Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen ressemblera sans doute aux réunions précédentes tant la situation au sein de l’Union européenne et sur sa périphérie méditerranéenne et orientale ne s’améliore guère. L’Europe est bien cernée par un « arc de crises » dont les bouleversements induits pourraient réduire à néant le projet européen.

Concernant la crise migratoire, je rappelle que, en 2015, l’agence FRONTEX a enregistré un nombre sans précédent d’entrées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne : plus d’un million de personnes. En outre, des milliers de migrants sont morts en mer ou sur les routes.

Le chaos libyen a incontestablement facilité l’implantation de réseaux de passeurs qui organisent en flux constants des transports vers l’Europe à travers la Méditerranée. Bien que l’État islamique soit en recul, le retour à une situation normale sous contrôle des autorités libyennes n’est probablement pas pour demain. Des dizaines de milliers de candidats au départ attentent encore sur place. Dès lors, le flot d’embarcations chargées de migrants se dirigeant vers l’Europe ne va pas se tarir dans l’immédiat, d’autant que les traversées à partir de l’Égypte augmentent et sont tout aussi meurtrières.

L’opération européenne Sophia patrouille, arraisonne, contrôle et secourt en mer. Elle fait ce qu’elle peut sans vraiment peser sur le cours des choses, car, on le sait, les solutions sont avant tout politiques.

La pression sur les réseaux de passeurs est-elle suffisante ? Ces criminels, qui font des migrants de simples marchandises, alimentant une véritable « économie des migrations » générant plusieurs milliards d’euros, selon EUROPOL. Quel est le bilan des derniers mois en termes de lutte contre les trafiquants et de saisies des avoirs criminels ?

Il faut le dire : ce flux massif et exceptionnel s’est significativement réduit depuis la fermeture de la route des Balkans et l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Le Sénat s’est penché de très près sur cet accord en constituant une mission d’information, à laquelle j’ai participé, pilotée par Jacques Legendre et Michel Billout dont je salue le travail. Cet accord a-t-il seulement eu un effet psychologique ou pousse-t-il à une plus grande efficacité des forces de sécurité ?

Il a mis en lumière l’impréparation de l’Union européenne face à ce type de crise, pourtant prévisible au regard de la situation aux frontières extérieures – ses effets sont donc réels. Pour certains, cette fragilité illustre la perte de contrôle de Bruxelles, qui, en désespoir de cause, s’en remet à un pays tiers, quitte à payer un prix que certains qualifient parfois d’exorbitant.

Monsieur le secrétaire d’État, quel risque y a-t-il de voir la Turquie relâcher la pression si elle n’obtient pas ce qu’elle attend de l’Union européenne ? De plus, ce pays est-il encore un interlocuteur fiable pour les Européens après les dérives autoritaires des derniers mois ?

Chacun le sait, la crise des migrants laissera des traces dans les opinions publiques européennes. Elle a déjà pesé d’un poids considérable sur le vote britannique. Malgré un échec en termes de participation, les résultats du référendum hongrois sont également clairs. Et des pays comme la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie ou la Hongrie n’ont pas la même vision que nous. Ils sont par ailleurs préoccupés par une autre crise, celle avec la Russie.

Au bout de la chaîne, dans nos territoires, des citoyens nous interpellent régulièrement : ils sont convaincus que l’Europe est une usine à gaz et que les politiques sont impuissants. Il ne faut pas laisser ce discours s’installer !

La situation de guerre froide dans l’est de l’Europe et les relations avec la Russie continuent également d’inquiéter. Après l’annexion de la Crimée, la déstabilisation de l’Ukraine, l’Union européenne a pris ses responsabilités en adoptant des sanctions contre la Russie. Le Sénat a considéré comme primordial le rétablissement de la confiance avec cette dernière, en liant l’allégement des sanctions à des progrès dans l’application des accords de Minsk. Force pourtant est de constater que la situation n’évolue guère, probablement du fait des deux parties.

Lors de la dernière réunion de l’assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, la délégation ukrainienne a fait circuler des documents montrant l’avancement du pays dans les réformes, ce qui est contesté par d’autres. Qu’en est-il vraiment ? Monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives prendra la France pour faire bouger les lignes ? Vous l’avez dit tout à l’heure, c’est un sujet d’actualité, avec la réunion ce soir du sommet au « format Normandie » à Berlin.

Moscou, qui prépare depuis plusieurs années son retour au premier plan international, sait jouer des faiblesses européennes, notamment par une diplomatie énergétique habile et un étalage de sa force, à la limite de la provocation. Je rappelle aussi que cette posture martiale du « seul contre l’Occident » ne fait que renforcer la popularité du régime russe, du moins tant que le niveau de vie des Russes ne s’effondre pas sous l’effet de la crise.

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