Intervention de Mohammed Javad Zarif

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 juin 2016 à 9h50
Audition de M. Mohammad Javad zarif ministre iranien des affaires étrangères

Mohammed Javad Zarif, ministre iranien des affaires étrangères :

Je tiens à vous remercier pour les différents points évoqués.

S'agissant de la coopération bilatérale, existe-t-il des relations qui ne se heurtent pas à des obstacles bancaires ? Oui, les relations culturelles, universitaires, touristiques, ainsi que le dialogue politique. Dans tous ces domaines, les accords conclus par le Président Rohani lors de sa venue en France commencent à se mettre en place. On a d'excellentes coopérations entre les musées. Des consultations et dialogues politiques ont également commencé.

L'Iran est un pays qui veut développer son tourisme à l'international. Le respect des traditions iraniennes favorise ces échanges culturels. Les touristes qui viennent en Iran sont pour l'instant tout à fait prêts à respecter les lois iraniennes. D'ailleurs, je vous remercie pour le respect que vous avez manifesté à leur égard lorsque vous êtes venus. La France et l'Iran peuvent vraiment coopérer dans le secteur du tourisme et des investissements touristiques. C'est un domaine de coopération qui peut avoir une progression très importante.

S'agissant de la coopération parlementaire, le groupe d'amitié France-Iran va se constituer prochainement dans notre Parlement. Les commissions viennent de l'être tout récemment. J'espère que nous pourrons voir l'action de ce groupe d'amitié lors de la visite du Président Bartolone en Iran. Il y a une ouverture totale pour cette coopération parlementaire.

S'agissant de la coopération économique et commerciale, nous avons un passé de coopération et un terrain très favorable. L'Iran a une force de travail très qualifiée et est classé au 5ème rang mondial pour le nombre de diplômés dans l'ensemble des domaines d'ingénierie et dans les biotechnologies. Les entreprises françaises qui viennent en Iran peuvent utiliser ces capacités humaines pour exporter, ensuite, vers les autres pays de la région. Il existe un terrain très favorable à la coopération, notamment, dans le secteur de la construction automobile, où nous avons un passé commun, mais aussi dans les autres domaines, même s'il y a des obstacles bancaires.

Avec l'application de l'accord nucléaire, l'Iran a tenu tous ses engagements, comme l'ont indiqué de nombreux rapports de l'Agence internationale de l'énergie atomique, mais la vision de l'époque des embargos, qui empêchait de travailler avec l'Iran, demeure présente dans les banques françaises et européennes. Pour nous, c'est un climat « psychologique », « virtuel », car il n'existe aucune limitation pour les coopérations avec l'Iran. BNP Paris a été condamné, de manière illégale selon nous, à payer une amende de 9 milliards d'euros pour avoir violé l'embargo américain contre l'Iran ; c'est normal que BNP Paribas ait des craintes pour revenir sur le marché iranien. Avec l'accord sur le nucléaire, les Américains se sont engagés à ce qu'il n'y ait pas de sanction. Il faut donc briser ce climat « virtuel », dans l'intérêt de tous, y compris dans celui des Américains. Les Etats-Unis vont tenir leurs engagements car il faut une application complète de cet accord qui a nécessité deux ans de négociations.

Le moment est venu d'appliquer l'accord dans sa totalité. Il présente beaucoup de points positifs pour la France. Pour que l'accord avec Airbus soit finalisé, nous n'avons pas d'autres choix que de conclure un accord avec Boeing, et c'est ce que nous avons fait. Finalement, c'est gagnant-gagnant pour tout le monde. Avec Peugeot, l'accord avance ; c'est plus qu'un accord commercial, c'est une production commune en Iran. C'est positif pour tout le monde. De même avec Renault-Citroën, le potentiel est énorme. L'accord avec ADP pour le développement des infrastructures aéroportuaires présente aussi des avantages économiques pour nos deux pays. Au-delà, ces accords permettent de développer les relations entre l'Iran et la France. Ils vont dans le sens des engagements pris par toutes les parties pour que l'accord nucléaire soit mené à bien, et je pense sincèrement que la France, comme dans le passé, peut jouer un rôle déterminant.

