Intervention de Pierre-René Lemas

Commission des affaires économiques — Réunion du 26 octobre 2016 à 9h45
Audition de M. Pierre-René Lemas directeur général du groupe caisse des dépôts

Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts :

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui. Comme vous l'avez dit, M. le Président, les travaux de votre commission rejoignent étroitement l'activité quotidienne du groupe Caisse des dépôts. Nous intervenons dans les secteurs qui vous sont familiers comme le logement, les grands projets publics, le tourisme, et plus généralement dans l'économie réelle de nos territoires.

Je vais commencer par une présentation brève de la Caisse des dépôts. Son caractère original, certains diraient même insolite, au sein des institutions françaises soulève traditionnellement des interrogations. La Caisse a fêté ses 200 ans d'existence cette année, ce qui démontre la solidité de son modèle. Elle est singulière parmi les institutions françaises, mais elle a de nombreux équivalents en Europe, notamment la KfW Bankengruppe en Allemagne et la Cassa Depositi e Prestiti en Italie. Le modèle de caisse des dépôts a également essaimé dans les pays du Sud, tels que le Maroc et la Tunisie, avec qui nous avons lié des accords. La Commission Européenne a élaboré un statut des caisses des dépôts européennes au cours de l'été 2015, elle a ainsi reconnu la dimension importante d'intérêt général poursuivi par la Caisse des dépôts.

La Caisse des Dépôts est régie par un statut unique en France : elle n'est pas sous l'autorité de l'exécutif, mais sous celle du Parlement. Ce statut est justifié par sa mission, qui est d'accompagner les politiques publiques auprès de chacun des acteurs, l'État, le Parlement et les collectivités territoriales. La Caisse des dépôts n'a pas d'actionnaire, et ses fonds ne résultent pas du budget de l'État, mais viennent plutôt l'abonder : la Caisse a contribué au budget de l'État à hauteur de 1,7 milliard d'euros l'an dernier. Ce fonctionnement particulier implique une gestion robuste. Puisqu'il n'y a pas d'actionnaires, la Caisse n'a pas pu effectuer de recapitalisation suite à la crise de 2008, mais elle a réussi l'an dernier à retrouver son niveau de fonds propres d'avant-crise.

Le résultat est de 1,8 milliard d'euros en 2015. C'est un résultat positif mais qui risque de s'effriter cette année, du fait de la situation particulière de l'économie. Les taux durablement bas voire négatifs, et le renforcement des règles de Bâle suite à la crise de 2008, portent des contraintes importantes sur la solvabilité des banques traditionnelles, ce qui rend évidemment les choses plus difficiles pour nous, bien que la plus grande souplesse dont nous disposons en tant que banque nationale d'investissement nous permet de répondre aux besoins de l'économie réelle et de financer des projets d'intérêt général.

Pour la période 2015-2020, le groupe Caisse des Dépôts pourra mobiliser 26 milliards d'euros en investissement, dont plus de 19 milliards sur les territoires. Sur la même période, nous pouvons mobiliser 100 milliards de prêts sur fonds d'épargne. L'année 2015 a été une année record pour les fonds d'épargne avec 17,2 milliards de prêts au logement social. Le chiffre devrait être moins élevé, pour les raisons que j'ai déjà exposées, en 2016, aux alentours de 17 milliards d'euros. Mais nous avons par ailleurs atteint, pour le seul établissement public, les 500 millions d'euros d'engagement que nous nous étions fixés pour 2016, avec un semestre d'avance.

La Caisse des Dépôts accompagne les politiques publiques prioritairement sur les territoires. Depuis mon arrivée, j'ai voulu que la Caisse des dépôts redevienne la Caisse des dépôts des territoires. Ma conviction est que le développement économique part des territoires, c'est là qu'existent les écosystèmes économiques qui le favorisent, et c'est pourquoi la Caisse des Dépôts associe étroitement les collectivités territoriales à son action. Afin d'être au plus près des projets de développement local, notre organisation suit la nouvelle carte des régions, et nous avons démultiplié notre présence sur le terrain, en maintenant des antennes territoriales dans des villes telles que Nice, Pau et Chambéry, qui représentent des bassins de clientèle. Certains accusent notre politique de présence sur le territoire d'être dispendieuse, j'y réponds qu'elle est nécessaire.

