer à mener des OPEX efficaces et performantes ainsi que, plus largement, d’assumer l’ensemble des lourdes tâches que nous leur confions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion