Intervention de Laurent Girometti

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 27 octobre 2016 : 1ère réunion
Foncier dans les outre-mer — Audition de M. Laurent Girometti directeur de l'habitat de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'environnement de l'énergie et de la mer et au ministère du logement et de l'habitat durable et de M. Alain Joly délégué ministériel aux outre-mer au ministère de l'agriculture de l'agroalimentaire et de la forêt

Laurent Girometti, de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer et au ministère du logement et de l'habitat durable :

directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer et au ministère du logement et de l'habitat durable. - Dans les DOM, les populations et les activités se concentrent sur la bande littorale. Un équilibre reste à trouver entre pression démographique, protection des espaces naturels et protection contre les risques. Nous prônons des politiques volontaristes de maîtrise de l'urbanisation. Actuellement, le processus d'urbanisation est insuffisamment contrôlé - avec des différences selon les DOM - et présente des effets déstabilisateurs pour les territoires : saturation des axes de communication, consommation d'espaces, dégradation des paysages et des milieux, artificialisation trop forte, mitage urbain... À Mayotte, l'extension de la tâche urbaine atteint 1,75 kilomètre carré par an ; à ce rythme, la surface urbanisée aura doublé d'ici 2025. En Martinique, le mitage est également important.

La pression démographique diffère d'un département à l'autre. En Guyane et à Mayotte, elle est maximale, de 3 à 4 % par an ; à La Réunion, elle est un peu moindre ; les Antilles ne sont plus dans une forte croissance démographique, mais il faut construire des logements résistant aux risques, notamment sismiques, et rénover le parc dégradé. Cela nécessite de concilier la production de logements, l'installation des activités économiques et la protection des espaces. Le ministère du logement prône des outils de planification pour maîtriser l'urbanisation et la consommation d'espaces tout en répondant aux besoins. Voilà tout l'enjeu des Schémas d'aménagement régionaux (SAR). Les SAR ont un statut différent d'un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité du territoire (SRADET) : ce sont des documents d'urbanisme prescriptifs, à l'instar du schéma directeur de la région Île-de-France. Pour des politiques raisonnées, il faut planifier et mettre en place des outils opérationnels comme l'ingénierie foncière.

La consommation d'espaces se double parfois d'un renouvellement insuffisant de zones déjà urbanisées. L'opération programmée d'amélioration de l'habitat de renouvellement urbain du centre de Pointe-à-Pitre a mis en évidence un taux de vacance de près de 15 % et 200 dents creuses. Il faut à la fois produire des logements et réinvestir les centres villes.

Le Conservatoire du littoral protège les espaces naturels de la bande littorale sous forte pression, notamment par des politiques d'acquisition et de préservation des mangroves. Ne négligeons pas l'enjeu du recul du trait de côte. Il frappera certains territoires d'outre-mer à un horizon largement supérieur aux 10 à 20 ans des outils de planification - SAR et PLU - ou aux 15 ans des projets de renouvellement urbain de l'Agence nationale pour le renouvellement urbain (ANRU). Ce recul interviendra d'ici 50 à 100 ans. Nous devons commencer à y réfléchir sérieusement, y compris dans des documents d'urbanisme. Les simulations de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre font état de projections préoccupantes de zones urbanisées qui seront demain inutilisables. Cet enjeu de modification du foncier à long terme, encore devant nous, est essentiel. Une proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, récemment déposée, introduit le concept de zones d'autorisation d'activités résilientes et temporaires ainsi que celui de bail réel littoral prenant en compte une temporalité des activités soumises au recul du trait de côte. Les enjeux financiers sont potentiellement importants.

Le ministère a une connaissance des marchés fonciers et immobiliers fortement lacunaire. En 2017, nous déploierons dans les DOM des outils de programmation pour le financement du logement social qui existent déjà en métropole : avec le ministère des outre-mer, nous étendrons les systèmes d'information Galion et Sisal aux DOM, pour une meilleure vision des coûts fonciers à l'intérieur des opérations de logement social.

