Intervention de André Gattolin

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à me réjouir de l’inscription à l’ordre du jour du prochain Conseil européen de la question de la révision des instruments de défense commerciale. M. le secrétaire d'État a évoqué cette question, vers la fin de son intervention. Certes, il a usé de ce que j’appellerai un euphémisme de bienveillance, puisqu’il n’a pas nommément cité la Chine – bravo ! ; pour autant, et c’est important, la révision de ces instruments vise tout particulièrement les relations économiques entre l’Union européenne et la Chine.

J’avais réclamé cette inscription à Matthias Fekl lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, au mois de mars dernier, car il s’agit d’un enjeu majeur pour notre pays et pour l’ensemble de l’Union européenne, lequel a été jusqu’à présent trop peu débattu publiquement.

Le 11 décembre prochain, soit quinze ans après l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, les dispositions permettant d’appliquer des mesures anti-dumping significatives à l’endroit des exportations chinoises risquent fort de venir à expiration. La Chine réclame en effet haut et fort qu’on lui octroie désormais le très favorable statut d’économie de marché.

Céder à une telle exigence serait, je crois, une grave erreur : à l’évidence, en dépit de ses évolutions, la Chine n’est pas une économie de marché, tout simplement parce qu’elle ne répond pas aux critères européens de qualification d’un tel statut. Elle est en fait régie par un capitalisme d’État qui ne respecte guère les principes de liberté des marchés et des acteurs économiques, pas plus qu’il ne respecte certains critères sociaux et environnementaux parmi les plus élémentaires.

L’obtention d’un tel sésame serait bien évidemment très précieuse aux yeux de Pékin qui connaît actuellement un net ralentissement de sa croissance, une accélération colossale de son endettement et des mutations qui l’obligent à renforcer ses exportations au risque de voir le pays traversé par une crise sociétale et politique de très grande ampleur.

J’en conviens, ce dossier est épineux. Si nous faisons le choix de ne pas accorder ce statut à la Chine, celle-ci sera tentée d’appliquer à notre encontre de fortes mesures de rétorsion commerciale et économique. À l’inverse, si nous le lui octroyons, les conséquences économiques et sociales pour nos citoyens et nos industries seront désastreuses.

Nous perdrons de fait la possibilité d’appliquer la méthode de calcul de mesures anti-dumping dite du « pays analogue » qui est bien plus favorable au pays qui s’estime lésé que les règles de l’OMC qui ont cours entre pays relevant tous deux du statut d’économie de marché.

Sans pouvoir évaluer précisément l’effet économique d’un éventuel changement de statut de la Chine, nous savons cependant qu’il sera considérable et très négatif pour notre pays comme pour l’Union européenne dans son ensemble. Une étude publiée voilà quelques jours par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales – un service du Premier ministre – semble confirmer ces craintes : la baisse de la production industrielle européenne oscillerait entre 1, 8 milliard d’euros et 23 milliards d’euros par rapport à la production totale en 2015 ; les secteurs les plus touchés seraient la sidérurgie, l’industrie des céramiques, le secteur des machines, ou encore celui des énergies renouvelables.

Nous regrettons d’ailleurs que l’étude d’impact approfondie sur nos emplois pays par pays promise par la Commission européenne ne soit toujours pas présentée aux États membres et, surtout, que la Commission ait attendu cette année pour en réaliser une, alors que nous savons depuis quinze ans que ce moment viendrait. Monsieur le secrétaire d’État, disposez-vous sur ce point de plus d’éléments ?

Aujourd’hui, à deux mois de cette échéance, la position de l’Union européenne ne semble toujours pas clairement arrêtée. C’est pour le moins inquiétant ! Soucieuse de ne pas s’aliéner les bonnes grâces de la Chine, la Commission européenne continue de tenir des propos assez ambigus et de faire preuve de beaucoup d’opacité sur l’état actuel des pourparlers.

Dans une résolution du 12 mai dernier, le Parlement européen s’est opposé « à toute décision d’octroi du statut d’économie de marché » et a appelé à maintenir une méthode de calcul anti-dumping spécifique aux exportations de la Chine reposant sur une concurrence déloyale.

La Commission européenne essaie depuis peu de trouver une parade pour ne plus avoir à se prononcer sur le statut d’économie de marché. D’après mes informations, elle souhaiterait proposer une révision du règlement anti-dumping, afin de disposer non plus d’une liste de pays à économie d’État auxquels s’appliqueraient des droits anti-dumping spécifiques, mais plutôt « de règles valables pour tous les partenaires commerciaux avec une possibilité pour la Commission de maintenir des droits élevés si elle démontre une intervention étatique ». Le Parlement européen, formellement codécisionnaire avec le Conseil européen sur ce genre de révision, a pourtant formulé quelques craintes dans une lettre adressée à la Commission européenne le 6 octobre dernier et estime n’avoir pas été consulté.

Tout comme mes collègues européens, je reste sceptique. Cette nouvelle position de la Commission n’est-elle pas un simple tour de passe-passe ? Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que la proposition de la Commission européenne serait suffisante pour défendre nos intérêts économiques et sociaux ?

En réalité, il est une autre réforme – en cours depuis trois ans – qui contribuerait à rendre plus robustes nos défenses commerciales et sur laquelle il importe d’aboutir sans délai, à savoir le règlement sur les instruments de défense commerciale, toujours bloqué par un certain nombre de pays européens réfractaires. Je sais d’ailleurs que la France défend ce dossier, tout comme l’Italie, l’Allemagne, quelques autres pays et le Parlement européen. Monsieur le secrétaire d’État, il est urgent de poursuivre ce combat et de tout faire pour convaincre nos partenaires encore réticents de la nécessité de cette réforme.

Plus généralement, dans un contexte de crises multiples et d’évolution profonde du monde, la promesse de faire de l’Europe un espace de paix et de prospérité qui a longtemps alimenté le « rêve européen » et mobilisé positivement nos concitoyens vers plus d’intégration ne semble plus faire recette. En réponse à cette panne du vieux projet européen, nous tentons, ces derniers mois, de continuer à vendre l’idée européenne autour d’un nouveau concept, celui d’une Europe qui protège.

Par les temps qui courent, c’est un objectif tout à fait louable et compréhensible, mais il n’est guère à même de susciter l’engouement ou la passion de nos concitoyens. Comment vendre une Europe qui protège, alors que celle-ci est incapable de nous protéger contre l’agressivité économique de la Chine ? La crédibilité est faible. Dans les domaines de la défense, de la sécurité intérieure, de l’Europe sociale, de la convergence fiscale, les décisions ne peuvent être prises qu’à l’unanimité des États membres. En d’autres termes, il est pratiquement impossible d’avancer sérieusement sans une refonte et une réforme du fonctionnement européen. Oui, l’Europe doit être refondée ! Il est temps d’y penser.

Nous sommes nombreux à avoir été particulièrement dépités par les propositions formulées à l’issue du sommet de Bratislava. On nous explique, en coulisses, que, la France et l’Allemagne étant à la veille d’une année électorale majeure, il serait malvenu d’engager les prémisses d’une refondation européenne. Nous risquons fort, après 2017, de prétexter qu’il est impossible de débattre de ces questions européennes dans la mesure où elles n’auront pas été abordées lors de la campagne présidentielle.

Monsieur le secrétaire d’État, il vous reste, à vous et au Gouvernement tout entier, encore quelques mois d’activité.

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