Intervention de Christian Cambon

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

Photo de Christian CambonChristian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le secrétaire d’État, le Conseil européen intervient à un moment où l’Europe traverse une crise sans précédent. Votre tâche est donc immense.

Pour ma part, j’évoquerai les trois points essentiels inscrits à l’ordre du jour du Conseil : la Russie, les migrations et la politique commerciale.

Pour ce qui concerne tout d’abord la Russie, je ne reviendrai pas sur l’épisode désolant qui a conduit à l’annulation de la visite du président russe à Paris. La commission des affaires étrangères a déjà dénoncé hier cette annulation dans cet hémicycle, par la voix de son président.

La diplomatie française, singulière et indépendante, devrait plutôt s’attacher à créer les conditions d’une reprise des négociations sur la Syrie, sur la base des communiqués de Genève, en vue d’une transition politique. Tel est le message qu’il convient de faire passer à la Russie, qui est une grande nation et reste le partenaire stratégique de la France. Les Russes sont aujourd’hui maîtres du jeu en Syrie, par la faute des Américains, qui ont disparu des radars, et par la nôtre aussi, car la France s’est condamnée elle-même à l’impuissance en s’accrochant trop longtemps au dogme du « ni Bachar al-Assad ni Daech », quand le processus de Genève n’était pas encore totalement mort.

Pour négocier, il faut se parler. C’est l’essence même de la diplomatie ! Évidemment, nous sommes en désaccord profond avec la Russie quand elle envahit la Crimée, quand elle instrumentalise le conflit syrien pour assurer son retour en tant que puissance et garantir son accès stratégique aux mers chaudes. Nous sommes bien sûr en désaccord profond avec elle quand elle soutient le régime de Damas et qu’elle écrase près de 300 000 civils à Alep et dans ses environs sous un déluge de bombes.

Mais enfin, il n’y aura de solution que politique en Syrie, nous le savons tous, comme en Irak d’ailleurs, et la Russie est au centre du jeu. La diplomatie doit pouvoir s’exercer et recréer des marges de manœuvre. Il est temps, à cet égard, monsieur le secrétaire d’État, que l’Union européenne fasse elle aussi entendre sa voix originale sur le dossier syrien, dont elle a été trop longtemps absente.

Le « format Normandie » n’a pas non plus permis la pleine application des accords de Minsk ni le règlement du conflit ukrainien, d’où la reconduction des sanctions l’été dernier. Certes, il faut noter certaines avancées, comme l’accord-cadre sur le désengagement des forces signé le 21 septembre dernier, la poursuite du retrait des armes et des échanges de prisonniers, mais le processus demeure fragile et à la merci d’une flambée de violence.

Quant au volet politique et institutionnel, il n’enregistre pas de progrès tangibles. Là aussi, il faut poursuivre le dialogue et les efforts diplomatiques en vue de parvenir à un cessez-le-feu durable. Faites en sorte, monsieur le secrétaire d’État, lors de ce Conseil européen, que l’Europe retrouve les voies du dialogue avec la Russie, sans laquelle aucun processus politique ne verra le jour.

J’en viens maintenant à la question des migrants.

L’Union européenne n’est plus, fort heureusement, dans la tourmente dans laquelle elle était plongée voilà un an, quand plusieurs dizaines de milliers de migrants arrivaient chaque jour via la Grèce et que l’Union, tétanisée, échouait à apporter une réponse à ce mouvement massif. L’effet combiné de la fermeture de la route des Balkans et de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie a permis une baisse des flux.

Tout n’est pas réglé pour autant. Les arrivées se poursuivent en Méditerranée centrale, occasionnant toujours de dramatiques naufrages. Les flux n’ont pas disparu en Méditerranée orientale. Partout, l’activité des passeurs reste vivace, les filières se recomposent et se fraient de nouvelles voies d’accès, y compris par l’Europe du Nord.

Sur ce dossier migratoire, nous avons l’obligation d’agir. Il existe en effet une forte attente des opinions après une année 2015 durant laquelle l’Union européenne a donné l’impression d’avoir perdu le contrôle de la situation migratoire. Ce sujet fondamental sera d’actualité pour une génération au moins, comme l’a montré le tout récent rapport d’information de la commission des affaires étrangères.

Pour l’avenir proche, celle-ci identifie deux grandes priorités.