Afin de répondre aux nombreux défis de l'avenir - transition territoriale, écologique, énergétique, numérique - j'ai engagé depuis 2015 une politique de « respiration » de nos actifs. Cela implique une politique de cession d'une partie de nos actifs, de nos participations et filiales sans caractère stratégique, afin d'utiliser les moyens dégagés pour soutenir des projets structurants d'avenir. C'est ce que nous venons de faire en cédant fin septembre 4 % de Véolia environnement. Cela se traduit également par une politique d'acquisitions stratégiques que nous sommes en train de réaliser auprès d'EDF pour RTE. Nous souhaitons être présent dans les grandes entreprises d'énergie et de transport, afin de répondre aux défis de la transition énergétique.

En matière de logement, le groupe Caisse des dépôts est le premier financeur du logement social, avec 130 000 logements construits en 2015 et 311 000 logements réhabilités. Nous avons octroyé 17,2 milliards d'euros de prêts des Fonds d'épargne aux acteurs du logement social et de la politique de la ville. C'est important, car la part du logement social dans la construction neuve est aujourd'hui passée de 15 % il y a 15 ans à 30 % aujourd'hui. La Caisse des dépôts joue donc parfaitement son rôle de soutien à l'économie et à la cohésion sociale.

Pourtant, financer des prêts fonciers à 60 ans sur des dépôts à vue dans un contexte de taux très bas est un défi économique, ce qui nous a obligé à innover. Nous avons proposé en mai 2016, aux organismes de logement social, 2 milliards d'euros de prêts de haut de bilan bonifiés à taux zéro pouvant aller jusqu'à 40 ans sans remboursement ni d'intérêt, ni de capital, avec un différé d'amortissement pendant 20 ans. Nous avons reçu des demandes pour ces prêts de 6,5 milliards d'euros, soit plus du triple de l'enveloppe qui était ouverte. Le gouvernement a donc accepté d'ouvrir une deuxième enveloppe, portant le montant total à 3 milliards d'euros. Par ailleurs, le comité de suivi a décidé d'attribuer prioritairement ces prêts pour promouvoir l'investissement dans la rénovation thermique des bâtiments. Nous couvrirons 100 % des besoins sur la période 2016-2018 dans la limite de 10 000 euros par logement et ces prêts iront à l'accélération des programmes de construction neuve sur 2017-2018 à raison de 20 % de construction supplémentaire par opérateur retenu. Au total, ces deux milliards d'euros permettront d'accélérer la réhabilitation thermique de 150 000 logements et la construction de 20 000 logements nouveaux. Cela représente une relance de l'investissement de plus de 7 milliards sur trois ans.

La Caisse des dépôts a également renforcé son effort en matière de logement très social. Avec l'arrivée d'ADOMA dans notre groupe via notre filiale la SNI, la Caisse des dépôts est devenue le premier opérateur pour le logement d'urgence, d'insertion et d'accueil des demandeurs d'asile. ADOMA héberge plus de 74 000 personnes en difficulté, gère 71 000 logements accompagnés et 14 900 places d'hébergement pour les demandeurs d'asile. Un plan d'investissement de 3 milliards d'euros est prévu pour créer ou rénover 66 000 logements d'ici 2026

Nous sommes également actifs dans la relance du logement intermédiaire à travers notre filiale, la SNI, qui poursuit son objectif de réaliser 35 000 logements intermédiaires d'ici 2019. 13 600 logements ont déjà été commandés ou signés, et pour la majorité, dans les zones très tendues du territoire.

