Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me recevoir aujourd'hui dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances 2017, qui se situe à mi-chemin de l'exécution de la LPM 2014-2019. Je commencerai par dresser un bilan partiel, à ce jour, de l'exécution du budget pour l'année 2016. Ensuite, je détaillerai le projet de loi de finances 2017 pour ce qui concerne le programme 146 « équipements des forces » et partiellement le programme 144 pour la partie relative aux études amont conduites par la direction générale de l'armement (DGA).
En ce qui concerne l'exécution budgétaire 2016, sur le programme 146, les besoins de paiements actualisés sont estimés à environ 11,5 milliards d'euros. Les ressources prévisionnelles en crédits de paiements s'établissent, quant à elles, à 10,5 milliards d'euros constitués de 9 953 millions d'euros très exactement de crédits budgétaires initiaux, réserve levée, 592 millions d'euros de reports de crédits de 2015 sur 2016, 73 millions d'euros de prévisions de ressources extrabudgétaires liées aux fonds de concours et à l'attribution de produits, mais une diminution de 141 millions d'euros par des transferts vers d'autres programmes de la mission défense incluant notamment 15 millions d'euros nécessaires au financement de travaux urgents sur la soufflerie S1 de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), à Modane, qui est un outil stratégique pour les besoins de notre défense.
Le niveau d'engagement prévu à la fin d'année est de 10,6 milliards d'euros. Les programmes à effet majeur représentent 50 % des besoins d'engagement. Il est à noter que le niveau d'engagement en 2016 sera inférieur au besoin de paiement car les principaux engagements ont été réalisés dans la première partie de la LPM. En effet, à la fin de l'année 2016, soit à mi-chemin de l'exécution de la LPM, 80 % des programmes à effet majeur qu'il était prévu de lancer sur la période de la LPM l'auront effectivement été.
Comme chaque année, le risque principal de la gestion du programme 146 est l'incertitude du devenir des crédits gelés. La réserve de précaution du programme 146 s'élève pour 2016 à un peu moins de 800 millions d'euros (796 millions d'euros), mais le gel ne se limite pas à cette réserve. En effet, 590 millions d'euros de crédits de paiements ouverts par la LFR de décembre 2015 ont été reportés en 2016 sur décision de la direction du budget, puis gelés au printemps. Par ailleurs, nous enregistrons un « surgel » supplémentaire de 470 millions d'euros de crédits de paiements, en 2016, au titre de la contribution de la mission « Défense » à un prélèvement global sur tous les ministères pour le financement de projets en faveur de l'emploi. Au total, les crédits gelés sur le programme 146 s'élèvent donc à près de 1,9 milliard d'euros (1 858 millions d'euros exactement), soit environ 18 % de la ressource.
La valeur du report de charge sur le programme 146 (sur le périmètre conventionnel incluant les dépenses obligatoires) sera directement liée aux décisions relatives à ces crédits gelés. Si tous les gels sont levés, le report de charge en 2016 sera de 1,3 milliard d'euros. A l'inverse, si tous les crédits gelés sont annulés ou reportés, le report de charge du programme 146 pourrait approcher 3,2 milliards d'euros, ce qui compromettrait l'équilibre de la LPM sans doute de manière irrémédiable.
Je rappelle qu'il a été prévu dans la LPM et ses actualisations successives que ce report de charge soit contenu à 2,8 milliards d'euros d'ici fin 2019. Cela n'est tenable, compte tenu des besoins de paiements en augmentation prévus en 2018 et 2019, que si la totalité des crédits actuellement gelés peuvent être consommés.
Par ailleurs, le niveau sans précédent de gel de crédits que subit le programme 146 a conduit à la rupture de paiements précoce, dès la semaine dernière, comme je l'ai annoncé à l'Assemblée nationale le 12 octobre dernier.
L'exécution des études amont au titre du programme 144 sera, quant à elle, conforme, en engagements et en paiements, aux objectifs de la LPM (si la réserve d'un montant de 65 millions d'euros est levée), à savoir : 681 millions d'euros d'engagements, 708 millions d'euros de paiements, dont 50 millions d'euros au profit du dispositif RAPID (« régime d'appui pour l'innovation duale »), destinés, comme vous le savez, aux petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) innovantes.
Les principales études lancées en 2016 portent sur la poursuite des études relatives à la préparation du renouvellement de la composante océanique stratégique (missiles balistiques et SNLE), la réalisation d'une nouvelle campagne d'essais extrêmement riche en résultats du démonstrateur Neuron, qui est un drone de combat non piloté, les traitements logiciels innovants pour autodirecteurs à antenne active. Parmi les résultats d'études marquantes de l'année 2016, je citerai la fin de la phase de faisabilité du futur drone aérien de combat (FCAS DP) avec les Britanniques - nous réfléchissons avec Harriett Baldwin à un nouveau contrat pour la suite du projet dès 2017 ; la validation en environnement représentatif d'un gravimètre à atomes froids pour sous-marins ; et la démonstration en environnement opérationnel d'une tête militaire à effet collatéraux réduits.