Vous vous souvenez certainement que, pendant les années 1990, les Américains ont mis en place des sanctions extraterritoriales, afin que les personnes commerçant dans le domaine du gaz ou du pétrole avec l'Iran puissent être soumises à ces sanctions. À cette époque, la France a joué un véritable rôle de guidance au niveau international : elle a installé l'entreprise Total en Iran, et empêché que les Américains ne mettent en application leur législation extraterritoriale. À la suite, d'autres entreprises pétrolières et gazières se sont installées en Iran. Cela a permis de renforcer les relations commerciales entre l'Iran et la France et l'Europe, en empêchant les Américains d'établir un concept - tout à fait inadmissible et illégal - de sanctions extraterritoriales.

Il y a aux États-Unis des lobbys, certains puissants - en France aussi, d'ailleurs -, qui ne voulaient absolument pas de l'accord nucléaire. Mais, cet accord aujourd'hui conclu, il faut souligner qu'il ne s'agit pas d'un accord avec les États-Unis : c'est un accord entre l'Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l'Allemagne, et il a été endossé par la résolution 2231 du Conseil de sécurité. Donc les entreprises françaises ne doivent pas s'inquiéter des slogans pré-électoraux utilisés, entre autres, par l'un des candidats aux élections présidentielles américaines. Il n'y a pas d'obstacle à ce que l'accord soit mis en oeuvre si vous et nous souhaitons l'appliquer ; personne n'est en mesure de le déchirer, ni de le renégocier.

De la même manière que nos amis français sont activement intervenus jusqu'à présent, nous attendons qu'ils agissent désormais dans le domaine bancaire. D'ores et déjà, un certain nombre de banques françaises ont des coopérations avec l'Iran mais, pour des contrats importants - avec Airbus, Peugeot, Renault, Citroën... - nous avons besoin du concours de grandes banques françaises. Votre rôle, en tant que parlementaires, est à cet égard primordial.

En ce qui concerne le rythme de la levée des sanctions, nous le trouvons beaucoup trop lent... La raison en est ce climat que je qualifie de « psychologique », « virtuel ». Notre intérêt est que la levée des sanctions se fasse à la bonne vitesse pour permettre aux contrats en cours de négociation d'aboutir.

Pour répondre à la question sur la composition du Parlement iranien, je dirai d'abord que cette composition est très équilibrée. Le Parlement iranien, en effet, a toujours la capacité de s'adapter en fonction des réalités du moment, les groupes politiques pouvant modifier leurs coalitions. Notre souhait est que la perception des réalités par notre peuple et par ses représentants les amène à souhaiter le développement des relations internationales de l'Iran. Pour le reste, étant donné la possibilité de changements des coalitions, il n'est jamais possible de prévoir la position du Parlement sur tel ou tel point. La malléabilité, la capacité de mouvement, sont une caractéristique du système politique iranien ; c'est un fait que tous les politiciens iraniens doivent admettre. Pour obtenir tel vote du Parlement, nous sommes obligés de prouver que ce vote ira dans le sens de l'intérêt de notre peuple ; nous ne pouvons pas espérer qu'en fonction des coalitions préétablies, le Parlement vote dans un sens ou un autre. Ainsi, tout le monde pensait que le Parlement voterait contre l'accord nucléaire : il a finalement voté pour cet accord, car il était parvenu à la certitude que cet accord va dans le sens des intérêts du pays.

Donc, sur la question de savoir si la composition actuelle du Parlement est favorable à l'accomplissement des réformes, la réponse est : tout dépend des circonstances, et des constatations sur ces circonstances que peuvent effectuer les parlementaires iraniens.

Sur la situation régionale et, d'abord, les relations avec l'Arabie saoudite : la République islamique d'Iran souhaite et cherche à avoir d'excellentes relations avec l'ensemble de ses voisins. C'est là notre priorité au niveau régional, plus importante même que la question nucléaire. Nous avons toujours estimé que notre région a besoin d'un cadre de dialogue et de coopération régionale. C'est pour cette raison que nous avons proposé la création d'une sorte de « forum », au niveau du Golfe persique, sur un mode assez semblable à ce qui existe en Europe avec le processus d'Helsinki ; autrement dit : que les pays s'engagent sur un certain nombre de principes. Par exemple, le respect envers les autres gouvernements, l'absence d'ingérence, le respect des frontières... Après, les pays pourront prendre certaines mesures pour créer la confiance. C'est une proposition mise sur la table depuis un certain nombre d'années ; je l'ai faite dans une multitude de journaux, arabes ou occidentaux. C'est la proposition de la République islamique d'Iran pour le dialogue.

