Intervention de Michel Billout

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

La démonstration est ainsi faite qu’un accord peut évidemment être renégocié jusqu’au moment de sa signature. La Commission européenne n’a pourtant eu de cesse d’expliquer qu’il était impossible de toucher à l’équilibre fragile du CETA…

Pour autant, la création d’une cour permanente d’arbitrage, l’ICS, ou Investment Court System, ne répond qu’en partie aux problèmes soulevés. L’ICS demeure un système d’arbitrage qui permet une justice parallèle, unidirectionnelle, des droits disproportionnés accordés aux très grandes entreprises. Le texte ne précise pas les modalités pratiques du mécanisme d’appel et ne mentionne aucune mesure anti-contournement. Le système ainsi envisagé pourrait permettre à des multinationales de poursuivre les gouvernements et de leur demander des dédommagements. Cette modification ne répond donc que trop partiellement aux demandes formulées dans la proposition de résolution européenne que nous avons adoptée dans cette enceinte même à l’unanimité.

Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce sujet la lettre très argumentée de onze universitaires canadiens, tous spécialistes de l’arbitrage privé, dénonçant les risques encourus, même avec l’ICS. Par ailleurs, l’Association des magistrats allemands et l’Association européenne des juges considèrent que la nouvelle proposition de la Commission relative au règlement des différends altère l’architecture juridique de l’Union européenne et sape les pouvoirs des juges nationaux au titre du droit européen. Elles appellent la Cour de justice de l’Union européenne à se pencher sur la question et à livrer une opinion.

D’autres aspects de l’accord méritent d’être relevés tant ils peuvent peser sur les normes environnementales, sanitaires et sociales, en termes de santé et de droits sociaux notamment.

Il n’y a pas, par exemple, de référence claire au principe de précaution dans l’accord CETA. La législation canadienne, comme la législation américaine, ne reconnaît pas ce principe. La déclaration interprétative conjointe du 6 octobre ne le mentionne pas non plus.

En matière d’agriculture, Mathias Fekl s’est voulu rassurant lors de son audition au Sénat en soulignant la reconnaissance par le Canada d’indications géographiques protégées et la suppression de 92 % des droits de douane canadiens. En réalité, même s’il s’agit d’un progrès – nous ne le contestons pas –, seuls 24 % des appellations d’origine contrôlée et 6 % des indications géographiques protégées françaises ont été reconnus par le Canada.

Déjà frappées par des crises touchant de nombreuses productions, plusieurs filières agricoles françaises et européennes, en premier lieu les filières porcine et bovine, risquent de voir leur situation se détériorer à la suite de l’entrée en vigueur du CETA et de la négociation de droits de douane abaissés, couplés à des quotas d’importations canadiennes.

En matière d’environnement, enfin, précisons que le CETA ne reconnaît pas les décisions de l’accord de Paris sur le climat. Certes, le CETA a été négocié avant ce dernier. Sachant que le Canada rejette le principe de précaution environnementale, de nombreuses organisations, comme la Fondation Nicolas Hulot, se sont inquiétées de la création d’une porte d’entrée en Europe pour une potentielle exploitation des gaz de schiste ou des sables bitumineux, par exemple.

Pour toutes ces raisons, nous jugeons que la signature de l’accord CETA et son application anticipée sont inacceptables en l’état, à l’instar du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il s’agit non pas de s’opposer de manière frontale au CETA, mais de dire que nous ne disposons pas aujourd'hui d’éléments suffisants pour porter un jugement sur ce traité.

À cet égard, que penser de l’ultimatum fixé à vendredi par la Commission européenne à la Belgique pour la contraindre à dire oui à la signature de l’accord ? Je ne pense pas que l’Union européenne, compte tenu de la crise de légitimité qu’elle traverse, puisse se permettre de dicter sa conduite à un État souverain, encore moins de le menacer.

Les membres du groupe CRC appellent donc le gouvernement français à prendre en compte ces remarques et à reconsidérer sa position.

Si cet accord entre l’Union européenne et le Canada est à ce point bénéfique pour nos économies respectives, exemplaire pour ce qui concerne les normes sociales et environnementales, s’il garantit de manière explicite que les grands groupes industriels ou financiers ne pourront porter atteinte à la liberté des États de légiférer, pourquoi refuser qu’il soit soumis à l’examen et à l’avis des parlements nationaux préalablement à toute application anticipée ?

Pourquoi ne pas nous laisser le temps d’être complètement informés sur le contenu de l’accord – nous avons été privés d’informations à cet égard –, de réaliser les études d’impact indispensables à sa mise en œuvre, ou encore d’organiser les débats nécessaires à la rédaction de protocoles additionnels, seuls à même de rendre ce traité plus respectueux des normes sociales, environnementales et légales européennes ?

On a souvent martelé l’argument selon lequel le CETA serait la meilleure garantie contre un mauvais accord avec les États-Unis. Pour ma part, je pense que, compte tenu de la totale opacité dans laquelle se déroulent les négociations, une procédure de ratification exemplaire permettrait d’envisager beaucoup plus positivement ces traités globaux de commerce et d’investissement, dits « de nouvelle génération ».

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