Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 février 2016 à 8h35
Politique commerciale — Application des règles européennes de concurrence par les autorités nationales : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de m. philippe bonnecarrère

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Le 4 novembre dernier, la Commission européenne a lancé une consultation publique, ouverte jusqu'au 12 février prochain, intitulée « Habiliter les autorités nationales de concurrence à appliquer les règles européennes de concurrence plus efficacement ». Il m'a paru opportun d'en informer notre commission et de lui proposer d'adopter à la fois un avis politique, qui constituera notre contribution à cette consultation, et une proposition de résolution européenne. Il vous est également loisible de répondre individuellement aux centaines de questions que comporte la consultation !

La consultation publique intervient plus de dix ans après l'entrée en vigueur du règlement 1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui concernent, respectivement, les concentrations et les abus de position dominante.

Ce texte a décentralisé, au niveau des autorités nationales, l'application du droit européen de la concurrence, qui constituait auparavant le coeur de métier et le monopole de la Commission ; au point que désormais, le droit européen de la concurrence est le « droit du pays ». La bonne application du règlement requiert une coopération étroite entre la Commission et les autorités nationales de concurrence. Le dispositif de coordination est flexible et la répartition des affaires fonctionne bien : la Commission n'a jamais fait usage de son pouvoir de dessaisissement d'une autorité nationale.

La Commission et les autorités nationales de concurrence interviennent au sein du réseau européen de la concurrence, conçu comme un forum de discussion et de coopération, un lieu d'échange d'informations et de bonnes pratiques. Dans la réalité, cela va plus loin : le réseau publie des informations sous forme de notices ou de lignes directrices qui s'assimilent à de la soft law - une expression que l'on traduira par « droit souple » ou « droit mou », et un sujet qui passionne le Conseil d'État et la Cour de cassation. S'il n'a pas vocation à définir des règles nouvelles en créant du droit, ce réseau dispose d'un important pouvoir d'harmonisation ; il peut même être considéré comme créateur de droit à travers ses recommandations aux autorités nationales. Ses activités sont denses et il se réunit très souvent, à différents niveaux et dans divers cadres, en particulier au sein de nombreux groupes de travail thématiques dont le fonctionnement manquerait de transparence. C'est dans l'un d'entre eux qu'ont été abordés la place et le rôle des autorités nationales de concurrence et qu'a été lancée la consultation publique de la Commission.

Au total, les autorités nationales de concurrence appliquent les mêmes règles de fond, mais utilisent des procédures nationales éventuellement différentes, voire divergentes. C'est pourquoi la Commission européenne considère qu'il existe une marge pour améliorer encore l'application du règlement 1/2003 en aboutissant à des décisions plus cohérentes entre autorités nationales sans porter atteinte au caractère national des procédures, ne serait-ce que par application du principe de subsidiarité, qui nous est cher.

La consultation publique doit aboutir à une application plus harmonisée par les autorités nationales du droit européen de la concurrence sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne. Son objectif n'est pas d'ajouter des règles potentiellement plus strictes, voire pénalisantes pour les entreprises européennes, mais de mettre le droit européen de la concurrence au service d'une stratégie plus large de conquête de nouveaux marchés, à l'échelle tant européenne que mondiale, afin de contribuer à la réindustrialisation de l'Europe. C'est pourquoi il est essentiel que ces autorités prennent en compte les réalités économiques objectives pour définir le marché pertinent à une échelle adéquate qui peut, dans certains cas, être le niveau européen. Les professionnels du droit de la concurrence, en particulier les avocats représentant les entreprises amenées à se justifier de l'imputation de concentration ou d'abus de position dominante, nous ont indiqué que, grâce à la jurisprudence, la notion de marché pertinent ne faisait plus débat.

Concrètement, la Commission observe la persistance de divergences entre autorités nationales de concurrence et considère qu'il convient de rehausser les standards en Europe. Le fonctionnement des autorités nationales reste perfectible, en raison du manque de moyens, de compétences juridiques limitées, d'une indépendance insuffisante parfois, de pratiques différentes, par exemple pour infliger des sanctions et des amendes ou pour appliquer des programmes de clémence. Dans des pays comme le Royaume-Uni, l'autorité n'a pas la possibilité de prononcer des amendes. En Allemagne, la personnalisation des sanctions a pour conséquence une perte de leur effet juridique lorsque le droit change.

Notre Autorité de la concurrence ne serait pas vraiment impliquée par les conséquences de cette consultation publique, qui débouchera probablement sur une proposition de texte législatif : elle respecte en effet la quasi-totalité des standards et bénéficie d'une très bonne réputation, tant à Bruxelles qu'auprès des entreprises et des avocats spécialisés en droit de la concurrence. Elle est la plus active au sein du réseau européen de la concurrence et applique strictement les possibilités dont elle bénéficie en matière de sanctions (plus d'un milliard d'euros en 2014). Est-ce discriminatoire pour nos entreprises ? La dissolution des cartels ne peut qu'être salutaire pour la concurrence ; de plus, l'Autorité peut agir contre les entreprises étrangères. Son président, Bruno Lasserre, a fait valoir assez finement que, si un dossier était transmis à la Commission, le produit des amendes prononcées à Bruxelles abonderait le budget de l'Union européenne, tandis que le produit de celles prononcées par l'Autorité nationale allaient au budget français...

La proposition de résolution européenne et l'avis politique que je vous soumets appuient l'objectif de la Commission d'une plus grande convergence du fonctionnement des autorités nationales de concurrence, dès lors que cette évolution demeurerait encadrée. La consultation publique de la Commission va dans le bon sens.

D'une part, il ne paraît pas souhaitable de rechercher à instituer en Europe un modèle uniforme d'autorité nationale de concurrence. Ainsi, les Allemands ont un système aussi performant que le nôtre, voire davantage, qui remonte au début du XXe siècle. Il convient par conséquent de préserver l'autonomie procédurale garante d'un haut niveau de protection des droits. C'est le cas en France : ainsi, la procédure de l'Autorité nationale de la concurrence est dite de « double contradictoire », alors qu'elle est simple à Bruxelles. On entend par là que l'entreprise peut répondre aux griefs qui lui sont notifiés puis apporter une réponse en cas de réplique de l'autorité.

D'autre part, les autorités nationales de concurrence doivent être en mesure de rendre des comptes et, pour éviter les critiques que l'on adresse régulièrement en France aux autorités administratives indépendantes - et personne ne contestera ce statut à l'Autorité de la concurrence ! -, je propose certaines limites en matière de pouvoir consultatif, de contrôle parlementaire et d'auto-saisine. Enfin, il convient de ne pas négliger les moyens alloués au contrôle juridictionnel des décisions des autorités nationales de concurrence. En France, les affaires de concentration sont adressées au Conseil d'État, tandis que la Cour d'appel de Paris a à connaître des procédures engagées pour abus de position dominante et constitution de cartel. Face à la thrombose qui la menace, le président de cette Cour a demandé des moyens supplémentaires pour les chambres spécialisées dans ce type de litiges.

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