Toujours sur la part des études amont du programme 144, le report de charge prévisionnel (dépenses obligatoires comprises) devrait être de l'ordre de 150 millions d'euros à la fin de 2016.
Parmi les principales commandes de l'année, je citerai : dans le domaine de la surveillance et du renseignement, un 4e système de drones Reaper (prévu en fin d'année), 2 systèmes de drones tactiques (SDT) Patroller, 2 avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) ; dans le domaine naval, les 3e et 4e bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH), 48 missiles ASTER destinés aux frégates multi-missions de défense aérienne (FREMM DA) ; dans le domaine terrestre, la commande du nouveau fusil d'assaut dit « AIF » (« arme individuelle future »), qui est un fusil Heckler & Koch (HK), à l'issue d'une procédure conduite dans le strict respect des directives européennes, telles qu'elles ont été transposées dans le droit français.
Les livraisons importantes en 2016, concernent un 2e système de drone Reaper en fin d'année, un lot de missiles M51, dont la version M51.2 vient d'être mise en service opérationnel par le ministre, 3 avions A400 M - le troisième devrait être livré en toute fin d'année si Airbus respecte l'engagement pris par son dirigeant principal Tom Enders vis-à-vis du ministre -, 6 hélicoptères NH90 (2 en version navale et 4 en version terrestre) et 5 hélicoptères TIGRE HAD, enfin 1 frégate FREMM.
À ce propos, j'observe un retour très positif de la marine concernant la FREMM, notamment au niveau de ses performances en acoustique sous-marine, qui nous place aux côtés des Américains dans la « première division mondiale » en ce domaine.
En 2016, plusieurs urgences opérations ont été lancées pour un montant de 49 millions d'euros. Elles concernent, entre autres, des corps de bombes de 250 kg, le système Auxylium qui a été déployé à l'occasion de l'Euro de football, des robots de reconnaissance subaquatique, des systèmes projetables de cyberdétection. D'autres commandes, à hauteur de 30 millions d'euros (ce qui portera le total à près de 80 millions d'euros) devraient être passées d'ici la fin de l'année dont des postes radios, un système SATCOM sur les C160 C3ISTAR, un système de détection et de leurrage de mines. Depuis plusieurs années, le montant des urgences opérations reste inférieur à 100 millions d'euros. Je constate que ce dispositif fonctionne bien et qu'il est extrêmement bien régulé en lien avec l'état-major des armées (EMA).
Les prises de commande françaises d'armement ont atteint en 2015 le montant historique de 16,9 milliards d'euros. Il s'agit là d'un changement d'échelle radical, dans la mesure où ce montant représente plus du double du bilan 2014 - qui constituait déjà un bon millésime -, ce qui permet à la France de consolider sa position dans le peloton de tête au niveau mondial.
La région du Proche et du Moyen-Orient a représenté les trois quarts des prises de commande, tandis que le secteur aéronautique (incluant les formations et matériels associés) a engrangé, en 2015, plus de 60 % du montant total des prises de commande. Au-delà du secteur aéronautique, le succès à l'export du Rafale a profité au secteur des missiles qui totalise par ailleurs 20 % des prises de commandes. Autre secteur en réussite en 2015, le naval qui a représenté près de 10 % des commandes enregistrées, le principal contrat de ce secteur concernant la vente d'une FREMM à l'Égypte.
En 2016, plusieurs contrats d'envergure ont d'ores et déjà été conclus, notamment avec l'Égypte (un satellite de communications pour 600 millions d'euros), le Koweït (hélicoptères Caracal, pour environ un milliard d'euros ; ce dernier contrat n'est pas encore entré en vigueur) et, naturellement, l'Inde, avec la commande tout récente de 36 avions Rafale et des armements associés, pour un montant total de 8 milliards d'euros environ. Par ailleurs, le choix de DCNS en avril dernier comme partenaire privilégié pour la conception des 12 futurs sous-marins australiens face à des concurrents sérieux (japonais et allemand) est de très bon augure. Il consacre l'excellence de l'offre industrielle française portée par une « équipe France » soudée.
Ces résultats sont très bons, ce qui pose problème en termes d'effectifs pour effectuer les prestations étatiques de suivi de l'exécution de contrats, prestations qui peuvent être dans certains cas extrêmement proches de celles qu'assure la DGA pour les acquisitions nationales.
En ce qui concerne les effectifs, en 2015 et 2016 les décisions prises par le Président de la République suite aux attentats ont conduit à alléger de 86 les déflations d'effectifs de la DGA, celles-ci s'établissant à 130 sur ces deux années. Ainsi la DGA arrivera fin 2016 à un effectif global d'environ 9 600 équivalents temps plein (ETP).
