En second lieu, le gouvernement britannique en place n’a pas été élu pour mener ces négociations. Il fait d’ailleurs mine de se passer actuellement, sur ce sujet, de son parlement. Il me semble pourtant que des réactions se font jour au Royaume-Uni sur ce point. Comment crédibiliser un accord à venir, quand le gouvernement de Theresa May paraît ne pas bénéficier actuellement d’une majorité parlementaire de soutien ?
Le deuxième point que je souhaite aborder concerne la politique migratoire, qui sera elle aussi à l’ordre du jour du Conseil européen. Cette réunion constitue une très bonne occasion pour évaluer l’effectivité de la stratégie adoptée pour juguler la crise des migrants. Alors que près d’un million de réfugiés d’origine moyen-orientale ont atteint l’Europe par les voies maritime et terrestre au cours de l’année dernière, l’Union européenne se trouve divisée quant aux approches à adopter.
Le débat qui s’est tenu hier dans l’hémicycle sur la crise au Levant a été tout à fait éclairant sur cette question. Comme le disait alors Nathalie Goulet, « traiter les effets sans se préoccuper des causes, c’est éviter de s’interroger sur sa propre responsabilité », celle des individus comme celle des États. Le traitement que nous, occidentaux, qu’il s’agisse des Français, des Américains, ou d’autres encore, avons fait des différentes crises au Moyen-Orient depuis 2003 a toujours entretenu le renforcement des fractures internes aux différents pays. Il a déstabilisé leurs périphéries respectives et a entraîné d’importants flux migratoires. En outre, je ne suis pas sûr que notre position crispée sur la situation actuelle de la Syrie soit une bonne chose.
La question de l’évolution des accords de Schengen doit être posée. Néanmoins, je veux nous mettre en garde collectivement, mes chers collègues : la fermeture des frontières ne peut pas être la solution. Elle ne conduirait l’Europe que vers un repli sur soi et de nouvelles crises.
Pour terminer, j’aborderai la question des relations de l’Union européenne avec la Russie, lesquelles englobent des problématiques diplomatiques et économiques. L’Union européenne doit définir une politique diplomatique différenciée avec la Russie, qui fait partie du territoire européen au sens large. L’Union européenne n’a pas le monopole de l’Europe ! Cette redéfinition est une nécessité, compte tenu de la mondialisation, ainsi que de la situation internationale, en particulier en Syrie.
Le Sénat s’est montré plutôt précurseur en adoptant, voilà quelques mois, la résolution européenne que j’avais eu l’honneur de préparer avec Simon Sutour. Cette résolution avait pour objectifs principaux de dénouer la crise ukrainienne le plus rapidement possible, en garantissant l’intégrité territoriale par la défense des accords de Minsk, et d’engager une reprise de relations avec la Russie.
La résolution de cette crise est indispensable pour l’Ukraine, pour la Russie, pour l’Union européenne et ses États membres. Ainsi, je vous rappelle seulement, mes chers collègues, que le dispositif appelé de nos vœux dans cette résolution consiste en une levée progressive, différenciée et sous conditions des sanctions dans les domaines économique, politique, diplomatique et individuel. Ce dernier point est à mon avis le plus symbolique. Cette levée montrerait notre bonne volonté pour une reprise de relations normales.
Cela dit, les difficultés actuelles résultent principalement des interprétations qui sont faites des accords de Minsk. Il est clair que la Russie et l’Ukraine en ont des visions opposées. Pour Moscou, ces accords représentent le minimum de concessions attendues de la part de Kiev pour envisager de normaliser la situation. Pour les dirigeants ukrainiens, c’est au contraire le maximum des concessions imaginables qui frise même la trahison des intérêts nationaux.
Il semble illusoire d’attendre une mise en œuvre complète de ces accords sous une impulsion extérieure de la part des États-Unis ou de l’Allemagne. Les États-Unis n’ont rien à perdre en cas d’une détérioration de leurs relations avec Moscou. L’Allemagne, quant à elle, n’a peut-être plus le potentiel nécessaire pour amener les parties en présence à faire la paix. Elle souffre toujours d’un déficit de confiance en Europe de l’Est.
C’est pourquoi, comme le suggère un très récent article de Jakub Korejba, journaliste polonais, la France pourrait être aujourd’hui le seul participant au format de Minsk qui possède soit l’autorité, soit l’intérêt, soit le potentiel nécessaires pour exercer une influence sur les autres parties prenantes et, pourquoi pas ?, garantir ainsi une paix durable. Cela suppose un engagement fort et clair du Gouvernement et du Président de la République. Je doute pourtant que la maladresse dont on a fait montre en empêchant le président Poutine de venir aujourd’hui à Paris inaugurer la nouvelle cathédrale orthodoxe russe soit une bonne chose.
Êtes-vous prêt, monsieur le secrétaire d’État, à relancer ces négociations, quitte à aboutir à un nouvel accord à la lumière de la situation actuelle ?