Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée pour vous présenter notamment le budget de la mission 110 qui relève de la responsabilité du Trésor.
Comme vous le savez, la Direction générale du Trésor a la charge de la partie gérée par le ministère des Finances du budget de l'aide au développement française, qui en est l'un des deux piliers avec celle pilotée par le ministère des Affaires étrangères. Il s'agit du programme 110 « Aide économique et financière au développement », ainsi que des comptes spéciaux 851, 852 et 853, retraçant notamment les annulations de dettes ou les aides projets devant bénéficier à des entreprises françaises. Par ailleurs, en lien avec le ministère des Affaires étrangères et la Direction du Budget, nous gérons le Fonds de solidarité pour le développement (FSD), alimenté par la taxe sur les billets d'avion et par une partie de la taxe sur les transactions financières (TTF).
Avant de répondre à vos questions, j'articulerai mon propos liminaire en trois temps : d'une part, en rappelant brièvement le contexte, au niveau international et français, dans lequel s'inscrit aujourd'hui la politique française d'aide au développement ; d'autre part, en vous présentant les grands axes du projet de budget qui vous est présenté cette année et les principes qui ont guidé son élaboration, avant d'évoquer quelques sujets de débat potentiels.
Tout d'abord, le contexte international demeure complexe pour les économies en développement. Les économies émergentes, qui tiraient la réduction des inégalités et la croissance au niveau mondial, connaissent un ralentissement. Cela est vrai notamment au Brésil sur la période récente, alors que l'Inde connaît un niveau de croissance continu. L'Afrique, l'une de nos zones d'intérêt prioritaire, enregistre des taux de croissance plus faibles que par le passé, en lien notamment avec la chute des prix des matières premières mais aussi avec la situation sécuritaire dans plusieurs grandes zones. Des inégalités fortes persistent, en particulier sur le continent africain, qui continue de concentrer la moitié des quelque 800 millions de personnes vivant sous le seuil de l'extrême pauvreté selon la Banque mondiale. Toutes ces évolutions viennent rappeler l'importance de notre intervention en appui aux économies en développement.
Deuxième élément de nature plus financière : l'année 2017 sera celle de la reconstitution de plusieurs grands fonds gérés par les grandes institutions multilatérales de développement, en particulier l'Association internationale de développement (AID) que vous avez mentionnée, et, pour des montants plus limités, le Fonds africain de développement (FAD). L'AID est un outil particulièrement important : instrument concessionnel de la Banque mondiale, elle concentre plus de la moitié de son activité en Afrique. Notre cinquième rang parmi les donateurs nous permet ainsi d'être automatiquement membre de son conseil d'administration. Cela nous permet d'orienter la stratégie de l'organisation et les actions qu'elle conduit et de démultiplier notre action. L'atout principal de notre participation à l'AID réside dans son effet de levier : en nous associant à d'autres bailleurs, nous sommes plus forts sur les priorités que nous partageons, pour mobiliser rapidement des moyens importants face aux crises, comme celle au Sahel, et renforcer l'intégration régionale. Cela, nous ne pouvons pas le faire seuls. Enfin, nous comptons optimiser notre contribution à l'AID sur le plan budgétaire, en en réalisant une partie sous forme de prêt, afin de disposer d'un effet de levier sur notre contribution. Une telle démarche est innovante.
