Mon panorama foncier de l'agriculture dans les outre-mer se centrera notamment sur la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, pour lesquels la surface agricole utile (SAU) s'élève respectivement à 30 %, 30 % et 20 % de la superficie totale. En Guyane, 90 % des terres sont recouvertes de forêt équatoriale ; la SAU ne représente que 0,4 % de la surface totale qui couvre 85 000 kilomètres carrés ; l'État est propriétaire de 90 % des terres. La population et les activités se concentrent sur une bande littorale de 7 500 kilomètres carrés, dont 4 % utilisés par l'agriculture. À Mayotte, la surface totale agricole exploitable s'élève à 20 700 hectares, soit 55 % du territoire, dont seuls 7 100 hectares sont cultivés - soit un tiers de la surface exploitable. Phénomène important, 60 % des surfaces cultivées en ylang et en vanille ont disparu, alors que ces cultures sont prioritaires pour les aides européennes ; 8 % des exploitations pratiquent le maraîchage, sur 130 hectares.
En Martinique, la part de chaque catégorie - terres arables, prairies permanentes et plantations pérennes - oscille entre 21 et 29 % de la SAU. La part des terres arables est nettement plus importante à La Réunion, en Guyane et en Guadeloupe qu'en Martinique : elle y couvre respectivement 61 %, 44 % et 35 % de la SAU. En Guadeloupe et à La Réunion, les cultures industrielles - canne et banane - en occupent la plus grande partie. En Martinique et en Guyane, les cultures fruitières tiennent une place importante : bananeraies incluses, les vergers couvrent respectivement 21 % et 18 % de la SAU en 2016. Selon les chiffres du recensement général agricole de 2010, la SAU guyanaise s'élevait à 25 345 hectares dont 12 297 hectares de terres arables, 9 480 hectares de surfaces toujours en herbe et 3 568 hectares de vergers.
La reprise du marché du foncier agricole se confirme en Guadeloupe : les échanges de terrains sont en augmentation en 2015 de 36 % par rapport à 2014, au-dessus de la moyenne des cinq dernières années. Les prix des terres agricoles ont peu évolué : entre 5 000 et 6 000 euros par hectare pour les prairies et les terres à canne et entre 7 000 et 8 000 euros par hectare pour les vergers et autres cultures spécialisées. En Martinique, les échanges de terres ont baissé de 55 % entre 2007 et 2013, et de 5 % en 2015. À La Réunion, les prix ont augmenté pour un volume de transactions supérieur de 20 % en 2015 par rapport à 2014. La hausse des prix est plus marquée pour les terres d'élevage où elle s'élève à 13 %, pour un montant de 8 650 euros par hectare - que pour les terres à canne dont la valeur augmente de 4 %, à 11 270 euros par hectare. En Guyane, nous n'avons pas d'information sur les transactions, en raison de l'absence de SAFER et du contexte spécifique.
Afin de mobiliser le foncier pour l'agriculture, la loi du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer introduit des dispositions nouvelles propres aux établissements publics de l'État dans les départements de Guyane et de Mayotte. L'article L. 321-36-1 du code de l'urbanisme prévoit ainsi la création de deux établissements publics fonciers et d'aménagement d'État (EPFA), un décret en Conseil d'État devant préciser les conditions d'application. La même loi de 2015 a modifié l'article L. 181-49 du code rural et de la pêche maritime afin que le nouvel EPFA de Mayotte remplace l'Agence de services et de paiement (ASP) pour exercer les missions traditionnellement confiées aux SAFER et, en particulier, leur droit de préemption. L'EPFA de Guyane dispose déjà de compétences en matière de foncier agricole en application de l'article L. 181-39 du code rural. Les décrets sont en cours de rédaction. Le Conseil d'État a examiné le projet de décret relatif à l'EPFA de Guyane le 25 octobre dernier. La création de SAFER en Guyane et à Mayotte n'est pas à l'ordre du jour.
La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014 a élargi les compétences de la commission départementale de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) aux espaces naturels et forestiers. Les CDCEA ont été remplacées par des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Des CDPENAF ont été créées en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte par le décret n° 2015-1488 du 16 novembre 2015.