La première d’entre elles est le renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne. L’inauguration de la nouvelle Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes, que vous avez évoquée, monsieur le secrétaire d’État, laquelle est dotée de moyens renforcés et d’une plus grande capacité d’action, est une première avancée. Nous la saluons. L’Agence devra réussir le pari du recrutement et faire ses preuves très rapidement. Nous prenons acte de son déploiement à la frontière turco-bulgare, mais il faudra sans doute aussi envisager sa présence à la frontière gréco-macédonienne pour fermer la voie des Balkans. N’oublions pas le besoin d’une meilleure utilisation des bases de données Schengen et d’une coopération policière accrue entre les États membres.

La seconde priorité de la commission est la coopération avec les pays tiers, afin de mieux lutter contre les migrations irrégulières. Le Conseil européen s’est prononcé au mois de juin dernier en faveur de pactes migratoires avec les pays d’origine et de transit. Où en sommes-nous, monsieur le secrétaire d’État, et quelles sont les prochaines étapes ? L’un des enjeux, nous le savons, est de pouvoir mobiliser les ressources suffisantes pour rendre ces partenariats incitatifs et permettre ainsi de retenir les populations déplacées et réfugiées, qui souvent le souhaitent ardemment, à proximité de leurs lieux d’origine.

Quant à la politique commerciale de l’Union européenne, enfin, elle est progressivement devenue un autre de ses talons d’Achille, suscitant la défiance des citoyens européens. C’est donc aujourd’hui un sujet majeur pour refonder l’Europe.

La France a demandé l’arrêt des négociations sur le traité transatlantique avec les États-Unis. Elle est en revanche favorable à la signature de l’accord économique et commercial global avec le Canada, le fameux CETA, et à son application provisoire avant ratification, comme nous l’a indiqué le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, mais il y a des contestations en France et en Europe, notamment en Belgique, comme on l’a vu tout récemment. Or le retour d’un discours protectionniste à tous crins n’est pas une bonne nouvelle pour l’emploi et pour la croissance. Les exportations en dehors de l’Union européenne soutiennent aujourd’hui près d’un emploi sur sept en Europe et sont un moteur de la croissance.

L’objectif des négociations commerciales reste pertinent. Il s’agit de définir conjointement les règles et les standards, afin de consolider nos atouts. Il faut resserrer les liens avec nos principaux alliés hors d’Europe, au bénéfice de nos entreprises, face à la montée en puissance des pays asiatiques, notamment la Chine. Ce rapprochement est d’ordre économique, mais il comporte aussi une dimension géostratégique.

Le déséquilibre des négociations et la mauvaise volonté de la partie américaine ont rendu le blocage sur le traité transatlantique difficilement évitable. Aucune avancée ne peut aujourd’hui être espérée à quelques semaines de l’élection présidentielle américaine.

Sachons néanmoins faire preuve de discernement et n’adressons pas à l’accord avec le Canada des reproches qu’il ne mérite pas. Au contraire, les avancées contenues dans le CETA, par exemple en matière de règlement des différends, pourraient servir pour rebondir dans la négociation avec les États-Unis, à supposer que la nouvelle administration américaine ait la volonté d’aboutir.

Par ailleurs, si l’Europe doit défendre le développement des échanges, lequel fait partie de son pacte fondateur, elle ne doit pas pour autant pécher par excès de naïveté. Les citoyens européens attendent une Europe offensive, protectrice, défendant leurs intérêts, sachant aboutir à des accords équilibrés et usant d’instruments de défense commerciale, comme le font sans remords la Chine, l’Inde ou les États-Unis.

À ce propos, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous préciser la position du Gouvernement, sur deux sujets d’inquiétude ? L’un a été évoqué de manière tout à fait judicieuse par André Gattolin.

L’Union européenne accordera-t-elle à la Chine le statut d’économie de marché au sens de l’Organisation mondiale du commerce, au risque de réduire fortement les possibilités d’appliquer à ce pays des droits anti-dumping ?

Par ailleurs, comme on l’a vu récemment, des amendes colossales sont infligées à des entreprises européennes, au nom de l’extraterritorialité des lois américaines. Une riposte juridique doit aujourd’hui être envisagée à l’échelon européen. Quelle action menez-vous en ce sens, monsieur le secrétaire d’État ?

Les problèmes que l’Europe doit résoudre sont nombreux. Les doutes des Européens menacent son existence même. À vous, monsieur le secrétaire d’État, de faire en sorte que ce Conseil européen ne soit pas inutile et qu’il permette de tracer pour chacun de nous et pour notre pays un avenir rassurant.

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