Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, longtemps, très longtemps même, le législateur a considéré que Paris, ville unique au monde à de nombreux égards, devait être doté d’un cadre institutionnel particulier, pour ne pas dire d’exception.
C’est que, de la Révolution à la Commune, le peuple de Paris a toujours suscité la méfiance des gouvernants, et ce d’autant plus que la ville est aussi le siège des institutions de la République. L’historien Louis Chevalier a dépeint avec talent et minutie ce Paris-là dans son ouvrage intitulé Classes laborieuses et classes dangereuses.
Dès 1795, la loi du 19 vendémiaire an IV divise la ville endouze arrondissements, dotés chacun d’un maire et de deuxadjoints nommés par le Gouvernement. Paris est alors dirigé par le préfet de la Seine, titulaire à la fois des fonctions préfectorales et des fonctions municipales, et par le préfet de police, responsable du maintien de l’ordre.
Sous le Second Empire, le décret d’annexion des communes limitrophes de 1859 élargit le territoire parisien en le dotant de vingt arrondissements au total.
Puis la IIIe République naissante fait adopter plusieurs lois importantes, notamment celle d’avril 1871, qui consacre l’élection des maires des communes de plus de 20 000 habitants, et celle d’avril 1884, relative aux libertés communales ; ces lois ne s’appliquent cependant pas à Paris.
Ainsi, la ville est volontairement maintenue dans un état de dépendance ; les maires sont nommés par décret du Président de la République et sont sous l’autorité du préfet de la Seine. Paris reste également dépourvu d’un conseil municipal élu et n’est pas doté de la clause de compétence générale.
Cette situation va perdurer jusqu’aux années soixante, au cours desquelles l’État et les élus vont avoir la même volonté d’amener Paris vers le droit commun.
En 1959 est créé, par ordonnance, le district de la région parisienne. Puis, en 1964, six nouveaux départements voient le jour, dont celui de Paris, aux frontières départementales et communales superposées. Paris devient alors une collectivité territoriale à statut particulier, le conseil de Paris exerçant les attributions antérieurement dévolues au conseil municipal, d’une part, et au conseil général de la Seine, d’autre part.
Dans le même temps, les élus parisiens se mobilisent, dès 1945, pour obtenir un élargissement de leurs prérogatives. Les parlementaires siégeant au conseil municipal de Paris déposent ainsi huit propositions de loi portant réforme du statut de Paris entre 1973 et 1974. Le Président de la République confie alors à son ministre de l’intérieur l’élaboration d’une réforme, qui aboutira à la loi du 31 décembre 1975. Son fil directeur est de faire entrer Paris dans le droit commun municipal.
Le terme de « statut » disparaît et l’article 2 dispose que la commune de Paris est régie par le code de l’administration communale, sous réserve de dispositions spécifiques. Enfin et surtout, le maire de Paris, également président du conseil général, sera élu au suffrage universel. L’élection de 1977 met ainsi fin à près de deux cents ans d’administration de la ville par l’État.
Amplifiant ce mouvement, la loi du 31 décembre 1982, la loi PML – Paris, Marseille, Lyon –, définit pour Paris, dans le contexte de la décentralisation conduite par Gaston Defferre, une organisation administrative plus proche du droit commun municipal et départemental, mais comportant encore de fortes particularités.
Le territoire parisien recouvre toujours deux entités distinctes, la commune et le département.
Les mairies d’arrondissement, conçues comme des instances de médiation entre la population et la mairie centrale, ont un rôle essentiellement consultatif et n’ont pas réellement de compétence. Il faudra attendre 2002 pour que s’opère un véritable mouvement de déconcentration, que le présent projet de loi vise à élargir de nouveau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, procéder à ce bref rappel historique n’est pas superflu, au moment où nous vous proposons de nouvelles avancées qui s’inscrivent dans le droit fil des politiques menées par ce gouvernement et par ceux qui l’ont précédé : davantage de clarté et de simplicité dans l’exercice des compétences, davantage de décentralisation et davantage de déconcentration.
Je développerai tout à l’heure ces trois points, mais, auparavant, je tiens à dire à la représentation nationale que la réforme du statut de Paris proposée par le Gouvernement constitue, à partir de quatre thématiques, un ensemble cohérent et d’envergure.
Ces thématiques sont la fusion de la ville et du département, le renforcement des pouvoirs des maires d’arrondissement, la création d’un secteur électoral unique formé des quatre premiers arrondissements et le renforcement des pouvoirs de police du maire.