Spécificité des départements d'outre-mer (DOM), les CDPENAF des DOM émettent des avis conformes qui lient le préfet. Afin d'évaluer le fonctionnement des CDCEA et les conditions de leur transformation en CDPENAF, la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture a lancé en juin 2016 une enquête auprès des services déconcentrés qui en assurent le secrétariat. En Guadeloupe, la CDCEA s'est réunie 34 fois, et a examiné 597 dossiers, dont 518 pour des permis de construire et 45 projets photovoltaïques ; la CDPENAF s'est réunie 9 fois depuis janvier 2016, afin d'examiner 103 dossiers, dont 86 de permis de construire. En Guyane, la CDCEA s'est réunie 22 fois, pour examiner 228 dossiers dont 170 de permis de construire et 41 projets photovoltaïques, tandis que la CDPENAF s'est réunie 8 fois depuis janvier 2016 pour examiner 45 dossiers dont 40 de permis de construire. En Martinique, la CDCEA s'est réunie 12 fois, pour examiner 17 dossiers dont 14 de plans locaux d'urbanisme (PLU), tandis que la CDPENAF s'est réunie deux fois sur deux dossiers. La CDCEA de La Réunion s'est réunie 12 fois pour 16 dossiers ; la CDPENAF se réunira en décembre 2016 pour la première fois. Les CDCEA et les CDPENAF de Guadeloupe et de Guyane ont très bien fonctionné si on les compare avec la moyenne nationale. La CDCEA de Mayotte n'a jamais été installée, tandis que la CDPENAF de ce département a été créée par l'arrêté préfectoral du 8 juin 2016 et installée le 15 septembre 2016.
La procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées permet d'imposer à un propriétaire une remise en valeur agricole d'un fonds par lui-même ou par un exploitant. La procédure de mobilisation des terres incultes est principalement mise en oeuvre à La Réunion. La Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) s'est récemment rapprochée de la collectivité territoriale pour rechercher les moyens de la mettre en oeuvre. Un fort potentiel existe en Martinique et en Guadeloupe, respectivement de 12 000 et 9 270 hectares de friches. Le département de La Réunion est le premier à avoir mis en place cette procédure. Instaurée dans les années 1980, le dispositif a été géré dans son intégralité par l'État jusqu'en 2007, et est mise en oeuvre depuis 2009 conjointement par le Conseil départemental et les services de la DAAF. La SAFER de La Réunion, en tant qu'opérateur foncier, apporte son ingénierie pour la mise en oeuvre opérationnelle. Depuis 2009, chaque année, en moyenne 350 hectares de terres en friches ou manifestement sous-exploitées ont été remises en culture. Malgré ces reconquêtes effectives, le gisement de friches, estimé à environ 8 000 hectares, ne se réduit pas : les surfaces mises en valeur d'un côté sont reperdues par le retour en friche d'autres parcelles. La SAU globale reste ainsi stable à 43 000 hectares.
La SAFER, pour le compte du département, recense les terres en friches et réalise l'enquête publique pour informer les propriétaires. Elle a introduit une action intermédiaire d'échange amiable qui aboutit rapidement pour les cas les plus aisés où le propriétaire veut sortir de l'état de friche. La DAAF, pour le compte de l'État, est responsable de la seconde phase pré-contentieuse sous l'égide du code rural, voire contentieuse sous l'égide du code de l'expropriation. Elle assure la mise en oeuvre des phases de mise en demeure, de fermage d'office ou d'expropriation lorsqu'aucune solution n'a été trouvée en amont.
La procédure de fermage d'office a été rarement utilisée, le risque de conflit entre le propriétaire et le fermier imposé par l'administration étant rédhibitoire. Ce dispositif réglementaire n'est employé qu'avec l'accord préalable du propriétaire afin d'annuler un bail qu'il a déjà consenti pour un fermier choisi par ses soins mais défaillant.
De 2009 à 2014, douze communes ont fait l'objet d'une enquête publique par la SAFER de La Réunion pour 2 900 hectares de friches ; 400 hectares sont toujours au stade de l'enquête publique, 500 hectares au stade de la mise en demeure, pour 2 000 hectares de retraits de la procédure pour vente, location ou remise en culture.
Quelles pourraient être les perspectives de révision de la procédure pour en accroître l'efficacité ? Première évolution, un allègement de la procédure préalable dite d'enquête publique est prévu pour la circonscrire à une simple procédure contradictoire avec le propriétaire. Deuxième piste, le fermage d'office, peu usité, devrait être mieux encadré.