La masse salariale associée de la DGA est de l'ordre de 740 millions d'euros. L'effectif de la DGA est constitué à plus de 50 % d'agents de niveau 1, principalement des ingénieurs, et l'objectif est de 56 % à la fin de la LPM, ce qui fait résolument de la DGA une société d'ingénierie. Cela est l'aboutissement d'un processus qui a vu la DGA se séparer progressivement de ses activités industrielles : GIAT industries en premier, puis DCNS et le Service industriel de l'aéronautique (SIAé). Aujourd'hui, la DGA se concentre sur les travaux de maîtrise d'ouvrage et d'ingénierie.
Venons-en au projet de loi de finances 2017.
Les besoins de paiements s'établissent à 10,36 milliards d'euros (hors report de charge de l'année 2016). Les ressources en crédits de paiement prévues pour le programme 146 en 2017 s'établissent, quant à elles, à 10,1 milliards d'euros. Ces ressources se répartissent entre des crédits budgétaires, à hauteur de 10 051 millions d'euros et des prévisions de ressources extrabudgétaires (fonds de concours, attribution de produits), à hauteur de 74 millions d'euros. Sauf aléa budgétaire, en comparant le besoin de paiements aux ressources disponibles pour l'année 2017, le report de charge à fin 2017 devrait être dégradé d'environ 200 millions d'euros.
Les besoins d'engagements s'établissent à 11,6 milliards d'euros. Ce niveau d'engagement, en hausse par rapport à l'an dernier, s'explique par des commandes de « gros » équipements, à savoir la commande d'un sous-marin Barracuda, la commande de véhicules Jaguar et Griffon, l'acquisition de véhicules légers tactiques polyvalents (VLTP) et la commande de la préparation du segment sol Syracuse IV.
Concernant le programme 144, les ressources consacrées aux études amont représenteront 857 millions d'euros d'engagements et 720 millions d'euros de paiements. 2017 se caractérise par une forte hausse du niveau d'engagement pour les études amont, due au lancement de la phase de poursuite du projet de drone de combat FCAS. Ce niveau d'engagement reste cohérent du flux de paiements annuels de 730 millions d'euros/an en moyenne sur la période 2014-2019, prévu par la LPM initiale et conservé dans son actualisation.
Nous continuerons la maturation technologique du futur missile longue portée en préparation des programmes sur le futur missile antinavire et le futur missile de croisière, en remplacement des missiles Exocet et Scalp-EG. Nous continuerons les études relatives à la préparation du renouvellement des missiles balistiques et des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE). De nouvelles études dans le domaine de la cybersécurité seront lancées.
Le PLF 2017 prévoit les commandes d'équipements suivantes : 1 sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Barracuda, la rénovation de 45 avions Mirage 2000D, 15 pods de désignation laser nouvelle génération (PDL NG), 319 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon. Concernant les livraisons prévues, je citerai : 9 hélicoptères NH90 et 6 hélicoptères de combat TIGRE, 379 camions porteurs polyvalents terrestres (PPT), 3 avions A400M, 1 frégate multi-missions (FREMM), 2 bâtiments multi-missions (B2M), 1 patrouilleur léger guyanais (PLG).
Concernant les masses salariales, pour 2017, la tendance est à une extrême stabilité. Toutefois, pour répondre aux besoins nouveaux liés à l'export sans pénaliser les programmes nationaux, j'ai demandé au ministre 300 ETP d'ici 2019 et 600 ETP à terme. Nous avons rédigé, avec les armées, une lettre commune, concernant les effectifs pour le soutien à l'export. En effet, le soutien à l'export concerne également les armées.
En guise de conclusion, je souhaite insister sur ma préoccupation vis-à-vis de la fin de gestion de l'année 2016. Des actions sont entreprises par le ministère de la défense vers le ministère du budget en ce sens. J'espère qu'il ne sera pas nécessaire de remettre en cause l'équilibre financier de la LPM ce qui pourrait nécessiter des choix douloureux à très court terme.
Je voudrais également insister sur l'exécution du plan de commande de la LPM, qui est quasiment nominale. 80 % des programmes prévus sur la période auront été lancés sur les trois premières années de la LPM. Cette situation, satisfaisante en soi, conduit à une très grande rigidité du programme 146. À titre d'exemple, les programmes majeurs conventionnels qui restent à lancer d'ici à la fin de la LPM ne consommeront que 3 % environ des crédits de paiements prévus sur la période. Les marges de manoeuvre sont donc extrêmement faibles.
Enfin, dans la perspective des mises à jour à venir de la programmation, j'observe que la poursuite de ces programmes lancés rendra nécessaire une élévation des ressources financières du programme 146 dans les années à venir pour financer notamment la production de matériels qui auront été développés dans la période présente. Je pense par exemple aux véhicules du programme Scorpion, mais aussi au renouvellement des équipements de la dissuasion.