Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, de nombreuses questions ont été soulevées, mais le temps qui m’est imparti pour y répondre étant contraint, je ne pourrai pas entrer dans les détails. Je me concentrerai donc sur l’essentiel.
Jean-Claude Requier a fait remarquer que c’était la solidarité qui était en jeu derrière le mécanisme de relocalisation et le refus d’un certain nombre d’États membres d’y participer.
Des pays ont néanmoins pris leur part de responsabilité. Le nombre total de relocalisations s’élève désormais à 5 953 : 4 637 depuis la Grèce, 1 316 depuis l’Italie. La France a relocalisé 1 756 personnes à partir de la Grèce, soit 40 % du total, et 231 à partir de l’Italie, soit 25 %.
Le rythme des relocalisations s’est amplifié au cours des derniers mois, en grande partie grâce à la contribution de la France, mais 75 % des relocalisations depuis l’Italie ont été opérées en direction d’autres États de l’Union européenne.
Nous ne croyons pas à l’idée de la solidarité flexible. La solidarité est un principe fondateur de l’Union européenne. Certains pays disent qu’ils peuvent apporter une contribution sous d’autres formes, en aidant davantage FRONTEX, par exemple, ou le Bureau européen d’appui en matière d’asile. Tout cela est tout à fait nécessaire, mais chacun doit prendre sa part de l’accueil des réfugiés.
Chacun des États membres, à un moment ou à un autre, a invoqué la solidarité dans le fonctionnement de l’Union européenne. Lorsqu’il s’est agi d’aider au développement économique de pays ayant rejoint l’Union à travers les fonds structurels, à travers des mécanismes de solidarité financière, aucun des États membres n’a remis en cause cette solidarité. Donc, la Grèce, l’Italie ont aujourd'hui besoin, comme la Bulgarie pour ce qui est de la surveillance de ses frontières, sous des formes diverses, d’une solidarité face à la crise migratoire, et chacun doit en assumer sa part. Nous continuerons à défendre ce principe.
M. Yves Pozzo di Borgo m’a interrogé sur la conduite de négociations avec les Britanniques concernant le Brexit et la place respective de chacune des institutions européennes : la Commission, le Conseil et on pourrait ajouter le Parlement européen, qui a également désigné un responsable.
La procédure qui a été fixée par l’article 50 du traité sur l’Union européenne est assez claire : quand le Royaume-Uni aura notifié au Conseil européen sa décision de retrait, le Conseil fixera des orientations de négociation – là, il y va vraiment de la responsabilité des États membres ; il adoptera une décision d’ouverture des négociations sur la base d’une recommandation de la Commission. Chacune des deux institutions a nécessairement un rôle à jouer. Ensuite, une discussion s’établira. La Commission négociera au nom de l’Union, mais le Conseil sera représenté au sein de l’équipe de négociation. Le président de la Commission a proposé que Michel Barnier soit le chef de cette équipe.
En fait, au moins deux négociations se dérouleront : l’une sur la sortie – c’est l’article 50 précité –, l’autre sur les relations futures. Peut-être même y aura-t-il d’autres négociations sur les aspects commerciaux, sur la coopération judiciaire, policière, sur les politiques de recherche. Le chef de négociation peut être le même, mais à chaque fois, le Conseil, donc les États membres, sera représenté de manière à disposer d’un compte rendu régulier de ces négociations et à veiller à la bonne prise en compte de l’intérêt des États membres.
Plusieurs orateurs, notamment MM. André Gattolin et Christian Cambon, ont insisté sur la question des instruments de défense commerciale et des relations avec la Chine.
La France soutient le projet de modernisation des instruments de défense commerciale de l’Union européenne, notamment face à la crise de l’acier et à l’enjeu que représentent les surcapacités chinoises. Elle a adressé, avec six autres États membres, une lettre conjointe aux institutions européennes en février dernier, appelant à des mesures pour répondre à la crise de la sidérurgie européenne. En réponse, la Commission a publié une communication proposant des solutions pour la sidérurgie et a engagé une politique de défense commerciale plus déterminée face aux importations d’acier, notamment chinoises.
La France et l’Allemagne ont également fait une contribution commune, en mai dernier, sur ces questions de modernisation des instruments de défense commerciale. Ce sera effectivement l’un des grands points de la discussion de ce Conseil européen, sur lequel il importe maintenant d’aboutir.
Au-delà de la question de la Chine, le véritable enjeu est celui du mode de calcul des droits anti-dumping qui nécessite, aujourd'hui, une réforme. L’étude d’impact de la Commission européenne devrait être transmise en même temps que le projet de règlement communautaire visant à réformer la méthodologie de calcul des droits anti-dumping.
Nous analyserons donc très attentivement la proposition de la Commission. Le Conseil européen fixera des orientations et ses conclusions – nous y avons veillé – seront extrêmement claires : l’Union européenne doit être armée en matière d’outils de défense commerciale et d’instruments anti-dumping.
MM. Simon Sutour, Christian Cambon et Jean Bizet m’ont interrogé sur les relations avec la Russie, point qui sera également l’objet d’un des débats stratégiques du prochain Conseil européen.
D’abord, sur la Syrie, comme sur d’autres crises internationales, le dialogue avec la Russie est difficile, mais il est nécessaire, et il aura lieu ce soir à Berlin, plus précisément entre la France, l’Allemagne et la Russie. Il faut continuer à le mener dans la franchise, la transparence et la clarté.
