Les moteurs sont-ils garantis pour 80 heures ou un peu plus ?
Général André Lanata. - Une visite toutes les 80 heures représente un rythme insupportable pour les unités, voire impossible vu le nombre d'heures nécessaires pour les maintenances. L'industriel est pleinement conscient de cette situation. Le problème est donc devenu davantage celui de la disponibilité de la flotte. L'industriel signale qu'il a développé une solution intérimaire, qui va être mise en place d'ici au printemps 2017 et qui permettra, avant de disposer d'une solution définitive en cours de développement, de nous retrouver dans une situation gérable, ce qui n'est pas actuellement le cas.
Sur la question des C130-J, la France a décidé d'acheter quatre C130-J ; les raisons d'acquisition de C130-J neufs ont été exposées l'année dernière. L'Allemagne, faisant probablement le même parcours que nous, réfléchit à une acquisition similaire. Elle pense qu'au lieu d'acquérir la totalité de l'environnement nécessaire à l'exploitation de ses avions, il serait plus judicieux de les « co-localiser » avec les nôtres, de façon à profiter d'un environnement mutualisé pour exploiter ces avions. C'est l'intention initiale ; et il y a en effet, dans le contexte politique de l'Europe - celui de l'Europe de la défense -, une volonté politique d'avancer dans cette voie. Il reste deux questions, sur lesquelles nous travaillons avec les Allemands. D'une part, les conditions de cette mutualisation avec l'Allemagne : D'autre part, les conditions d'emploi : comment chaque nation peut-elle avoir recours à la capacité dans les conditions et au moment qu'elle souhaite ? C'est là une question de nature opérationnelle, et j'ai demandé un avis à l'état-major des armées sur cette question. C'est également une question politique et juridique.
Je note également que le domaine du transport aérien militaire est le domaine ou nous sommes allés le plus loin en matière de mutualisation avec le Commandement européen du transport aérien militaire (EATC), une mutualisation intelligente où nous partageons des droits de transport et de ravitaillement en vol tout en conservant le libre accès aux capacités pour des missions souveraines.
Le projet FOMEDEC est très important pour l'armée de l'air car il articule plusieurs dimensions du plan de transformation de l'armée de l'air et de la LPM, en lien avec la modernisation de la formation des pilotes de chasses. Premièrement, l'armée de l'air a besoin de moderniser la formation de ses pilotes de chasse. Aujourd'hui nous formons les futurs pilotes de Rafale, et nous ne pouvons pas utiliser pour y arriver le même outil que dans les années 80, période où l'Alpha-jet que nous utilisons encore est entré en service. Nous avons donc besoin de cette modernisation qui comprendra par exemple un système de simulation embarquée préfigurant le système d'armes qui équipe les avions modernes de type Rafale. Parallèlement, des économies seront réalisées sur le MCO aéronautique, pour atteindre les objectifs de la LPM de normes d'activités des équipages. Le coût d'exploitation de l'appareil susceptible d'être retenu dans le cadre de FOMEDEC est en effet très sensiblement inférieur à celui de l'Alpha Jet. Ce sont donc des économies substantielles sur l'entretien programmé des matériels qui pourront profiter à l'ensemble de nos activités, mais aussi des économies sur les coûts de personnel car, derrière le projet FOMEDEC, nous prévoyons la fermeture de l'activité Alphajet sur la base aérienne de Tours et l'augmentation de l'activité sur la base aérienne de Cognac.
En outre, avec le principe de la différenciation qui est inscrit dans la LPM, nous avons fait reposer une partie de l'activité des équipages de chasse sur FOMEDEC : 290 équipages sont prévus dans la LPM pour garantir la tenue de nos contrats opérationnels, 50 d'entre eux ont vocation à exercer une part de leur activité sur les appareils apportés par FOMEDEC. Il est donc très important pour l'équilibre organique de l'armée de l'air que ce programme entre en service le plus rapidement possible. Il garantira la rejointe du niveau d'activité permettant la pérennisation de nos savoir-faire opérationnels et le maintien d'un volume de pilotes entrainés suffisant pour assurer l'ensemble de nos missions opérationnelles. En effet, ces 50 équipages réaliseront 140 heures de vol par an sur ces nouveaux appareils, soit 7 000 heures de vol par an effectuées au travers du programme FOMEDEC, ce qui, rapporté aux 45 000 heures par an prévues au total pour l'activité chasse, est considérable.
