Davantage que son encadrement juridique, la politique de la concurrence au niveau européen m'inquiète pour son caractère anti-industriel. La Commission applique un modèle américain inspiré du Sherman Act de la fin du XIXe siècle, complété par le Clayton Antitrust Act de 1914. Or ces lois destinées à éviter la concentration sectorielle s'appliquaient dans un pays déjà unifié - au contraire de l'Union européenne, toujours en construction et où les grandes entreprises fondent toujours leur développement sur des marchés nationaux.
Fusionner ces marchés à l'échelle européenne relève d'une dynamique complexe, qui a été contrariée par les règles de plus en plus strictes imposées par la Commission, des années 1970 aux années 1990. Jusqu'au sein même de la Commission, on entend dire que la seule politique industrielle de l'Union européenne est la politique de la concurrence. Or, sauf l'exception culturelle, nous nous interdisons tout crédit d'impôt sectoriel - une limite que les Américains ne s'imposent nullement. Cela nous empêche, et c'est regrettable, de construire, en particulier dans le domaine technologique, des groupes européens en mesure de rivaliser avec leurs homologues nord-américains ou asiatiques ; l'investissement dans les nouvelles technologies est difficile sans aides d'État, dont ces redoutables concurrents ne se privent pas.
Je n'ai rien contre une régulation de la concurrence, mais j'ai l'impression que l'émergence de nos industries européennes est pénalisée par un certain dogmatisme. Je préconise pour ma part un système de « serpent fiscal » qui autoriserait aux États une fourchette de crédit d'impôt dans les secteurs jugés prioritaires. Grâce au crédit d'impôt recherche, nous avons atteint l'excellence dans ce domaine, mais nous n'avons pas la filière verticale qui en faciliterait l'exploitation industrielle.