Par ailleurs, il convient de relever qu'un nouveau dispositif d'incitation financière a été mis en place par le Conseil départemental de La Réunion, accordant une prime de 1 500 euros par hectare pour une location et de 3 000 euros par hectare pour une vente, acceptées par le propriétaire, afin de favoriser la médiation amiable de la SAFER.
Vous nous avez interrogés également sur les attributions de terrains du domaine privé de l'État aux agriculteurs en Guyane. Actuellement, toutes les demandes sont déposées auprès du guichet unique, le service de France Domaine. Elles sont transmises à la DAAF pour une première analyse de la localisation et de la note technico-économique. Les dossiers complets dont le projet agricole semble suffisamment solide sont présentés en Commission d'attribution foncière. Dans le meilleur des cas, un dossier déposé auprès du guichet unique de France Domaine peut faire l'objet d'un avis de la commission et d'une décision du préfet huit mois après son dépôt.
Quel bilan dresser des commissions d'attribution foncière ? La DAAF a établi un bilan détaillé. Depuis 2000, l'État a attribué 21 119 hectares en commissions d'attribution foncière pour 1 004 agriculteurs. En outre, il a transféré 10 000 hectares à l'établissement public d'aménagement de la Guyane (EPAG), qui a attribué 60 % de ces surfaces aux agriculteurs. Chaque année, 1 800 hectares de l'État et de l'EPAG ont donc été attribués à des projets agricoles, soit 27 000 hectares au total attribués à des agriculteurs entre 2000 et 2015.
Les contraintes agronomiques et topographiques imposent un modèle agricole foncier extensif en Guyane. Entre 2000 et 2015, 21 hectares ont été attribués en moyenne aux agriculteurs bénéficiaires. Les terres sont généralement prises sur les massifs forestiers. À dire d'expert, une valorisation agricole optimale est possible sur environ 40 % de ces surfaces, déduction faite des sols de mauvaise qualité agronomique, des sols humides et à forte pente. Cette surface moyenne de 21 hectares correspond donc à une valorisation potentielle de 8 hectares de SAU.
Les nouvelles installations d'agriculteurs nécessiteront systématiquement de nouvelles pistes d'accès. Une mesure du programme de développement rural de Guyane 2014-2020, dédiée à l'aménagement du foncier agricole, n'est dotée que de 10 millions d'euros, imposant une rationalisation des aménagements à programmer. Le cofinancement de l'État, par le biais du MAAF, n'est pas encore stabilisé et pourrait entraîner mécaniquement une perte de 3 millions d'euros du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), faute de contreparties nationales, grevant d'autant les possibilités d'installation d'agriculteurs sur de nouveaux espaces.
Compte tenu de la pression foncière des populations, des problèmes d'aménagement suscités par les installations sans titre et des contraintes pour répondre aux objectifs de développement du Schéma d'aménagement régional (SAR), il existe un consensus sur le besoin d'accompagnement foncier lors de l'installation de nouveaux agriculteurs. Pour cela, il faudrait accompagner chaque demandeur dans la formalisation de son projet, en lien avec les différents dispositifs d'aide et de formation - le financement du volet 2 du dispositif d'accompagnement à l'installation et à la transmission (AITA) reste à évaluer. Il serait aussi nécessaire de bénéficier d'un flux annuel d'images satellites de qualité suffisante pour développer l'observatoire du foncier.
Les nouvelles procédures devront favoriser les installations groupées d'agriculteurs plutôt que de traiter les demandes individuelles au coup par coup, afin d'optimiser le choix des parcelles en fonction du type de culture ou d'élevage des projets présentés et d'assurer un aménagement cohérent des territoires. L'analyse territoriale, en concertation avec les collectivités, sera privilégiée. En revanche, les modalités de financement de ce conseil sur le foncier, indispensable à la rationalisation des exploitations agricoles guyanaises, ne sont toujours pas actées. Un groupe de travail a été constitué autour des services de l'État - France Domaine, DAAF, Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), Office national des forêts (ONF) et préfecture - pour améliorer le traitement des attributions foncières et la connaissance du territoire, les procédures, les moyens techniques et financiers et les modes d'organisation. Des discussions sont également engagées avec la Collectivité territoriale de Guyane et la chambre d'agriculture.