Troisième élément de contexte : les impacts des crises humanitaires majeures qui frappent actuellement plusieurs grandes régions du monde, autour de la Syrie et dans la région du Sahel en particulier, auxquels nous devons apporter des réponses. En effet, ces crises appellent des réponses d'urgence, à la fois sur place dans les zones concernées, et en France, via l'aide aux réfugiés reçus sur notre territoire. Une part de ces crédits, engagés par le ministère de l'Intérieur en faveur des réfugiés, entre, néanmoins, en revanche, dans les dépenses d'APD. Ensuite, ces crises rappellent l'importance de l'intervention de fond, dans la durée, dans les pays touchés, en faveur du développement et de la sécurité, qui bien souvent vont de pair. Dans ce contexte international, la France a pris des engagements significatifs d'augmentation de son aide aux économies en développement au cours des prochaines années, qui vont structurer en particulier l'action de l'Agence française de développement (AFD) et sa trajectoire financière. Nous travaillons à la mise en oeuvre des annonces faites en 2015 par le Président de la République, d'une hausse de 4 milliards d'euros des interventions en faveur du développement d'ici 2020, dont deux milliards d'euros dans le domaine du climat. Cela implique en particulier la forte montée en puissance de l'Agence française de développement, qui nécessite une recapitalisation de l'établissement, à hauteur de 2,4 milliards d'euros d'ici la fin de l'année. Si cette progression marque l'engagement fort de la France en faveur du développement, elle va aussi soulever des problèmes difficiles : en particulier, comment mettre en place cette trajectoire tout en s'assurant que l'aide française ne se disperse pas et reste concentrée sur les pays prioritaires en termes de développement ? C'est un objectif à nos yeux essentiel que de conserver une logique de ciblage sur les pays les plus pauvres, si nous voulons que l'aide française puisse avoir une valeur ajoutée et faire la différence. Or, les pressions sont fortes pour relâcher cet effort de concentration. Il est important à mes yeux d'éviter une telle logique de développement du « chiffre d'affaires », consistant à s'étendre au-delà des cibles prioritaires. Intervenir en Chine ou en Indonésie, est-ce encore de l'aide au développement ? C'est un débat qu'il faudra avoir.
Plusieurs autres évolutions sont en cours concernant l'AFD, en particulier le rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations, qui doit permettre d'accompagner sa croissance, de renforcer son ancrage territorial et d'appuyer en retour le groupe CDC à l'international. Ce rapprochement sera mis en oeuvre par une convention entre les deux établissements, qui devrait être signée d'ici la fin de l'année, et conduire à la dotation d'un fonds, dont la gestion serait confiée à l'AFD. Pour mieux répondre aux situations de crise et d'urgence, le président de la République a annoncé la création d'un nouvel instrument géré par l'AFD, qui sera destiné à mieux répondre aux vulnérabilités et aux crises. Si les paramètres exacts sont encore en cours d'élaboration, il devrait recevoir un montant de cent millions d'euros par an. Enfin, le Gouvernement a comme objectif de tenir un Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) d'ici la fin de l'année ; il s'agira du premier depuis 2013. Le Président de la République l'a annoncé dans son discours devant la conférence des ambassadeurs en août. Ce comité permettra d'actualiser les grandes orientations de notre politique de développement et d'acter certaines évolutions, comme la création de cette nouvelle facilité.
Je voudrais maintenant revenir brièvement sur quelques faits marquants cette année pour notre programme et notre mission APD. Tout d'abord, le budget de l'APD augmente, dans un contexte budgétaire pourtant fortement contraint par l'effort nécessaire de redressement de nos finances publiques. Ainsi, dans le projet de loi de finances, avec 2,455 milliards d'euros, les crédits de paiement de la mission sont en hausse de 6 %, hors titre 2. Concernant le programme 110, la progression est de 5 % par rapport à la loi de finances initiale de l'an dernier, avec près d'une hausse de 990 millions d'euros ; les crédits, comme vous l'avez rappelé Monsieur le Premier ministre, sont en revanche stables par rapport au projet de loi de finances de l'an passé. C'est un réel effort dans le contexte actuel. Sans préjuger de la conclusion de la procédure parlementaire, des ressources supplémentaires ont été votées à l'Assemblée nationale et visent à ramener le budget de l'aide au développement à son niveau du début de la mandature, voire légèrement au-delà. Le Gouvernement a accepté le principe d'un retour au niveau de 2012. Le canal envisagé à ce stade pour ces ressources supplémentaires fera encore l'objet de discussions : l'Assemblée a voté leur affectation directe à l'AFD, alors qu'une affectation au FSD, qui a été justement créé pour recevoir ces recettes de taxe sur les transactions financières, nous paraîtrait plus adaptée et éviterait de multiplier les circuits de financement de l'aide. L'augmentation du taux de la TTF de 0,2 à 0,3 %, votée par les députés, permettra de financer ce supplément. Enfin, les autorisations d'engagement que nous demandons sont en très forte augmentation, et sont de l'ordre de 2,2 milliards d'euros au sein du programme 110, du fait de la reconstitution de plusieurs fonds multilatéraux que j'ai mentionnée il y a un instant.
