Je voudrais m'associer à l'hommage rendu à vos hommes sur tous les terrains où ils interviennent.
À la faveur d'une mission récente en Australie avec quatre collègues de cette commission, nous avons rendu visite à nos forces armées à Nouméa. Nous avons naturellement pu constater le grand professionnalisme de nos pilotes d'hélicoptères et mesuré la diversité de leurs interventions, y compris au plan civil.
Nous avons aussi pu déplorer le vieillissement certain du parc d'hélicoptères. La disponibilité des hélicoptères Puma s'est améliorée grâce à des visites préventives. Pour autant, l'âge de ces appareils n'implique-t-il pas une part de risques pour nos pilotes ?
Général Jean-Pierre Bosser. - Les sujets que vous avez abordés sont au coeur de la réflexion que je mène aujourd'hui pour l'armée de terre.
Tout d'abord, je tiens à dire que tous les compliments que vous faites à propos des soldats sont directement répercutés à la troupe.
Je suis par ailleurs très attaché à la relation avec les parlementaires. Les échanges que nous pouvons avoir sont précieux et viennent compléter l'action que le chef militaire mène sur le terrain.
Je voudrais commencer par un thème qui m'est cher, celui du modèle économique et du renouvellement des matériels. C'est un domaine que j'ai découvert en tant que CEMAT. D'une manière générale, depuis plus de trente ans, on s'échine à entretenir de vieux parcs, sans réfléchir à l'équilibre économique que pourraient parfois constituer, pour un même industriel, l'accélération de la livraison des nouveaux matériels et l'abandon de l'entretien des anciens.
Le FAMAS est un très bon fusil, mais il a quarante ans d'emploi intense et coûte cher à l'entretien. On sous-traite le percuteur, qui représente 380 euros pour trois mille coups de fusil. Avec trois percuteurs, on peut acheter un HK 416. Va-t-on continuer à acheter des percuteurs ou acquérir des fusils neufs ? Une autre faiblesse de ce fusil réside dans les chargeurs. Avec six chargeurs FAMAS, on achète un HK 416.
Autre exemple : la P4 est un véhicule âgé de plus de quarante ans dont le problème majeur est la rouille. On a choisi il y a quelques années de consacrer 27 000 euros et trois cents heures de travail par véhicule à reconstruire. Pour ce prix, on trouve sur le marché des véhicules de bonne qualité.
On pourrait se poser la question pour tous les matériels : on s'échine à remettre en état, voire à reconstruire, le VAB qui va fêter ses quarante ans, alors que l'industriel qui l'entretient est un acteur majeur de Scorpion. Sous réserve de soutenabilité financière et de faisabilité industrielle, ne vaut-il mieux pas accélérer la livraison de Scorpion et réduire le maintien en condition des VAB ? La réponse est évidente, sous réserve de la capacité industrielle à pouvoir accélérer sa production.
C'est au CEMAT de dire que le fusil coûte trop cher à entretenir. Je pense avoir trouvé ma place aujourd'hui. Si on donne à l'industriel de la visibilité horizontale, il nous renseigne sur la capacité qu'il a à accélérer la production, et on peut ainsi décider d'entretenir ou non les vieux parcs. Ce modèle économique ne fonctionne pas forcément dans tous les domaines : il faut l'étudier au cas par cas.
À quelques milliers d'hommes près, je n'ai pas l'intention, dans les cinq années qui viennent, de faire effort sur les effectifs. Mon souci est que l'armée de terre de demain soit équipée de façon cohérente, que l'on ait ce qu'il faut pour s'entraîner et entretenir nos matériels. Les équipements doivent donc maintenant rattraper les effectifs. Je ne veux pas d'une armée à deux vitesses.
Un mot sur les fusils. On ne change pas de fusil tous les ans. Tous les soldats de l'armée de terre, ainsi que les autres armées, seront équipés du nouveau fusil. Ce fusil, fabriqué dans un pays voisin, a fait l'objet de nombreux débats.