L'un d'entre vous a relevé que l'on entendait des voix discordantes en Iran. En effet ! Car l'Iran n'est pas une société avec une seule voix, il y en a une multitude. Mais, quant à vouloir d'excellentes relations au plan régional, c'est la position de tout le monde. D'aucuns estiment que certaines de nos relations dans la région ne sont pas admissibles. Mais le droit du peuple de Bahreïn, aujourd'hui, est mis en cause ; certaines personnes y sont privées de leur citoyenneté : tout le monde en Iran est d'accord sur l'importance de ce sujet, et du reste personne dans le monde ne peut accepter ce genre de faits.

Encore une fois, j'y insiste : nous voulons avoir de bonnes relations de voisinage. C'est là un aspect de la politique de la République islamique d'Iran qui ne changera jamais.

Cela posé, il y a un dicton persan qui dit : « Si vous dormez vraiment, tout le monde ne pourra pas vous réveiller mais, si vous faites semblant de dormir, alors personne ne le pourra ». La question, dans notre région, est de savoir si tous les pays ont réellement la volonté de résoudre les problèmes, ou si cette volonté fait carrément défaut. Honnêtement, notre sentiment est qu'aujourd'hui, dans notre région, les inquiétudes soulevées ont pour objectif de détourner les esprits des véritables problèmes, en créant des tensions artificielles avec l'Iran. Dans le monde arabe, le problème est l'incapacité de répondre aux besoins légitimes des peuples... Rapporter les problèmes existants à un désaccord entre sunnites et chiites, c'est chercher à détourner les opinions publiques des vraies questions, et ne pas chercher à trouver les solutions aux véritables problèmes.

Notre situation a besoin de solutions politiques. Prenons l'exemple de la Syrie. En Syrie, il faut rechercher soit une solution militaire, soit une solution politique. Rechercher la solution militaire, ce serait oeuvrer pour tout obtenir, en n'admettant la légitimité politique que d'une seule partie ; en d'autres termes, ce serait poursuivre une solution où l'un serait totalement gagnant, l'autre totalement perdant. Une telle façon de faire n'aboutira jamais à rien. Rechercher une solution politique, c'est au contraire chercher les moyens et les méthodes pour que tout le monde sorte gagnant. Nous sommes tous obligés de trouver une solution politique en Syrie.

Une personne seule doit-elle avoir un rôle à jouer dans l'avenir de la Syrie ? C'est un jeu perdant-gagnant qui ne peut pas permettre d'aboutir à une solution. Plutôt que d'insister sur l'avenir d'une personne, il faut se mettre d'accord sur une méthodologie. Il faut se demander si, à l'avenir, il faut un système politique fédéral ou non pour la Syrie, s'il faut une Syrie unie ou désunie, s'il faut que tous les groupes participent à la prise de décision ou que ce soit le fait d'un seul groupe, s'il faut un président omnipotent ou un système parlementaire ...

Si l'on s'interroge seulement sur le rôle et l'avenir d'une seule personne, on ne peut pas trouver de solution. Cela peut être différent si l'on se met d'accord sur la méthodologie.

On pourrait ainsi trouver aussi une réponse aux problèmes du Yémen, de Bahreïn et de l'ensemble de la région. Si l'on admet que la solution ne peut être que politique et que la solution politique doit permettre à tout le monde d'être totalement impliqué, l'Iran est prêt à travailler avec la France, qui a un passé dans la région et qui est capable d'une compréhension fine des problèmes régionaux. Nous pensons que les questions libanaise, yéménite, de Bahreïn, doivent être résolues par les peuples eux-mêmes. Les pays étrangers peuvent aider à trouver une solution, mais ne peuvent pas la leur dicter, sinon il y aura une résistance de ces peuples, comme cela a été le cas au Liban. Tous les groupes libanais doivent trouver ensemble une solution et leur solution est légitime et acceptable. Nous devons seulement oeuvrer pour qu'ils prennent leurs propres décisions, car les solutions dictées de l'extérieur au peuple libanais n'ont jamais abouti. Nous avons besoin, pour l'ensemble de ces problèmes, de dialogues et de consultations.

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