Plusieurs orientations ont guidé l'élaboration du projet de budget : d'une part, le maintien du rang de la France dans les institutions financières internationales, qui nous permet d'y peser et d'y faire prendre en compte nos priorités. Il est nécessaire d'y contribuer à une hauteur suffisante ; c'est ce que doivent permettre nos contributions aux grands fonds multilatéraux en cours de reconstitution. Des discussions sont actuellement encore en cours à la fois au FAD et à l'AID sur la reconstitution de ces fonds. D'autre part, la priorité constante à l'Afrique subsaharienne, qui reste notre partenaire privilégié dans le monde en développement, avec des enjeux essentiels compte tenu à la fois de nos liens historiques avec elle et de ses besoins forts en matière de développement. Enfin, l'intégration dans nos actions et nos outils des objectifs de développement durable (ODD) et de la lutte contre le changement climatique.
Ensuite, au cours de la discussion parlementaire qui a débuté, un débat s'est engagé sur la taxe sur les transactions financières (TTF), qui alimente le notamment Fonds de solidarité pour le développement (FSD). Le sujet a été fortement débattu et une hausse du taux a finalement été votée par l'Assemblée nationale, de 0,2 % à 0,3 %. La stabilité de l'assiette est préoccupante : en cas de hausse du taux, les expériences étrangères montrent que l'assiette peut baisser nettement, comme cela a été vu en Belgique. C'est l'une des raisons qui nous conduit à pousser le projet de TTF au niveau européen. Même si tous les membres de l'Union européenne ne participent pas au projet qui relève de la coopération renforcée, c'est le cas de plusieurs grands pays, ce qui permet de limiter les effets de déplacement de la base fiscale. Je pense qu'il nous faut dans ce débat garder plusieurs objectifs en tête : celui du financement du développement est essentiel. Dans le même temps, il est très important, en particulier dans le contexte du Brexit, de préserver l'attractivité de la place de Paris, qui est aussi un élément de compétitivité pour le financement des entreprises françaises.
Je voulais également mentionner que l'Etat a engagé plusieurs actions visant à une plus grande transparence des dépenses d'APD, à la fois vis-à-vis du Parlement et, plus largement, des citoyens et de la société civile. Une programmation des dépenses du Fonds de solidarité pour le développement sera désormais présentée chaque année dans le Document de politique transversale (DPT) « aide au développement ». Elle sera ensuite actualisée par le comité de pilotage du FSD, composé notamment de la Direction générale du Trésor et du Ministère des affaires étrangères et du développement international.
Enfin, je souhaiterais évoquer quelques sujets sur lesquels des débats s'engageront sans doute au cours de la discussion budgétaire. Je rappellerai d'abord le caractère très contraint des dépenses du programme 110, qui reste fortement conditionné par des engagements internationaux de la France. Tout particulièrement, les crédits de paiement sont souvent la traduction d'engagements antérieurs que la France a souscrits et auxquels elle ne peut se soustraire. C'est par exemple le cas des bonifications de prêt versées à l'AFD. Ce sont donc des crédits dus, indispensables à l'AFD pour honorer ses engagements vis-à-vis des pays tiers ; ils ne peuvent donc pas être diminués ou annulés sans poser de graves problèmes de gestion et de respect des contrats passés par l'AFD avec les Etats étrangers.