Les obsolescences du FAMAS nous coûtent cher, même s'il reste un très bon fusil, probablement un des meilleurs au monde en termes de précision.
En second lieu, dans le combat moderne, il ne faut pas accorder trop d'importance au fusil en tant que marque de souveraineté. C'était vrai il y a cent ans, cela ne l'est plus aujourd'hui. L'environnement du soldat a tellement évolué qu'on ne peut faire du fusil une marque de souveraineté nationale, d'autant que 30 % du coût de l'AIF provient du canon. Il sera fabriqué en France, avec de l'acier français.
Le nouveau fusil aura une crosse réglable et repliable. Il sera adapté à l'ergonomie du soldat, avec des talons qu'on pourra positionner pour tenir compte de la morphologie des tireurs, et une sangle compatible avec la nouvelle instruction concernant le tir tactique. Il sera même doté d'un bipied, et bénéficiera surtout de rails autour du canon permettant d'adapter tous les dispositifs de vision nocturne et de précision, que nous n'avons pas sur le FAMAS. Sa baïonnette sera également bien plus perfectionnée.
Il faut avoir une approche raisonnable à propos du FAMAS. Je sais que le made in France est un sujet extrêmement sensible et qu'on y est très attentif en matière d'équipement des armées. En l'occurrence, je ne peux décemment pas cautionner l'entretien du FAMAS, alors que ce modèle économique n'est pas pertinent et qu'il existe bien mieux aujourd'hui sur le marché pour équiper nos soldats.
S'agissant du MCO aéronautique, nous progressons mais à petits pas. Nous avons bien analysé la verticalité entre l'employeur et le soutien étatique : peut-être faut-il frapper à la porte de l'industriel. Le MCO aéronautique est le point de convergence entre le public et le privé, avec un industriel qui détient un monopole. Il faut l'intégrer dans la réflexion.
Deuxième point : en matière de capacités militaires OPEX et TN, on ne fait plus rien sans l'hélicoptère. C'est donc une priorité absolue.
Troisième point : il faut être prudent quand on parle de chiffres. On a trois cents hélicoptères en stock, mais ils ne voleront jamais tous en même temps. 20 à 25 % d'entre eux sont chez l'industriel en permanence, comme les avions. Quand il y a des rénovations, comme pour le Tigre et le Cougar, cela peut aller jusqu'à 30 %. Une partie est en essai, l'autre est en formation. Je suis en train de faire calculer la cible que je souhaite faire décoller exclusivement pour les opérations. Cette cible doit tourner entre cent quarante et cent cinquante appareils. On se situe aujourd'hui à cent. On est donc en dessous. Aujourd'hui on a un gap de cinquante hélicoptères qui doivent absolument pouvoir décoller.
Enfin, l'hélicoptère moderne constitue un outil numérique à lui seul. La chaîne de rechange doit être la plus pointue et la plus réactive possible. Il faut en outre tenir compte de ce qu'on appelle la sécurité aérienne et des règles de navigabilité. Un hélicoptère peut être interdit de vol parce que sa documentation électronique n'est pas à jour. C'est donc un sujet complexe.
Il faut noter, côté industriel, que celui-ci a espacé le rythme des visites du Tigre, qui l'immobilisaient beaucoup trop. On a ainsi gagné 20 % sur le Tigre, et l'on va gagner 15 % sur le Caïman, qui est encore un appareil jeune. C'est un point très positif.
On découvre finalement que l'hélicoptère est comparable technologiquement à un petit avion et qu'il lui faudra plus de temps que par le passé pour arriver à maturité.
Au bout du compte, les hélicoptères sont le premier poste de dépenses de l'armée de terre. Avant d'en commander d'autres, ce serait déjà bien d'être capable de faire décoller ceux que nous possédons et de renouveler les vieux parcs. D'où mon intérêt concernant le HIL. Aujourd'hui, le Tigre et le Caïman mènent des actions opérationnelles que je souhaite autonomes, mais la Gazelle est d'une autre génération et ne peut suivre le Tigre et le Caïman. Or, on a besoin d'un hélicoptère d'accompagnement performant.