L'entrée en service du programme a été retardée. Initialement, un partenariat public-privé était envisagé, mais le Ministère a abandonné cette idée qui n'apportait pas de gains financiers significatifs. Le Ministre a décidé de retenir l'option d'un leasing court, une forme nouvelle de contractualisation fondée sur un dialogue compétitif qui a donc pris un peu de temps à se mettre en place. Les résultats du dialogue compétitif sont entre les mains de la DGA. Dès lors que le prestataire retenu satisfera les exigences du cahier des charges, je serai satisfait. La question du calendrier est pour moi centrale.
En ce qui concerne les hélicoptères, le regroupement des flottes de Caracal est bien prévu dans l'actualisation de la loi de programmation militaire. La question est celle du calendrier et la discussion est en cours sur ce sujet, en particulier avec l'armée de terre et l'état-major des armées.
Nous sommes préoccupés par le problème du déni d'accès, et je le suis d'autant plus en tant qu'aviateur. Aucune opération aérienne, ni même aucune opération militaire quelle qu'elle soit, n'est possible sans la maîtrise de la troisième dimension. Certaines puissances développent des stratégies de contestation dans les espaces aériens en réponse probablement à la supériorité aérienne occidentale. Il est indispensable de poursuivre nos efforts pour conserver cette supériorité aérienne. Cette tendance concerne par exemple des systèmes sol-air performants qui sont par ailleurs cédés à des puissances régionales, compliquant la situation sur certains théâtres. Ce sont également des chasseurs de dernière génération qui concernent cette fois le domaine air-air. Le domaine cyber constitue également un point d'attention. Dans le domaine aérien, il est indispensable de pouvoir percer les défenses adverses pour « entrer » sur le théâtre d'opérations. Pour y parvenir, il faut commencer par savoir comment cette menace va évoluer à l'horizon 2030 - cette préoccupation concerne également la force nucléaire aéroportée - puis développer les technologies nous permettant de maintenir notre supériorité. Il faut travailler par exemple sur la discrétion, mais aussi sur les armements destinés à neutraliser les défenses. C'est le grand enjeu de la prochaine décennie car l'avenir de l'aviation de chasse et celui de la composante aéroportée de la dissuasion en dépendent.
La réponse ne pourra pas venir seulement des avions de combat : c'est tout le système de combat aérien qu'il est nécessaire de penser dans son ensemble. La réflexion doit articuler les drones, les systèmes de commandement, les échanges de données, la discrétion, les armements, en d'autres termes l'ensemble du système de combat aérien et non le seul vecteur ou une superposition de vecteurs. C'est cette réflexion qui permettra d'ailleurs probablement de desserrer la contrainte sur les vecteurs eux-mêmes. Il s'agit aussi de travailler sur les liens entre plusieurs plates-formes pour neutraliser les défenses ennemies.
Un des principaux facteurs de coût dans les systèmes de combat modernes, résulte de l'intégration d'un très grand nombre de fonctions. Je pense donc nécessaire d'étudier les façons de desserrer cette contrainte technologique et financière en réfléchissant par exemple à la coopération entre les plates-formes au sein du système de combat.
Ce qui m'amène à la question des drones, et notamment des drones endurants. Il faut évidemment avancer dans ce domaine avec le projet du MALE européen. Cette affaire est stratégique dès lors qu'on raisonne en termes de connectivité entre les différentes plates-formes qui disposent d'un certain niveau de permanence. Cela dépasse la question des drones endurants, même si je suis sensible à la possibilité de disposer de moyens stratosphériques disposant d'une permanence encore accrue. J'estime que cette question va au-delà de la question de la surveillance : en raison de leur permanence dans le système de combat aérien au-dessus des théâtres d'opérations, en raison aussi de leur capacité naturelle de transmission de l'information puisqu'il s'agit de moyens de surveillance, ces plates-formes sont susceptibles d'organiser les réseaux et les flux d'information. C'est pourquoi j'estime nécessaire de disposer de solutions nationales ou européennes, notre capacité ne pouvant pas reposer uniquement sur un achat sur étagère aux États-Unis. Nous rencontrerons peut-être des difficultés de partage industriel, mais s'il y a une volonté, un chemin sera trouvé.