J'évoquerai ensuite le débat récurrent qui existe sur la place respective des prêts et des dons dans l'aide au développement française. Ce débat est régulièrement porté notamment par les ONG, qui considèrent souvent que la part des dons devrait être augmentée afin de cibler davantage les interventions sur les pays les moins avancés. Le programme 110, avec des aides budgétaires globales ou encore des bonifications de prêts, contient ainsi des sommes cédées par l'Etat qui donc bien des dons. Et, clairement, si les moyens budgétaires dont nous disposons étaient plus élevés, nous serions en mesure d'en réaliser davantage. Nous considérons que le prêt est également un outil vertueux dans l'aide au développement, ce que reconnaissent la plupart des économistes : il permet de financer des projets de plus grande ampleur, notamment d'infrastructures, qui ne pourraient que très difficilement être financés uniquement par dons. Le prêt permet de maximiser l'impact des interventions grâce à un effet de levier et notre rôle consiste à tout faire pour optimiser l'utilisation de nos ressources et faire jouer cet effet de levier en faveur du développement. C'est pourquoi l'usage du prêt concessionnel constitue le principal outil de l'Agence française de développement (AFD). Le Ministère de l'Economie et des Finances est particulièrement attentif à ce que la concessionnalité des prêts octroyés par l'AFD soit ajustée le plus finement possible : c'est-à-dire en minimisant l'effort budgétaire pour l'Etat tout en veillant au respect de la soutenabilité de la dette des pays emprunteurs et en veillant à ce que les conditions de prêt soient adaptées aux besoins et à la capacité d'emprunt des pays. Nous sommes vigilants sur le désendettement des pays dans le cadre du Club de Paris ou du G20 ; il serait dommageable que les pays reviennent dans une situation d'endettement non soutenable. C'est un sujet pour lequel il faut mobiliser tous nos partenaires, comme la Chine dont la politique de prêts est extrêmement active, afin que tous s'assurent de la soutenabilité des pays récipiendaires. Aujourd'hui, deux-tiers des bonifications allouées par l'Etat à l'AFD portent sur des prêts accordés à l'Afrique. Cette politique correspond aux préconisations des Nations-Unies, d'optimiser l'utilisation des ressources existantes, de différencier les outils en fonction des besoins et de créer les bonnes incitations économiques en faveur d'un développement durable.
Enfin, j'évoquerai l'évolution en cours du Fonds de solidarité pour le développement qui atteint désormais 738 millions d'euros et est désormais près de 40 fois plus important que lors de sa création en 2006. Ce qui était initialement un outil de financement additionnel, alimenté par des taxes affectées, est devenu une composante parmi d'autres du budget de l'APD française, tendant à fonctionner en vase communicant avec les programmes budgétaires, lorsque l'Etat n'était pas en mesure d'accroître les financements totaux prévus pour la politique de développement. Une telle situation en rendait la gestion complexe, en raison de la coexistence de plusieurs circuits de financement du développement qu'elle induisait. C'est pourquoi une réforme du FSD a été engagée, consistant, au-delà du sujet du montant de ses ressources que j'ai évoqué, à viser plus de programmation et de transparence sur ses dépenses en amont. Un décret doit être publié dans les prochains jours et préciser la programmation prévisionnelle du Document de politique transversale (DPT) accompagnant le projet de loi de finances, tout en établissant, en début d'année, un échéancier prévisionnel des dépenses. Nous sommes en train de modifier le cadre réglementaire afin d'assurer ces évolutions qui tiennent compte de l'impact du FSD dans le budget de l'aide publique au développement.
En conclusion, je rappellerais que nous restons très attachés à la gestion optimale des fonds qui nous sont confiés, en faisant jouer au maximum l'effet de levier, via les prêts concessionnels ou encore la participation à des organisations multilatérales. Nous sommes aussi mobilisés sur les autres chantiers qui doivent permettre aux économies en développement de mobiliser leurs propres ressources pour financer leur développement. L'APD ne pourra jamais suffire et il faut trouver des ressources endogènes, à l'instar des ressources fiscales dans le cadre de la « mobilisation des ressources domestiques » et les chantiers G20 de lutte contre l'érosion des bases fiscales, ou encore du développement des marchés obligataires en monnaie locale ; ce dernier étant un axe d'intervention privilégié par l'AFD.
En outre, les transferts de fonds des personnes, dans un contexte de renforcement des règles de lutte contre le financement du terrorisme ou le blanchiment d'argent, deviennent de plus en plus malaisés. C'est là un sujet débattu dans le cadre du Forum de stabilité financière ou du G20. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.