Le MCO aéronautique est un sujet dont on parle tous les jours - formation des pilotes, etc.
S'agissant des drones, l'armée de terre vise trois types différents : le nano-drone, aujourd'hui en cours d'expérimentation, destiné à servir aux fantassins pour le combat en zone urbaine, le DRAC et son successeur, qui servent aux capitaines pour explorer les cinq à huit kilomètres qui sont devant eux, et le SDT, qui est l'outil du patron de GTIA, dont le rayon d'action est de quinze à vingt kilomètres.
L'armée de terre et l'armée de l'air ne se concurrencent absolument pas dans ce domaine. Le drone MALE est d'une autre dimension. Le Patroller est le drone qui a été retenu, notamment pour la qualité de sa boule et la précision de ses images.
Élément important, le Patroller est dérivé d'un planeur piloté. Quand le changement du drone a été imaginé, on n'avait aucune vision sur le territoire national. Or on a aujourd'hui des difficultés à y faire voler des drones. Le Patroller nous offre une navigabilité quasi-libre.
Avec André Lanata, le chef d'état-major de l'armée de l'air, nous avons convenu de ne pas quitter nos fonctions sans avoir tordu le cou à la gestion de l'espace aérien, qui est depuis toujours un sujet de tension entre l'armée de l'air et l'armée de terre.
Nous allons d'ailleurs réaliser très bientôt un exercice en commun où, pour la première fois depuis de très nombreuses années, des avions, des drones de l'armée de l'air et des drones de l'armée de terre vont travailler ensemble.
Un mot du moral des troupes. J'étais hier dans un régiment où le moral, tel que l'évaluent les armées, était « plutôt mauvais » chez les officiers et les sous-officiers et « moyennement bon » chez les militaires du rang. J'ai été très surpris de trouver un décalage important entre le rapport sur le moral qui avait été réalisé il y a dix-huit mois et la réalité. Je suis intimement convaincu que l'évaluation du moral des troupes que l'on fait à partir de tables rondes, où les questions sont très formatées, n'est plus d'actualité. L'approche catégorielle n'a surtout plus de sens.
Aujourd'hui, un caporal-chef marié avec deux enfants a les mêmes préoccupations qu'un lieutenant ou un capitaine dans la même situation. En revanche, un caporal ou un lieutenant célibataire peuvent faire deux cent vingt jours de terrain par an - et le souhaitent même. Ils sortent de l'école, rêvent d'action, savent qu'ils vont partir au Mali dans trois mois. Leur moral est donc bon. Le caporal-chef qui a quinze ans de service, trois enfants, qui avait prévu de partir en vacances et que l'on rappelle brutalement l'été, le privant de ses vacances en famille, réagit différemment. Son moral n'est pas du tout le même.
Je vais donc modifier l'évaluation du moral des troupes, étudier les bons capteurs et voir comment mesurer une chute brutale du moral.
Nous avons eu un exemple avec Louvois, il y a quelques jours, au quatre-vingt-treizième régiment d'artillerie de montagne. Nous nous rendons compte que les réseaux sociaux agissent comme des accélérateurs de particules. Brutalement, un problème local peut devenir rapidement national et prendre une ampleur qu'on ne mesure pas. S'agissant du cas que j'évoque, ce n'était en outre pas totalement justifié.
Un mot à propos de Sentinelle. Il y a encore beaucoup à faire. Je le dis très franchement : nous sommes aujourd'hui très loin de ce que doit être selon moi l'évolution du dispositif. Nous avons beaucoup amélioré notre coopération avec les forces de sécurité intérieure notamment la police, avec laquelle nous n'avions jamais travaillé. Cela s'est remarquablement passé. On n'a jamais entendu des policiers dire du mal des militaires, ni l'inverse. Les gens ont appris à se connaître et les choses se passent très bien.