Tous ces éléments nous paraissent indissociables. C’est pourquoi – je m’en expliquerai – je vous propose de réintroduire dans le texte ce que la commission des lois du Sénat a supprimé. Sans doute l’intention du Gouvernement doit-elle être mieux expliquée – je m’y efforcerai tout au long de ce débat – afin de pouvoir être partagée. Cela concernera également la création des nouvelles métropoles, un amendement tendant à rétablir les dispositions correspondantes ayant été déposé.
Par ailleurs, le Gouvernement ne souhaite pas aller au-delà des propositions qu’il a émises ; c’est pourquoi, en matière d’extension des pouvoirs de police – là encore, je m’en expliquerai –, il ne sera pas répondu favorablement aux amendements du rapporteur.
En effet, notre objectif n’est pas d’affaiblir la commune de Paris en donnant trop de pouvoirs aux arrondissements, lesquels doivent demeurer des démembrements de la commune, sans personnalité morale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la dualité du territoire parisien, à la fois commune et département, constitue, nous le savons, une spécificité unique en son genre.
Ce projet de loi vise fondamentalement à la modernisation du statut de Paris ; il s’inscrit dans le prolongement de la réforme territoriale engagée depuis le début du quinquennat, en simplifiant et en rendant plus lisible l’action publique pour les Parisiens.
Aujourd’hui, le département, à l’exécutif duquel ils élisent pourtant des représentants, les mêmes que pour la commune, est secondaire, voire invisible, à leurs yeux.
Cette superposition est par ailleurs anachronique ; il est donc temps d’y remédier et de mettre fin à cette « fiction institutionnelle », selon l’expression utilisée par la chambre régionale des comptes d’Île-de-France dans son rapport de 2015.
Il est par conséquent nécessaire, par souci de clarification des compétences, de finaliser l’absorption du département par la commune en les fusionnant. Si la Ville de Paris s’est effectivement engagée depuis longtemps dans la voie du rapprochement, seule la loi peut permettre d’aller au bout de la démarche. C’est l’objet du chapitre Ier du présent projet de loi.
La nouvelle collectivité à statut particulier, dénommée « Ville de Paris », exercera donc les compétences de la commune et du département à compter du 1er janvier 2019.
Au-delà, la fusion permettra des simplifications administratives pour les Parisiens, les entreprises et les associations. La constitution de guichets uniques, par exemple, simplifiera les démarches administratives et les procédures de marchés publics.
La commission des lois du Sénat n’a pas remis en cause la philosophie et les grands axes de cette réforme, saluant même la clarification qui sera ainsi apportée. Je m’en réjouis. Elle a essentiellement introduit des modifications rédactionnelles, procédant – il faut le reconnaître – à des améliorations législatives réelles.
Les pouvoirs des maires d’arrondissement avaient, quant à eux, été considérablement renforcés par la loi du 27 février 2002. Il est aujourd’hui proposé de poursuivre ce processus de déconcentration, en étendant leur délégation de signature au directeur général adjoint des services, en les associant à l’approbation des contrats d’occupation et en leur confiant la possibilité de les accorder, dès lors que leur durée est inférieure à douze ans, en leur permettant de délivrer des autorisations d’étalage et de terrasse dans leur arrondissement.
Ce renforcement de la démocratie locale à Paris passe nécessairement par les acteurs de proximité que sont les mairies d’arrondissement.
À cette fin, le texte prévoit la fusion des conseils des quatre premiers arrondissements, avec la création d’un nouveau secteur électoral. Cela renforcera la capacité d’action du secteur fusionné et lui permettra de mener des projets à hauteur des enjeux propres à cette zone centrale de Paris.
Cette disposition, je le sais, a fait l’objet de beaucoup de débats. Elle a été supprimée par votre commission. Le Gouvernement proposera de la rétablir ; nous y reviendrons et j’aurai l’occasion de vous en exposer le bien-fondé.
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’abord et avant tout d’améliorer la représentativité des conseillers de Paris issus de ces arrondissements, afin de tenir compte des évolutions démographiques de la capitale.
En effet – je l’avais dit devant votre commission –, la répartition actuelle, déjà modifiée en 1982 puis en 2013, fait apparaître des écarts importants et même inéquitables, au point de soulever des questions de constitutionnalité.
Il faut en moyenne 13 000 habitants pour élire un conseiller à Paris, mais 17 000 dans le Ier arrondissement et 11 000 dans le IIe arrondissement. La mise en œuvre de la correction proposée aboutirait à ce qu’un siège représente 12 720 habitants, la moyenne étant ainsi approchée. Je rappelle que la projection des résultats des votes de la dernière élection municipale sur la nouvelle configuration à dix-sept secteurs électoraux au lieu de vingt ne fait apparaître aucune modification des équilibres politiques existants.