Ceci rejoint la réflexion sur les AWACS : faut-il les remplacer par d'autres avions ou ne va-t-on pas entrer dans un système de réseau ?
Général André Lanata.- Cela fait effectivement partie de la réflexion, même si leur renouvellement ne doit pas avoir lieu avant 2030. Il y a aussi la question du « segment » que nous aurons au sol pour soulager les plates-formes aériennes, ce qui sera source d'économies.
Il y a un gros chantier devant nous, mais avec des pistes passionnantes à explorer : la connectivité, des réflexions sur les architectures autour des pions permanents de l'espace aérien. C'est dans ce cadre d'un système de combat organisé autour de la connectivité entre les différents éléments du système de combat aérien qu'il faut se préoccuper de la robustesse de notre segment spatial.
J'en viens à la question de l'export. Je dirai en substance qu'il n'y a pas d'autre solution que de réussir le soutien à l'exportation. C'est important pour nous - il en va de notre crédibilité - c'est important pour notre industrie de défense, comme c'est important pour les clients, je dirai même les partenaires. Et je souhaite qu'il y ait encore d'autres succès à l'export ! Nous ne demandons qu'à l'accompagner ; nous en tirons un réel bénéfice, tant politique qu'opérationnel. Il s'agit donc de considérer la charge significative liée au soutien à l'export comme une nouvelle forme de mission à intégrer dans nos contrats opérationnels.
En ce qui concerne les capacités de commandement et de contrôle, nous rencontrons actuellement des difficultés avec le programme ACCS qui est en retard par rapport à ce qui était prévu, ce qui gêne considérablement la transformation de l'armée de l'air dans ce domaine. Il faut noter l'importance de ce programme réalisé en commun dans l'OTAN. Il permet l'interopérabilité entre les pays alliés au sein de l'OTAN en ce qui concerne le traitement des informations de défense aérienne. C'est donc capital. Je note qu'il s'agit là aussi d'un bel exemple de coopération et de mutualisation pour assurer la défense de l'Europe. Ce programme permet également le commandement et le contrôle, c'est-à-dire la planification et la conduite des opérations aériennes. Chaque nation reste libre et responsable des actions à conduire sur son propre territoire pour compléter ce système de commandement avec des effecteurs (avions de chasse, systèmes sol-air) et des capteurs (moyens de détection radar par exemple). A cet égard je souligne l'importance pour la France de renforcer nos capacités de détection. Il nous faut les moderniser, en effet ; c'est ce que nous faisons, notamment, avec les radars de nouvelle génération prévus dans le programme SCCOA. Notre effort en la matière doit également porter sur la détection des mini-drones, et la basse altitude face aux menaces atypiques.
Sur le sujet du personnel, je le répète : la ressource humaine est la première préoccupation de l'armée de l'air. Les spécialités actuellement sous tension, voire déficitaires, sont celles des fusiliers commandos de l'air, pour la protection de nos emprises ; des mécaniciens aéronautiques, qui sont aujourd'hui particulièrement sollicités, pour la maintenance de nos avions. Cette spécialité est courtisée par le secteur industriel civil dans lequel elle est également déficitaire pour des raisons symétriques à celles de l'armée de l'air ; Sont également sous tension les spécialités touchant au domaine du renseignement - officiers de renseignement, interprétateurs photos ; enfin, des spécialistes des systèmes d'information et de communication, ainsi que les contrôleurs aériens. Mais, comme je l'ai indiqué, notre problème est moins celui du recrutement que celui de la fidélisation du personnel. Nous nous employons à la favoriser, au moyen des outils à notre disposition : primes spécifiques, trajectoires de carrières, valorisation des parcours, etc.
La question de notre capacité de mobilisation rejoint celle du moral. Le moral est bon dans l'armée de l'air. Il est toutefois contrasté. Il est très bon en opérations : le personnel évoluant dans un environnement opérationnel très exigeant mais également très motivant, d'autant que nous produisons l'effort pour que les unités combattantes disposent en opérations des moyens de réaliser leurs missions. Sur les bases aériennes, où se cumulent les contraintes du soutien de l'avant, la tension sur les ressources notamment humaines, et les réorganisations en cours qui sont une source d'interrogations de la part du personnel, le moral est en baisse. Mais, globalement, ce moral est bon, et je le redis : les aviateurs sont enthousiastes dans l'exercice de leur mission et ils croient en celle-ci.