Enfin, vous le savez, nous sommes acteur de la création de la future Foncière Solidaire, dont l'objectif est de mobiliser des terrains pour la construction de 50 000 logements à l'horizon 2021. Ce projet est une commande du Président de la République, à l'occasion du bicentenaire de la Caisse des dépôts. Il est fondé sur l'idée ancienne de mobiliser les terrains publics pour construire du logement social, et beaucoup de tentatives ont été menées en ce sens. L'idée aujourd'hui n'est pas de créer un aménageur de plus, ni de créer un établissement public foncier de plus, et encore moins de faire concurrence aux acteurs privés. Il s'agit de mener à bien ce projet, ce qui implique un opérateur, une foncière, qui représente un acteur économique fiable, qui soit capable de mobiliser la volonté de l'État en matière de cession de terrains, et qui puisse disposer de fonds propres importants. La mission menée par Thierry Repentin, délégué interministériel à la mixité dans l'habitat, et ancien de vos collègues au Sénat, a développé l'idée de créer cet organisme par la loi, en intégrant notamment dans la loi de finances ou la loi de finances rectificative des dispositions dérogatoires, en matière fiscale et règlementaire, qui lui permettent de mener ses missions à bien.

Ce projet doit être fondé sur un modèle économique qui fonctionne, et qui associe l'ensemble des acteurs du logement à sa gouvernance, l'État et les collectivités territoriales. Ma conviction profonde est que l'on ne peut pas aboutir sans une participation approfondie des collectivités territoriales. Enfin, il faut bien souligner que cet organisme ne sera pas, si vous me pardonnez l'expression, la « pince universelle », il sera un organisme parmi les autres, avec un rôle de nature différente mais qui n'empêchera pas une coordination entre les différents acteurs.

En matière de transition énergétique, nous avons mis en place de nombreux outils. À l'occasion de la COP21, la Caisse s'était engagée à mobiliser l'industrie financière. Si le succès de nos initiatives a largement dépassé nos attentes, avec des milliers d'investisseurs présents, il faut reconnaître que pour certains, il s'agissait davantage de communication externe que d'engagements fermes, ce qui n'est pas notre cas. Ainsi, le groupe Caisse des dépôts est signataire de l'engagement de Montréal sur le carbone. Dans ce cadre, nous avons pris des engagements forts en matière de verdissement de notre portefeuille et de calcul de l'empreinte carbone de l'ensemble de nos investissements.

Depuis quatre ans, la Caisse a par ailleurs financé l'équivalent d'une tranche de centrale nucléaire ou presque dans le domaine des énergies renouvelables. Nous finançons aussi une enveloppe de 5 milliards d'euros de prêts sur fonds d'épargne, à taux faible, au profit de la croissance verte, dont un milliard et demi à taux zéro pour la rénovation thermique des bâtiments publics, qui peut couvrir jusqu'à 100 % du besoin.

Concernant la participation au capital de RTE, je précise, tout en rappelant que la transaction n'est pas encore achevée, qu'elle représentera pour la Caisse et pour sa filiale CNP Assurances un investissement de l'ordre de 2,8 milliards d'euros, qui s'inscrit parfaitement dans notre stratégie de long terme.

Un autre sujet nous tient particulièrement à coeur, celui de la ville intelligente ou « smart city », concept autour duquel nous organisons d'ailleurs en novembre un forum avec l'ensemble de nos filiales. Nous souhaitons mobiliser toutes nos équipes pour accompagner les collectivités territoriales sur cette thématique, à la fois sur le plan financier mais aussi en termes d'ingénierie technique, juridique et financière, avec l'ambition de créer un maximum de démonstrateurs de la ville de demain. De même que la Caisse des années 1980 a contribué à fabriquer ce qu'est la ville d'aujourd'hui, notre responsabilité collective est aujourd'hui de travailler aux villes intelligentes des années 2030.

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