Nous avons encore beaucoup à apprendre. Un certain nombre de choses se font en marchant et, malheureusement, en réaction aux faits.
Un sondage a été réalisé par la défense avant l'été : 86 % des Français sont satisfaits de voir des soldats dans la rue. Nous sommes tous d'accord sur le fait que nous avons besoin d'une force militaire déployée sur le territoire national. À quelle hauteur et pour quoi faire ? C'est un second sujet, mais je pense que les Français ne se passeront plus de la présence des soldats sur le territoire.
Les Français savent - et ils le disent - qu'ils ne risquent pas moins avec Sentinelle, mais que, si jamais quelque chose arrive, il y aura quelqu'un pour réagir. Les gens sont donc convaincus que Sentinelle ne les protégera pas d'un attentat mais, en revanche, ils sont convaincus que les militaires auront une capacité de réaction.
Il faut donc faire évoluer Sentinelle et garder les dix mille intervenants, avec une partie en alerte, une partie déployée et une autre qui s'entraine sur les scénarios de crise tels que le SGDSN les imagine, et sur lesquels il nous faut encore travailler.
C'est l'idée de la posture de protection terrestre. Les personnes en alerte continuent de s'entraîner. On retrouve ainsi des jours de préparation opérationnelle, et on s'investit dans la préparation des scénarios de crise. À titre personnel, c'est ainsi que je vois, demain, le positionnement de l'armée de terre sur le territoire national.
Vous m'avez posé une question sur la PEGP. Il s'agit d'un système qui visait à mettre les matériels en pool, avec un pool d'emplois en opération, un pool d'alerte et un pool pour les centres d'entraînement. Ce modèle a vécu. Il sera conservé pour quelques types de matériels. Le pool d'alerte sera maintenu, mais nous allons redéployer du matériel dans les garnisons. Si nous faisons demain de la PPT, comme le réclament les élus, je souhaite voir un peu plus de militaires manoeuvrant dans les régions de France.
Depuis l'Afghanistan, il n'existe plus de militaires en terrain libre, tous s'entraînant dans des centres spécialisés. L'ambition est donc de pouvoir évoluer en terrain libre, comme l'a connu ma génération. Hier encore, le directeur de l'aérodrome sur lequel nous nous sommes posés m'a demandé pourquoi on ne venait pas faire un tour sur son aérodrome. Il est vrai que nous pourrions « sortir de nos casernes ». Nous allons donc conserver le concept de la PEGP mais probablement l'aménager.
Concernant l'Allemagne, j'ai de très bons contacts avec mon homologue. Mon homologue britannique, quant à lui, est confronté à de sérieuses difficultés en interne et en externe.
Mon homologue allemand est culturellement et historiquement très tourné vers l'Est même s'il contribue assez bien à notre action en BSS. Il a un peu de mal à admettre que la France marque son effort sur le flanc Sud, et souhaiterait que l'on soit plus présent à l'Est. Je ne sais pas le faire dans les conditions actuelles. Je le lui ai dit. Au fur à mesure que nous monterons en puissance, nous pourrons être présents.
Nous n'avons pas voulu laisser la chaise totalement vide. Le ministre souhaitant marquer la présence militaire dans le cadre des mesures de réassurance face aux pays baltes, nous fournirons l'équivalent d'une compagnie renforcée, dans un premier temps sous commandement britannique, en Estonie en 2017, puis avec les Allemands en Lituanie en 2018.
J'ai pour projet, avec le CEMAT allemand, de ne pas faire de ce dispositif un dispositif destiné à attendre que les choses se passent. On voudrait imaginer des scénarios intéressants de déploiement de nos unités, sachant qu'il existe des savoir-faire que l'on a complètement abandonnés : franchissement des coupures très larges, transport par chemin de fer, déploiement logistique de brigades sur plus de mille kilomètres.