En réponse à la question concernant la Lituanie : notre détachement dans ce pays est une opération extérieure. Ce détachement est composé de 105 militaires de l'armée de l'air et de quatre Mirage 2000-5, pour un surcoût d'environ 10 millions d'euros. Ce surcoût, résultant d'une exploitation hors de nos bases aériennes, devra être compensé au titre des OPEX selon les principes habituels. Cela dit, depuis le 31 août 2016, le détachement a déjà effectué 16 décollages sur alerte, alors que le détachement précédent n'en avait effectué que 4 au total. Ce constat, somme toute assez exceptionnel, reflète bien la tension croissante face à la Russie.
S'agissant des munitions, je laisserai le soin de répondre au Général Jean Rondel, sous-chef activité de l'état-major de l'armée de l'air, ici présent à mes côtés.
Général Jean Rondel, sous-chef activité de l'état-major de l'armée de l'air. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, sur ce sujet des munitions il convient de distinguer deux problématiques : celle du corps de bombe et celle du kit de guidage.
Les mesures sur les corps de bombes ont été prises dès début 2015, en faisant appel à un certain nombre d'alliés occidentaux pour pouvoir puiser dans leurs stocks, notamment les Canadiens qui avaient des stocks sur le théâtre concerné, et des Européens qui nous ont évité de descendre à des niveaux trop bas de stocks. Puis nous avons effectué des achats à l'étranger, aux États-Unis, puisque nous n'avons plus de capacités de production en France. Nous avons ainsi corrigé un niveau de stocks qui nous paraissait trop bas.
En ce qui concerne les kits de guidage, des mesures ont été prises également dès début 2015, en diversifiant les sources d'approvisionnement. Nous avons des kits de guidages laser achetés sur étagère aux États-Unis et des kits de guidage de l'armement air-sol modulaire, dans ses différentes versions, que nous avons commandés à l'industriel Sagem. Aujourd'hui, les kits de guidage américains sont livrés, certains directement sur théâtres d'opérations afin de ne pas atteindre des seuils critiques de réserves. Mais ces kits de guidages sont principalement adaptés au Mirage 2000. Il nous faut maintenant faire le même effort sur les kits de guidage air-sol modulaire pour le Rafale. L'enjeu est clairement chez l'industriel qui s'est vu notifier des commandes dès l'été 2015, une autre commande devrait être notifiée par la direction générale de l'armement d'ici la fin de l'année. L'enjeu est clairement celui de la montée en cadence et de l'augmentation de la capacité de production de l'industriel afin que Sagem puisse nous fournir les kits d'armement. Nous serons vigilants sur ce sujet, sachant que nos stocks nous permettent encore de réagir mais que nous ne souhaitons pas qu'ils atteignent des seuils critiques.
Nous veillons également à la remontée des stocks « objectif global » qui sont les stocks qui doivent être détenus pour tenir les contrats opérationnels qui sont les nôtres. Ces stocks avaient été calculés un peu bas dans les derniers arbitrages de la LPM, ils ont été réévalués dans le cadre des contrats opérationnels et de la surintensité des engagements que nous connaissons. Un effort budgétaire est fourni pour alimenter ces stocks et pour être cohérent avec nos contrats opérationnels.
Général André Lanata.- La question du niveau de nos stocks de munitions a été examinée dans le cadre du conseil de défense d'avril dernier et a bénéficié d'un arbitrage favorable. Il y a deux questions distinctes comme cela vient de vous être expliqué : le recomplètement des munitions que nous consommons en opérations et le rehaussement du niveau de ces stocks afin de pouvoir mieux gérer les aléas de leur recomplètement, compte tenu des consommations très importantes que nous constatons. Ces dispositions ont été traduites dans le budget 2017. Il faudra s'assurer qu'elles le soient les années suivantes dans la mesure où elles ne sont pas traduites dans une loi de programmation. Une autre question de fond qui se pose dans ce domaine, est la capacité de notre industrie à remonter en puissance. Pour soutenir un effort de guerre, il faut une industrie de guerre.