L’urgence, c’est l’arrêt durable des bombardements à Alep et la recherche d’une solution politique à la crise syrienne. De ce point de vue, nous avons très fortement regretté l’attitude de blocage de la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies concernant une résolution qui devait permettre de fixer un cadre pour l’arrêt des bombardements et favoriser l’accès de la population à l’aide humanitaire. L’attitude de la Russie sera, je le crois, rappelée avec une grande fermeté par le Conseil européen.
S’agissant de l’Ukraine, MM. Pascal Allizard et Christian Cambon en particulier y ont insisté, les progrès dans la mise en œuvre des accords de Minsk sont malheureusement trop faibles. Sur les trois zones de désengagement décidées à la suite du déplacement de Jean-Marc Ayrault en Ukraine les 14 et 15 septembre dernier, deux ont été effectivement mises en œuvre. Des violations du cessez-le-feu ont toujours lieu.
C’est dans ce contexte difficile que la France et l’Allemagne poursuivent leur effort en vue de la mise en œuvre des accords de Minsk. Ce soir a lieu une réunion dans le cadre du format Normandie avec les présidents Poutine et Porochenko, la chancelière allemande et le Président de la République française. C’est la seule voie permettant une stabilisation durable de l’Ukraine.
Nous avons lié les sanctions sectorielles de l’Union européenne à la mise en œuvre des accords de Minsk. L’objectif du sommet au format Normandie de ce soir – c’est le premier depuis un an, même si de nombreuses conférences téléphoniques se sont déroulées dans l’intervalle – est, pour le Président de la République et la Chancelière, de donner une impulsion politique à la mise en œuvre des engagements pris par la Russie et l’Ukraine pour trouver une solution politique à ce conflit.
Quant au CETA, il a été mentionné par un grand nombre d’orateurs, sous des angles différents, qu’il s’agisse notamment de M. David Rachline ou de M. Michel Billout.
D’abord, j’y insiste, loin d’être le cheval de Troie du TTIP, le CETA est en réalité un modèle de ce que nous pouvons et devons obtenir dans les accords bilatéraux de libre-échange entre l’Union européenne et des partenaires commerciaux. Comme cela a effectivement été souligné par Christian Cambon et Michel Billout, la façon dont la négociation s’est déroulée montre qu’on peut toujours améliorer un projet d’accord commercial. Celui qui est aujourd'hui en discussion avec les États-Unis n’est pas satisfaisant. La France a donc clairement dit qu’il fallait repartir sur d’autres bases.
En revanche, avec le Canada, nous avons obtenu à la fois sur le fond de l’accord de commerce – la protection des indications géographiques, la réciprocité dans l’ouverture des marchés –, mais aussi sur le mécanisme de règlement des différends, lequel est sous contrôle des autorités publiques, le type de garantie que nous souhaitons.
Dans la déclaration interprétative – sur ce point, il me paraît nécessaire de poursuivre la discussion avec Michel Billout, car, de toute évidence, nous n’en faisons pas exactement la même lecture –, il est énoncé de façon très claire que rien dans cet accord de commerce ne peut remettre en cause les normes sociales ou environnementales de l’Union européenne ou du Canada, la capacité de l’Union européenne à continuer à produire des normes environnementales, donc, évidemment, le respect de l’accord de Paris et du cadre énergie-climat de l’Union européenne qui est conforme aux conclusions de la COP 21.
De la même façon, il est tout à fait clair que le mécanisme d’arbitrage et de règlement des différends ne peut en aucun cas permettre à une multinationale de faire condamner l’une des deux parties, l’Union européenne ou le Canada, parce que la législation évoluerait dans les domaines sociaux, environnementaux ou de la protection des services publics ou des biens communs.
Par conséquent, nous considérons que cette déclaration interprétative – même si c’était déjà le cas dans l’accord – apporte de façon parfaitement claire et explicite toutes les garanties : cet accord de commerce n’entame en rien la capacité régulatrice, législative de l’Union européenne, des parlements et des États membres, et du Canada pour ce qui le concerne.
Nous sommes prêts à continuer à discuter de cette déclaration, mais nous voulons surtout nous appuyer sur les acquis de l’accord concernant le CETA pour les autres négociations commerciales. En effet – Christian Cambon l’a justement rappelé –, l’Union européenne a toutes les raisons de vouloir élargir ses échanges commerciaux avec d’autres partenaires. Nous menons actuellement une négociation avec le Japon et avec plusieurs pays de l’ASEAN. Certains marchés sont tout à fait prometteurs pour l’Union européenne, mais nous voulons que, dans cette ouverture commerciale, rien n’entame la capacité de régulation publique.
Pour ce qui est de la consultation du Parlement, Mathias Fekl a mis en place un comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale qu’il a réuni huit fois depuis sa création en 2014 et auquel participent les parlementaires, mais aussi des représentants de la société civile.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a souhaité Christian Cambon, il faut que ce Conseil européen serve à renforcer les politiques de l’Union européenne dans les domaines stratégiques qui seront débattus. Comme l’a dit le président Jean Bizet, l’Europe doit s’affirmer comme une puissance pour ce qui concerne son environnement, sa politique commerciale, ses objectifs, pour faire face aux différentes crises auxquelles elle est confrontée et répondre aux inquiétudes des citoyens européens.