Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Opérations extérieures de la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jacques GautierJacques Gautier :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, intervenant le dernier dans ce débat, il m’arrivera d’être redondant ; par avance, je vous prie de bien vouloir m’en excuser.

Au nom de notre commission, je voudrais à mon tour rendre un hommage solennel à nos militaires en opérations extérieures, à ceux qui ont donné leur vie pour la France, à nos blessés, parfois très grièvement, à leurs familles, qui les soutiennent, à tous nos soldats, qui interviennent avec professionnalisme, engagement et courage.

Je veux rappeler ici que c’est notre commission qui a introduit, dans la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013, l’article 4, qui prévoit que « les opérations extérieures en cours font, chaque année, l’objet d’un débat au Parlement ». Nous avions en effet constaté que le contrôle parlementaire des OPEX subissait une éclipse : une fois passé le vote de la prolongation, au-delà des quatre mois, l’exécutif pouvait ne plus rendre compte. Reste que, je peux en témoigner, les deux ministres concernés viennent régulièrement devant la commission, mais, de fait, l’article 4 n’est pas respecté.

Mercredi dernier, le Gouvernement a décidé soudainement d’organiser ce débat, que nous demandions depuis trois ans. Dont acte ! Cependant, la loi prévoit que « le Gouvernement communique, préalablement à ce débat, aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat un bilan politique, opérationnel et financier des opérations extérieures en cours ». Où est ce rapport censé éclairer nos débats ? Il n’a pas été déposé ! Heureusement, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a publié, quant à elle, en juillet dernier, son propre bilan des OPEX. Je vais vous en livrer brièvement les quatre principales conclusions.

Premier constat : la nécessité d’une approche globale et pas seulement militaire.

Nos interventions, seul ou en coalition, sont des succès au niveau militaire et respectent – cela a été dit – la légalité internationale. Elles s’inscrivent dans une tradition interventionniste qui relève de la responsabilité particulière de la France et que permettent notre Constitution et notre outil de défense.

Nous sommes présents en Irak et en Syrie, en Centrafrique, pour encore quelques jours, et au Sahel, où nous assurons la sécurité d’un espace grand comme l’Europe. Néanmoins, nous constatons que, si nous intervenons en premier, avec succès, pour mettre fin à des exactions, à des massacres de populations ou à la déstabilisation de pays déjà fragilisés, il est difficile de passer le relais à des forces de stabilisation régionales ou multinationales, puis, dans un deuxième temps, aux forces locales, après leur formation – c’est ce que nous appelons, dans notre jargon, le « bridging operation ».

M. le ministre des affaires étrangères doit obtenir des Nations unies qu’elles adaptent les mandats des « casques bleus » à la réalité des théâtres. Il faut des troupes onusiennes plus robustes et plus efficaces, susceptibles d’être déployées plus rapidement et capables de faire face à des actes de guerre. Il ne s’agit pas, sur le terrain, de maintien de la paix !

Dans quelques jours, la France mettra un terme à l’opération Sangaris ; c’est une bonne chose ! Il faut planifier le début d’une OPEX, mais il faut aussi préparer sa sortie. Nous savons que des efforts importants devront être accomplis par les troupes des Nations unies et par les formateurs de l’Union européenne, car la situation reste précaire, d’autant que la conférence des donateurs ne se réunira qu’en novembre, donc très, ou trop, tardivement.

La France, cela a été dit par Jeanny Lorgeoux, laissera un petit contingent militaire à l’aéroport de Bangui. Nous espérons que nous n’aurons pas, dans quelques années, à revenir sur place. Mais notre sortie est aujourd’hui possible. Il faut donc clôturer Sangaris, car, en République centrafricaine comme ailleurs, nous risquerions de rester militairement engagés au-delà des dix ans.

Nos interventions militaires et l’engagement des forces de stabilisation et de formation des armées locales ne suffiront pas si n’y est pas adjointe une dimension politique et économique – comme le dit Pierre de Villiers, « gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix ». Il faut donc une approche globale coordonnée, construite, si possible, en prévention – comme cela devrait être le cas en Tunisie –, ou, a minima, en accompagnement des interventions militaires. Nous devons en effet créer une réalité politique meilleure au bénéfice des populations, pour lesquelles les mêmes causes engendreront les mêmes effets dramatiques.

Bien entendu, nous mesurons nos lacunes en matière d’appui aux processus politiques de réconciliation, de désarmement, de reconstruction, au Mali, en Centrafrique, au Levant, sans parler de la Libye. Notre rapport propose une mise en cohérence de notre approche : davantage de politique, davantage d’économie, davantage de développement, dans le cadre d’un dispositif coordonné au niveau de chaque théâtre. Cela passerait par la nomination d’un haut représentant par théâtre et, parallèlement, par un engagement des moyens nécessaires, non pas en prêts de l’AFD, que ces pays ne peuvent rembourser, mais en subventions. Qu’en pense le Gouvernement ?

Deuxième constat : la faiblesse de la solidarité.

L’efficacité des interventions militaires de la France est reconnue. Pour autant, nous ne sommes pas autonomes, ni pour le renseignement, ni pour le ravitaillement en vol, ni pour le transport aérien.

Nous avons besoin de nos alliés. Où est l’Europe ? Malgré une inflexion dans les discours, malgré des soutiens réels mais ponctuels, la France est encore trop seule à assurer la sécurité au bénéfice du continent européen.

Nos concitoyens européens demandent plus de sécurité. Nous attendons donc des initiatives fortes, et pas simplement des déclarations d’intention, du Conseil européen qui se tiendra en décembre prochain.

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