Des outils fonciers opérationnels, essentiels, se mettent en place dans les différents DOM. Trois établissements publics fonciers locaux (EPFL) sont déjà implantés, même si certains sont encore récents et doivent monter en charge. L'EPFL de La Réunion a le plus fort volume d'activité. L'activité de ceux de Martinique et de Guadeloupe est beaucoup plus réduite. L'EPFL de La Réunion a réalisé, en 2015, 28,6 millions d'euros d'acquisitions - contre 35,8 millions d'euros en 2014 - alors que celui de la Martinique, en croissance, atteint 7,1 millions d'euros en 2015 - contre une activité quasi nulle en 2014. L'EPFL de Guadeloupe, créé en 2013, n'a pas encore d'activité importante.

Le décret et les conditions de création de l'EPFA de Mayotte sont en cours de finalisation. L'établissement public d'aménagement de Guyane (EPAG) existe depuis 20 ans, avec une cinquantaine d'opérations vivantes et 450 millions d'euros de plan d'affaires total. Nous soutenons le développement de cet acteur majeur via l'extension de ses missions dans le cadre du nouveau statut d'EPFA et la création d'une opération d'intérêt national (OIN). Le Conseil d'État est en train d'examiner les décrets pour l'OIN et la transformation de l'EPAG en EPFA.

Les situations des SAR sont contrastées : le SAR de Martinique est ancien, approuvé par le décret du 20 octobre 2005, avec une procédure de révision engagée puis abandonnée, sans visibilité depuis. Ce schéma vise à lutter contre le fort mitage, la consommation d'espaces et à adapter le territoire aux transitions en cours - développement des énergies renouvelables, confortement de l'armature urbaine, vieillissement de la population. Le SAR guadeloupéen, approuvé en 2011, visait à limiter l'étalement urbain et à structurer le développement multipolaire de la Guadeloupe, en reconnaissant des bassins de vie porteurs de projets de développement durable. Il structurera l'aménagement pour les prochaines années. Le SAR guyanais vient d'être approuvé le 6 juillet 2016 ; les communes doivent se l'approprier pour l'élaboration de leurs documents d'urbanisme. Le SAR de La Réunion, approuvé en 2011, est en cours de modification. Son armature est la plus solide avec un bon contrôle de l'urbanisation, bien que le territoire doive faire face à d'énormes enjeux de développement démographique, touristique et économique. Mayotte reste sur un plan d'aménagement et de développement durable antérieur à la départementalisation, dont la révision est engagée, avec des contraintes extrêmement fortes.

Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) existent dans les DOM, mais sont très différents de ceux de la métropole. En métropole, les SRADET ne sont pas prescriptifs et ont une taille plus importante ; les SCOT de l'Hexagone couvrent plusieurs intercommunalités et des bassins d'emplois qui s'élargissent, tandis que ceux d'outre-mer sont d'échelle plus réduite. La Réunion est couverte par quatre SCOT approuvés, la Martinique par trois, la Guyane et la Guadeloupe par un seul - sur quatre communes en Guadeloupe. La taille des SCOT dans les DOM ressemble plus à celle des PLU intercommunaux en métropole. Les documents d'urbanisme d'échelle plus fine - PLU et cartes communales - permettent d'assurer un fort taux de couverture des outre-mer mais ils sont aussi plus anciens, avec des plans d'occupation des sols (POS) en cours de révision et des PLU intercommunaux embryonnaires. Ces échelles d'intervention ont vocation à évoluer. La réforme des PLU de 2015 devrait améliorer la qualité des documents et mieux les adapter aux enjeux des territoires. Le décret sur les PLU de 2015 permettra d'avoir des zones dont le règlement n'est pas défini immédiatement ; des zones sans enjeux sur une partie du document d'urbanisme pourront rester soumises au règlement national d'urbanisme ; des règles d'orientation, d'aménagement et de programmation pourront ne pas être trop définies initialement afin que le projet puisse se développer.

Nous sommes face à un véritable enjeu d'élaboration de PLU de nouvelle génération pour les DOM, ce qui renvoie à la question de la présence inégale, selon les DOM, d'une ingénierie de qualité : en Guadeloupe, un seul bureau d'étude est habilité à produire des documents d'urbanisme ! À Mayotte, les PLU ont été faits un peu rapidement et sont souvent copiés-collés les uns sur les autres... Bref, l'État devra apporter son appui.

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